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Une société sans religion est-elle possible ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les Lumières constituent une époque importante pour l’adoption généralisée de la pensée moderne. Initié principalement par des philosophes illustres, ce courant a mis en avant la place de la raison dans la façon de voir le monde et de se gouverner soi-même. Le Moyen Age, qui a été marqué par la domination écrasante de la religion sur la société, est le premier à être pointé du doigt par la philosophie des Lumières. Toutefois, les révolutions qui ont transformé la structure des Etats européens avaient seulement pour conséquence d’alléger le pouvoir de la religion sur la conscience individuelle et collective. Plus tard, avec l’avènement du marxisme, l’on observe que le peuple tourne le dos à la religion, mais ne peut pas effacer intégralement celle-ci de l’histoire. Jean-Paul Sartre fait cette remarque pertinente dans son livre Plaidoyer pour les intellectuels : « Au fur et à mesure qu’on laïcise un secteur sacré, Dieu se dispose à remonter au ciel : à partir de la fin du XVIIème siècle, c’est le Dieu caché (…) Je citerai pour seul exemple l’idée de Nature, compromis entre l’objet rigoureux des sciences exactes et le monde chrétien créé par Dieu ». Toutes les formes d’idéologies dominantes dans les sociétés sont-elles considérées comme une religion ? Afin de traiter cette problématique, nous dresserons trois paragraphes distincts : le premier sera une compréhension de la religion comme étant la croyance en des forces supranaturelles ; le deuxième sera une analyse des sociétés où domine l’athéisme ; et le troisième sera une conclusion sur la forme des religions déguisées en des doctrines rationnelles.

I) La religion reflète la dimension métaphysique de l’homme

Parmi les choses inutiles que l’homme a créées, mais sur lequel repose tout un système de représentation, figure la religion. La raison d’être de la religion n’est pas de prouver l’existence de Dieu, c’est un moyen pour donner du sens à l’existence de l’homme et à son monde. Et pourtant, sa pratique s’accompagne toujours de forces mystiques qui enracinent profondément la croyance en des êtres supranaturels. Du coup, la croyance se transforme en une crainte, puis en une vérité que tout le monde se doit d’accepter. A travers sa dimension sociale, la religion devient alors un élément primordial pour définir majoritairement les membres de cette société, ou alors un trait marquant pour désigner une culture. Arthur Schopenhauer, dans son livre Le monde comme volonté et comme représentation, indique ce passage : « Les temples et les Églises, les pagodes et les mosquées, dans tous les pays, à toutes les époques, dans leur magnificence et leur grandeur, témoignent de ce besoin métaphysique de l’homme qui, tout-puissant et indélébile, vient aussitôt après le besoin physique ». La religion devient donc un lien qui unit les hommes d’une même communauté, ce qui signifie qu’ils peuvent s’y référer en ce qui concerne les valeurs à adopter et les comportements jugés corrects. Le rôle social de la religion devient alors manifeste, et le plus souvent c’est à partir de celle-ci que les membres accordent davantage de poids à la morale. Il existe donc une double face pour comprendre la religion : d’une part, elle souligne la nature humaine qui tend vers la recherche d’un Être suprême, et d’autre part, elle évoque la nécessité d’une base solide pour pouvoir édifier la morale. Comme disait Sigmund Freud dans L’avenir d’une illusion : « L’angoisse humaine en face des dangers de la vie s’apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l’institution d’un ordre moral de l’univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines ». Mais à y voir de plus près c’est plutôt le côté divin qui fait que les hommes s’attachent fortement à la religion. La relation qui s’établit entre l’homme et Dieu est marquée par une hiérarchie, ce qui inspire non seulement la crainte mais aussi l’adoration. Cette dévotion particulière est également nourrie par le sentiment selon lequel il est bienveillant envers les mortels, tout en envoyant des châtiments selon son bon vouloir. La force de la religion est d’autant plus grande chez ses adeptes que les symboles rattachés à son culte sont variés, une manière de concrétiser ce monde spirituel parmi celui des hommes. Emile Durkheim stipule ce passage dans son livre Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie : « La division du monde en deux domaines comprenant, l’un tout ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ».

Chaque culture détient une croyance religieuse qui lui est propre, ce qui présente des effets bénéfiques sur la conduite morale des individus. Toutefois, la religion s’amplifie ou s’adoucit au fil du temps, à cause du brassage des cultures qui entraîne l’évolution des mœurs et des pensées.

II) Il n’est pas contraire à la raison de nier l’existence de Dieu

Les guerres de religion se rangent parmi les récits datant d’une époque lointaine : ce sont désormais la prolifération des sectes, l’œcuménisme ou encore la tiédeur des croyants qui caractérisent la religion. En réalité, le christianisme, le judaïsme et l’islam gardent intactes leurs doctrines respectives, mais font preuve de respect et de tolérance entre eux. A l’époque contemporaine, le fanatisme religieux est regardé d’un mauvais œil, car taxé d’être moyenâgeux et mettant en péril tous les efforts consistant à raisonner la masse. Les uns révèlent des pratiques qui bafouent les droits de l’homme, les autres convertissent ses adeptes en de véritables reclus en coupant le contact avec le reste du monde. Pierre-Joseph Proudhon confirme à travers cet extrait de ses Œuvres complètes : « A cette espèce de raison d’Etat du Ciel, ne tardent pas à s’ajouter, dans la religion, la raison d’Etat du sacerdoce, suivie bientôt de la raison d’Etat du prince puis une foule d’exceptions, de réserves, d’accommodements, d’acquittements, qui ôtent toute fixité au droit et à la morale, comme elles l’ont ôté à la raison et à la science ». L’impact de la religion dans la vie sociale est toujours présent, puisqu’elle ne peut pas s’exercer dans la sphère privée. Et les conséquences sont d’autant plus palpables, du fait que l’histoire témoigne d’un grand nombre de crimes religieux, qui demeurent sans suite dans les archives. En effet, les critiques laissent intactes les institutions religieuses qui se préservent le droit de conserver et d’appliquer ses dogmes. Ce sont les individus pratiquants qui deviennent les principales cibles des athées et des adeptes de la pensée moderne, se cachant sous le nom de laïc. Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire énonce le témoignage suivant : « Il a été un temps dans l’Europe chrétienne, où il n’était pas permis à de nouveaux époux de jouir des droits du mariage, sans avoir acheté ce droit de l’évêque ou du curé. Quiconque dans son testament ne laissait pas une partie de son bien à l’église, était excommunié et privé de la sépulture ». De nos jours, rares sont les sociétés qui professent une religion d’Etat, cependant les croyances issues de la diversité culturelle ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. La raison et les faits attestent que la religion n’a pas fait que du bien à l’humanité, ce qui légitime en partie le choix de ne pas croire en Dieu. L’adoption d’une religion se fait de plus en plus par conviction personnelle et non selon l’imposition de la communauté. Cela signifie que la société inclut quelques religions, mais ces dernières ne la représentent pas. Les Œuvres de Paul Valéry attestent cette idée à travers cet extrait : « La sincérité ou l’intelligence du croyant est toujours incertaine aux yeux de l’incroyant, et la réciproque est parfois vraie ».

La ferveur des pratiquants religieux est contrariée par l’idéologie des pro-laïcs, à travers une persécution déguisée sous le terme de tolérance et de neutralité. Ce sont les formes de religion qui évoluent à travers les époques, sans basculer nécessairement en une communauté composée uniquement d’athées.

III) La survie d’une société ne dépend pas de sa religion

Sachant que la religion et la société entretiennent une relation très étroite, les membres sont enclins à suivre la religion qui convainc le plus grand nombre d’adhérents. Bien que certaines références renvoient immédiatement à cette religion communément admise, la population est toutefois avertie des pièges de l’obscurantisme. Cela dit, elle se préserve le droit de critiquer et de renoncer à la foi, telle que sa raison le lui fait admettre. Cependant, la supériorité numérique des athées ne signifie pas pour autant la mort de la religion, car cette dernière est détenue par une institution indépendante que l’Etat ne peut pas toucher. Mais aussi, les dogmes ne périssent pas même s’ils restent enfouis dans des bouquins poussiéreux, puisque les sociétés occidentales effectuent des recherches sur la religion sans la pratiquer. « Et c’est ainsi qu’inconsciemment la religion affirme réellement en Dieu tout ce qu’elle nie consciemment _en sous-entendant naturellement que ce qu’elle nie est en soi quelque chose d’essentiel, de vrai et par suite d’indéniable », souligne Feuerbach dans L’essence du christianisme. Rappelons que les qualités attribuées à la divinité renferment le contenu de l’inconscient humain, ce qui serait donc une forme déguisée par laquelle elle s’échappe vers le stade de la conscience. Par exemple, l’éternité est un point commun sur toutes les représentations divines : même si on supprime toutes les religions du monde, ce désir d’éternité demeure intact chez l’homme. L’expérience a d’ailleurs prouvé que l’interdiction de religion a provoqué des conséquences des plus monstrueuses au niveau de la psychologie. Ainsi, ce n’est pas véritablement le fait de prier à l’église qui est un besoin essentiel, c’est la manière d’exprimer par les rites religieux ce besoin humain de transcender le sensible. Nietzsche écrit ceci dans L’antéchrist : « Le seul qui ait besoin de mentir pour s’évader de la réalité, qui est-il ? Celui qui en souffre. Mais souffrir de la réalité signifie être soi-même une réalité manquée ». La société moderne renonce à la religion parce qu’elle a trouvé un meilleur moyen d’assouvir ses fantasmes de grandeur, notamment par la science et la liberté de pensée. Elle trouve davantage de confort en renonçant aux superstitions, mais bascule aussitôt vers un système en apparence neutre et inoffensif. Nul ne peut présager si, dans un futur proche ou lointain, la religion serait entièrement bannie du monde des hommes, en tout cas cette situation n’entraîne pas la mort. Or, cette société sans religion possèdera certainement une autre forme de croyance, à savoir que Dieu n’existe pas et que les dires de l’homme sont l’unique mesure de la vérité. Voici donc une argumentation donnée Spinoza dans son Traité théologico-politique en faveur des rationalistes : « Si c’est sans raison, nous agissons comme des insensés et sans jugement ; si c’est avec raison, c’est donc par le seul commandement de la Raison, que nous adhérons à l’Ecriture, et donc si elle contredisait à la Raison, nous n’y adhérions pas ».

Conclusion

Définir le bien et le mal engendre des discussions interminables entre les hommes, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils ont intériorisé les préceptes de la religion. L’homme s’inspire donc des qualités divines pour modeler son conduite, c’est-à-dire que Dieu est ce que l’homme pourrait imaginer de plus parfait, mais qui advient à la réalité. Par contre, un esprit sain et objectif accusera nécessairement les pratiques religieuses, et les principes de laïcité stipulés par l’Etat ne fait qu’enfoncer le jugement de manière plus douloureuse. Il y a donc une raison valable pour que certaines personnes deviennent l’ennemi juré des religions, cependant cela ne leur inculque pas le droit de marginaliser ceux qui pratiquent en connaissance de cause. On parle de religion lorsqu’elle atteste l’existence de Dieu et souligne certaines relations avec les hommes, tandis que les autres idéologies censées la substituer ne sont pas une religion, mais assurent néanmoins la même fonction. Peut-on modifier les contenus d’une religion selon les nécessités de la société ?

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