Dissertations

Tout ce qui existe a-t-il forcément un sens ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le malheur de l’homme vient principalement du fait qu’il a conscience de son être et qu’il anticipe son avenir pour plonger ensuite dans le désespoir et le regret. En se tournant vers autrui, il voudrait se projeter dans cette conscience qui reflète sa propre conscience, mais qui lui échappe constamment. Quel que soit le contenu qu’il donne à son existence, l’homme demeure alors un éternel insatisfait comme s’il ne possédait jamais assez de puissance pour soumettre le monde. Sur ce, nous attribuons un sens à ce que nous faisons, mais cela n’engendre pas la perfection. Schopenhauer disait d’ailleurs dans Le monde comme volonté et comme représentation : « Pour la plupart, la vie n’est qu’un combat perpétuel pour l’existence même, avec la certitude d’être enfin vaincus ». Le fait de donner du sens à la vie est déjà une manière pour effectuer son devoir sans trop se plaindre de sa condition. La signification des choses reste donc dans le domaine de l’intellect, puisque son application pour transformer le monde procure une déception qui assombrit notre vision des choses. Dans quelle mesure la pensée parvient-elle à produire du non-sens ? Cette problématique sera analysée à travers les trois paragraphes qui suivent : d’une part, le contenu d’un langage se définit comme du sens ; d’autre part, le sens est une création de la pensée consistant à combler du vide ; et pour terminer, l’homme assimile son insatisfaction à du non-sens.

I) Le sens se comprend à travers la forme du langage

La science est par excellence le langage qui reflète l’ordre et la cohérence, ce qui suppose en même temps les mêmes attributs pour l’objet qu’elle traite. L’art, pour sa part, se révèle par des signes dont le sens ne se manifeste pas dans l’immédiat de la perception. Certaines œuvres étonnent même par sa forme abstraite qui ne laisse présager une compréhension claire que par l’interprétation des experts. En tout cas, l’absence d’une forme régulière dans le domaine artistique, qui est taxée d’irrationnelle, est déjà un langage à part entière. Bachelard dans son ouvrage Le rationalisme appliqué offre une explication similaire concernant la rationalité : « Ces connaissances plus approchées, plus discutées, plus cohérentes que nous trouvons dans l’examen attentif des expériences fines et qui nous font comprendre qu’il y a plus de rationalité dans le complexe que dans le simple ». Devant un fait incompréhensible, l’homme se questionne sur le comment et le pourquoi, mais au fond c’est l’interrogation sur le sens qui voudrait surgir. Des fois, la présence de l’objet et sa manifestation extérieure nous suggèrent déjà une signification profonde, cependant nous ne parvenons pas à l’exprimer. Cela dit, le sens renvoie toujours à un langage adéquat pour le dévoiler, il faut qu’il transparaît clairement dans la pensée par le biais de ce langage. Tant qu’il se ressent seulement comme émotion ou sensation par le corps, ce n’est pas encore du sens. Ainsi, le sens n’est pas assimilé à l’objet qui l’a produit, mais se reconnaît nécessairement dans le langage qui l’énonce. Rudolph Carnap confirme cette idée dans Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage : « Un énoncé ne dit que ce qui est vérifiable. C’est la raison il ne peut affirmer, s’il affirme vraiment quelque chose, qu’un fait empirique ». Un langage a été créé parce qu’une réalité particulière serait mieux exprimée dans cette manière précise de dire la chose. Cela signifie qu’il n’y a pas de critique à émettre concernant la forme d’un langage, il est déjà parfait tel qu’il se présente à notre pensée. Les différentes extensions qu’on lui attribuera par la suite n’altèrent en rien sa forme initiale, puisqu’il ne fait qu’épouser la manifestation du sens qu’il circonscrit. Sachant qu’un sens ne soit jamais connu qu’à l’intérieur d’un langage, ce dernier ne peut non plus se manifester dans une forme pure, c’est-à-dire vide de contenu et de sens, sauf pour la logique et la mathématique. Néanmoins, on peut comprendre ces disciplines comme la connaissance des principes de la raison, et prendra alors pour objet la raison elle-même. Quine, dans son livre Les deux dogmes de l’empirisme, établit cette remarque : « Il devient aberrant de rechercher une frontière entre les énoncés analytiques qui reposent sur l’expérience contingente, et les énoncés analytiques qui sont vrais en toutes circonstances ».

Un langage renvoie à un objet dont il traite, mais c’est surtout le sens de cet objet qu’il expose. En ce qui concerne l’homme qui a eu la volonté de découvrir ce sens, sa manière de signifier est en étroite corrélation avec son expérience vécue vis-à-vis du monde.

II) L’homme signifie parce qu’il a conscience de la vacuité du sens

Rappelons que l’acte de signifier est toujours précédé d’une expérience concrète qui se fait naturellement sans aucun questionnement. Tant que l’homme ressent une pleine satisfaction dans son être, c’est comme si le sens des choses sont tellement évidentes qu’il serait bête d’y réfléchir. D’ailleurs, il se préoccupe des questions existentielles lorsque son esprit n’est pas occupé, c’est-à-dire soit il est plongé dans une oisiveté involontaire, soit il est parvenu à l’apogée de sa réussite pour ne plus rien désirer. Le questionnement sur le sens commence alors par le constat selon lequel le monde n’a pas de sens. Ce passage de La généalogie de la morale de Nietzsche en est une illustration pertinente : « C’était jusqu’à présent le seul sens qu’on lui eût donné ; n’importe quel sens vaut mieux que pas de sens du tout ; l’idéal ascétique n’étaient à tous les points de vue que le « faute de mieux » par excellence, l’unique pis-aller qu’il y eût ». Cette pensée surgit le plus souvent d’un échec profond, mais ceux qui s’appliquent dans une étude bien posée aboutissent également à cette conclusion. En effet, le sens d’une action renvoie à une cause extérieure jugée comme bonne, mais en voulant justifier cette cause, nous ne pouvons avancer un argument sans se projeter à une autre cause, et cela à l’infini. En avançant qu’une chose est bonne en soi, il est vrai que cela satisfait pleinement comme réponse, mais tout un chacun pourrait aussi justifier son agir de la même manière et en toute occasion. Sinon, les choses qui ne sont pas bonnes en soi seraient nécessairement vides de sens, ce qui entraîne la négation et l’incapacité à signifier. Simone de Beauvoir fait d’ailleurs cette remarque dans son livre Pour une morale de l’ambiguïté : « L’existentialisme est une philosophie de l’absurde et du désespoir ; elle enferme l’homme dans une angoisse stérile, dans une subjectivité vide ; elle est incapable de lui fournir aucun principe de choix : qu’il agisse comme il lui plaît, de toute manière la partie est perdue ». Au premier abord, c’est l’homme qui se reconnaît ignorant et aspire à connaître le sens des choses. Puisque le sens ne se montre pas de manière évidente, soit il est caché, soit il n’a jamais existé, et l’homme se penche pour la première hypothèse. Il voudrait alors procéder à un dévoilement, mais en vérité il ne fait que créer le sens. Le sujet n’est jamais neutre dans la procédure de la signification, car il se pose lui-même la question du sens, ce qui renvoie précisément à une réponse qui le concerne. Pour vérifier la pertinence de ce sens, il se réfère non pas à l’universalité, mais plutôt à son vécu personnel et à ce qu’il en pense. Mais en créant du sens dans ce qui n’en possède pas, il n’y a rien qui change dans le monde : c’est la pensée qui s’offre tout simplement une nouvelle vision. Cette thèse est similaire à la conception faite par Sartre, évoquée dans Cahiers pour une morale : « Je suis perpétuellement condamné à vouloir ce que je n’ai pas voulu, à ne plus vouloir ce que j’ai voulu, à me reconstruire dans l’unité d’une vie en présence des destruction que m’inflige l’extérieur ».

L’homme se montre satisfait du sens du monde lorsqu’il constate que ce sens concorde avec sa manière de penser son existence. Tout compte fait, l’interprétation est une manière parmi tant d’autres d’appréhender le monde, ce qui présente à la fois ses forces et ses faiblesses.

II) Le sens et le non-sens sont tout à fait possibles dans l’interprétation

Les théories scientifiques peuvent être sujettes à des falsifications, les œuvres d’art sont parfois jugées comme laides, et pareillement certains faits nous paraissent comme insignifiants. D’emblée, nous attribuons ces imperfections à la nature de l’objet, mais aussi rien ne nous enseigne que toutes les choses qui adviennent à l’existence devraient effectuer une mission profitable à l’homme. C’est justement cette manière de voir qui, tout d’abord, force l’esprit humain à signifier coûte que coûte, et par la suite, à désigner comme du non-sens les choses qu’il ne comprend pas. En tout cas, l’effet inverse est possible : on crée même des choses inutiles afin qu’elles soient vecteur d’un sens nouveau. Kierkegaard nous avertit pourtant de cette machination à travers cet extrait des Miettes philosophiques : « Le nécessaire est chose à part, rien ne devient avec nécessité, pas plus que le nécessaire ne devient ou qu’une chose en devenant ne devient le nécessaire ». Par conséquent, tout comme il est capable de signifier, l’homme offre également une autre option en  désignant quelque chose comme du non-sens. Cela veut dire que le sens dépend entièrement du bon vouloir de l’homme, tandis que l’existence des choses est une fatalité issue de la nature. C’est parce que l’homme voudrait intégrer cette chose dans son univers d’homme qu’il lui donne un sens, c’est-à-dire qu’il remarque sa présence comme méritant d’être signifié. C’est comme si le sens des choses était alors préalablement instauré dans l’esprit, de sorte que les faits constituant des signes portent du sens, et le reste voué à l’oubli. Maurice Merleau-Ponty, dans son Eloge de la philosophie, avance pourtant cette explication : « On n’explique rien par l’homme, puisqu’il n’est pas une force, mais une faiblesse au cœur de l’être, un facture cosmologique, mais un lieu où tous les facteurs cosmologiques, par une mutation qui n’est jamais finie, changent de sens et deviennent histoire ». Il n’y a pas de signification universelle pour une chose donnée, mais un langage est compris par tout un chacun tant qu’il essaie de le comprendre. Par conséquent, ce n’est pas que le sens change en chaque circonstance, c’est que l’objet joue des fonctions de symboles différents à travers chaque système donné. Dans le quotidien par exemple, c’est l’utilité qui est l’instance le plus déterminant pour désigner une chose comme ayant du sens ou insignifiant. Ainsi, la pensée n’a pas été programmée pour fournir du non-sens selon des critères préalablement définis. Toutefois, elle pose comme évidence qu’un fait n’a pas de sens lorsqu’elle n’intéresse pas. C’est pourquoi Edmund Husserl, dans L’idée de la phénoménologie, avance cette idée : « Pour obtenir le phénomène pur, il me faudrait une nouvelle fois mettre en question le moi, de même que le temps, le monde, et faire ainsi ressortir un phénomène pur, la cogitatio pur ».

Conclusion

La parole est une forme courante par laquelle on reconnaît le langage, toutefois la pensée dispose d’une capacité impressionnante pour créer divers sortes de langage, en fonction de la réalité à laquelle elle a affaire. La recherche du sens est une activité naturelle à la pensée humaine, ce qui suppose qu’une chose est parce qu’elle a un sens. Mais ce qui ouvre le questionnement est cette intuition qui estompe la volonté d’agir, cette incohérence entre les faits et la pensée qui suppose que tout est vanité. Finalement, l’acte de signifier contient de l’arbitraire provenant du sujet, de manière telle qu’il pourra combler le vide de sens. L’existence d’une chose se pose indépendamment de son sens, bien que le sens et l’existence relèvent tous deux de la contingence. La pensée se heurte donc à un non-sens lorsque l’objet auquel il a affaire ne joue aucun rôle de signe dans le cadre où elle opère. L’homme peut-il s’abstenir de signifier ?

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