Dissertations

Le langage aide-t-il pour découvrir le sens du réel ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

En interaction permanente avec le monde physique, l’homme dispose de ses organes de sens pour appréhender des informations, ce qui lui servira à juger par différentes qualités. Mais à travers cette perception, il se questionne sur le sens des phénomènes qui l’environne. Cette interrogation se présente indépendamment des soucis pratiques menant vers la recherche de l’efficacité : elle s’oriente plutôt sur des problèmes existentiels. L’homme oppose à l’existence des choses la possibilité du néant, même si le néant n’a jamais été perçu comme présence. Et pourtant, sa formulation dans un langage évoque une compréhension claire dans la pensée. « Le nécessaire peut-il devenir ? Le devenir est un changement, mais le nécessaire ne peut aucunement changer, se rapportant toujours à lui-même et s’y rapportant toujours de la même façon », constate Kierkegaard dans ses Miettes philosophiques. Cet extrait insinue que la pensée, pour pouvoir énoncer quelque chose, doit être fidèle à ce que les choses sont réellement. Néanmoins, le langage peut dévoiler un sens sans qu’il existe une référence dans la réalité. Existe-t-il un sens qui ne puisse être formulé dans un langage ? Afin de décortiquer cette problématique, nous adopterons un plan à trois parties : le premier sera un exposé sur le langage et son rapport avec le monde humain ; le deuxième analysera la conception du réel tel qu’il est vécu et tel qu’il est signifié ; et le troisième sera une mise en lumière sur le dévoilement du sens, comme une intersection entre l’existence et la pensée.

I) Le langage se représente le monde en un système de signes

Notre environnement physique impose sa présence parce que nous sommes en interaction avec lui à travers notre conscience et nos organes de sens. Mais nous oublions aussitôt les évènements qui se sont déroulés devant nos yeux lorsque nous n’y décelons aucun intérêt. La mémoire est donc le signe qui montre que la pensée a pu transformer le monde en un langage. Dès que nous parlons, cela fait intervenir immédiatement un souvenir récent ou un souvenir lointain, tel que le fait présent ou absent nous a affectés. Certes, la mémoire nous apparaît en images, mais en réalité ce sont les signes importants de l’image que nous avons retenus et non pas le fait en entier. Ainsi, la pensée saisit tout d’abord le réel comme des signes sensibles qui s’appliquent aussitôt en des signes linguistiques. Comme disait Marx et Engels dans L’idéologie allemande : « Le langage est la conscience réelle pratique, existant aussi pour d’autres hommes ». Ainsi, le langage dépasse de loin la simple perception, car cette dernière se limite aux impressions dans l’esprit. Toutefois, il n’y a pas de langage qui puisse être formulé en dehors de la conscience du monde et de la perception de celui-ci. En effet, un signe a pour caractère d’apparaître aux sens, et même un signe du langage qui est créé en pensée doit se présenter par un symbole écrit ou vocal. Par conséquent, un objet perçu par les sens renvoie à une interprétation telle que le sujet le situe dans son monde : cet objet joue alors le rôle de signe. Mais aussi, un symbole représente une réalité qui est autre que la présence du symbole lui-même.  C’est ainsi que Hegel définit le signe dans son ouvrage Propédeutique philosophique : « Une réalité extérieure présente devient signe lorsqu’elle est arbitrairement associée à une représentation qui ne lui correspond pas et qui s’en distingue même par son contenu en sorte que cette réalité doive en être la représentation ou signification ». Le langage est un assemblage de signes, mais pas de manière quelconque : sachant que le signe renvoie à une réalité donnée, sa liaison cohérente avec un autre signe propose une idée. Ainsi, le langage véhicule une idée concernant le monde, qui est essentiellement une interprétation des signes évoqués par le monde. Rappelons toutefois que le monde est unique, mais les interprétations sont diverses. En d’autres termes, les signes rapportés à une réalité sont très multiples, donc renvoient à des significations différentes. Cela dépend également de la manière rationnelle par laquelle les signes s’assemblent dans le système du langage, pour former un sens précis. C’est en ce sens que Ferdinand de Saussure, dans son Cours de linguistique générale, développe l’idée selon laquelle : « Ce qu’il y a d’idées ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qu’il y a autour de lui dans les autres signes ».

Le langage est plus qu’une simple interaction avec le monde physique, puisqu’il nécessite la médiation des signes qui projette un sens à cette réalité. Toutefois, l’interprétation des signes est encore sujette à de nombreux débats, à cause de l’influence de l’existence sur cette procédure.

II) L’interprétation change avec l’évolution du monde humain

L’homme constitue son univers à sa façon et tel qu’il se positionne à l’intérieur du monde physique, ce qui engendre une nécessité pour que le rapport se maintienne. Bien qu’il se croit totalement libre et maître de sa destinée, il est des choses qu’il ne peut pas changer à sa guise, mais également des changements face auxquels il demeure impuissant. Cette situation engendre d’une part la conception d’un cadre temporel dans lequel s’effectue le changement, et d’autre part la lutte inconsciente contre le dépérissement auquel toute chose est destinée. Par conséquent, la manière de signifier reflète particulièrement cette angoisse permanente face au néant. Ou du moins, elle constitue un voile pour s’occulter soi-même face à cette réalité inévitable. Nietzsche s’exprime ainsi dans sa Généalogie de la morale : « L’interprétation que l’on donnait à la vie amenait indéniablement une souffrance nouvelle, plus profonde, plus intime, plus empoisonnée, plus meurtrière : elle fit voir toute souffrance comme le châtiment d’une faute ». Bien évidemment, l’objectif de l’interprétation n’est pas de rendre l’homme heureux ou de décrire le monde sous des tons plus joviaux. En effet, l’homme ne peut pas échapper à la clarté avec laquelle les choses apparaissent, et d’ailleurs cette signification est intimement corrélée à sa condition. Le sens qu’il découvre cadre parfaitement avec son expérience, mais rien ne certifie que le monde serait le même ailleurs selon le rapport avec d’autres individus. Le monde de l’interprétation est donc un champ très vaste où la raison essaie vainement de se frayer une place, et qui est aussitôt concurrencé par le relativisme. Karl Otto Appel, dans La question d’une fondation de la raison, s’oppose à cette tendance à vouloir dépasser la raison au profit de la liberté d’interprétation : « Le plaidoyer pour l’irrationalisme ne réfute-t-il pas in actu exercito l’acte performatif qu’il utilise, sa propre tentative de refuser l’argumentation ? » Ainsi, l’interprétation est particulièrement critiquée à cause de sa tentative à s’écarter continuellement de la rationalité. En vérité, il s’agit d’un langage tout à fait compréhensible, mais dont le contenu froisse le grand nombre. Cela n’altère en rien la capacité du langage à dévoiler le sens, il est la forme de la pensée qui se transmet dans le réel. Le problème du sens réside donc dans son ouverture à l’infini, et il ne peut pas être autrement, ce qui se heurte aux principes de la vérité. Une interprétation est vraie en fonction de celui qui l’exprime, et une autre aussi peut interpréter le même signe en fonction de sa propre vision, sans que ces deux versions ne s’empiètent. Cette situation s’oppose à la conception de la vérité proposée par Cicéron dans son Traité du devoir : « Nous tenons comme nécessaires au bonheur de la vie la connaissance des choses cachées et des faits étonnants. On comprend par-là que la vérité, la simplicité sans mélange sont ce qui convient le mieux à la nature humaine ».

Il est vrai que les hommes donnent plus de crédit à l’interprétation des faits plutôt qu’à la recherche de la vérité, et cela n’est pas sans conséquence dans la sphère sociale et intellectuelle. Le langage se pose donc comme un outil pour véhiculer le sens, mais c’est l’homme qui engage à la fois le processus de signification.

III) Le sens se dit selon les formes possibles du langage

Le langage est essentiellement ce qui fait l’homme, parce que la pensée ne peut s’exercer qu’à travers la parole. Parallèlement, la pensée ne peut tourner à vide, elle doit formuler une idée sur le ce qui est, et même les idées abstraites sont issues d’une formalisation des choses concrètes. Il n’y a donc aucune entité supérieure à la pensée pour pouvoir juger ce qu’elle dit, à part l’application de ses propres principes. Hormis cette rationalité du langage, le monde impose également sa présence pour être signifié. Cependant, l’hypothèse selon laquelle le monde lui-même dénote un aspect rationnel ne peut être ni confirmé ni réfuté, puisqu’il ne peut s’exprimer. C’est toujours la pensée qui se met en face de lui qui parlera à sa place, et selon le langage qu’il peut formuler. Edmund Husserl, dans L’idée de la phénoménologie, écrit ceci à l’égard de la règle fixe par laquelle la pensée s’opère : « Dans la philosophie contemporaine, dans la mesure où elle prétend à être sérieusement une science, c’est devenu presque un lieu commun qu’il ne peut y avoir qu’une méthode de connaissance, commune à toutes les sciences, et donc aussi à la philosophie ». Notre existence dans le monde nous fait pourtant voir que les choses ne sont pas toujours aussi rationnelles qu’on le pense. Le sens tel que nous le formulons provient alors de la réalité telle qu’elle nous apparaît, ce qui fait que nous ne pouvons pas le fausser en prétendant qu’elle ne cadre pas dans la rationalité. Et même si le sens contredit les principes de la vérité, ce problème concerne uniquement la science et la philosophie, mais n’engendre aucune difficulté dans la pratique. Le sens se diversifie parce que le monde lui-même se présente de manière hétérogène, et les individus qui le composent sont soumis à des conditions très différentes qu’il n’est pas toujours nécessaire de vouloir les changer. Ce passage de L’existentialisme est un humanisme de Jean Paul Sartre traduit cette situation : « Humanisme, parce que nous rappelons à l’homme qu’il n’y a d’autre législateur que lui-même, et que c’est dans le délaissement qu’il décidera de lui-même ». Le langage, pour sa part, se donne dans son aspect universel, c’est-à-dire compréhensible par toute pensée gouvernée par la raison. Une fois qu’il supporte un contenu, on ne peut pas affirmer que l’ensemble offre un rendu irrationnel. Du coup, aussi singulier que se présente le sens, il épouse la forme du langage et se dévoile comme tel. Puisque le sens provient de l’objet du monde, la pensée le reçoit uniquement à travers sa présence. Dans le monde de l’interprétation, le silence ne compte pas comme langage, et il n’est concevable que la seule existence de l’objet soit déjà du sens. Le sens se découvre par l’intimité partagée entre la pensée et le monde, mais le langage ne s’impose pas : il est au service de ce sens. « La merveille du langage est qu’il se fait oublier : je suis des yeux les lignes sur le papier ; à partir du moment où je suis pris par ce qu’elles signifient, je ne les vois plus », déclare Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception.

Conclusion

La formation des signes, qu’il s’agisse des signes artificiels ou ayant pour symbole les éléments de la nature, prend son origine dans le contact avec le monde. Mais puisque le signe n’est pas l’objet, il s’agit alors d’une médiation qui fait intervenir une forme de rationalité œuvrée par la pensée. Cependant, il est tout à fait possible de réfuter une interprétation pour des différentes raisons, mais celle qui la remplacera ne sera pas nécessairement légitimée. Il n’y a donc pas de sens à découvrir dans le réel, mais de création de sens dans des conditions spatio-temporelles. Certes, nous sommes libres d’interpréter le monde comme nous le souhaitions, mais cette liberté se ramène nécessairement à ce qui existe réellement. Ainsi, le langage est une sorte de réceptacle qui fait corps avec le sens, mais il ne le modifie pas pour avoir une forme rationnelle. Peut-on transformer le monde en vue de transformer son sens ?

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