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Une société a-t-elle horreur de l’inégalité ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les études démontrent que les sociétés ayant pu subsister avec le temps ont dû faire preuve d’adaptation avec l’évolution des mœurs et le commerce inévitable avec leurs voisins. Et pourtant, elles ressortent encore plus fortes que jamais, préservant intact leur identité malgré ces apports culturels provenant de l’extérieur. On peut dire alors que les sociétés ne sont pas égales, qu’on les observe d’un point de vue qualitatif aussi bien que selon des variables quantitatives. Et il en est de même pour les individus qui les composent : certes, ils adoptent une même croyance et une même représentation héritées de leurs ancêtres, mais il n’en est rien pour leur vie individuelle. Comme disait Karl Marx dans La Question juive : « L’application pratique du droit de liberté est le droit de propriété privé ». D’une part, il y a les valeurs communes à travers lesquelles les individus brandissent leur identité, et d’autre part il y a la gestion concrète du vivre ensemble, laissant apparaître les inégalités sociales dans toutes ses formes. Remarquons également que les hiérarchies établies dans une société puisent leur légitimité à partir de la culture. Mais aussi, un gouvernement basé sur le droit s’offre comme objectif d’abolir ces inégalités, et ce, au nom de la raison. Y a-t-il une société qui puisse réussir la mission de faire disparaître les inégalités ? Ce questionnement sera répondu à travers les trois paragraphes qui suivent : premièrement, un État de droit pose comme principe de faire disparaître les inégalités ; deuxièmement, la liberté individuelle qui est inaliénable par la répression de l’Etat crée nécessairement les inégalités ; et troisièmement, la forme d’une société reflète la nature de l’homme qui l’a créé.

I) L’égalité des droits s’applique mieux dans une égalité de situation

Un peuple est mûr pour créer un Etat et vivre sous son autorité, seulement lorsque leur conscience est suffisamment éclairée pour comprendre la notion de Droit. Bien évidemment, les empires et les monarchies avaient marqué leurs époques par des souvenirs glorieux, or ce sont des gouvernements dictés par le droit de la force. Dans ces conditions, on peut très bien imaginer ce peuple menant une vie tranquille, espérant dans la personne du roi l’espérance d’une protection bienveillante, sans jamais contredire ses décisions. Mais cette situation est contredite par ce passage de l’Essai sur l’homme et le temps d’Ernst Jünger : « Quel que soit le respect rendu au prince, quelle que soit la dureté de la discipline, il existe deux cas-limites où le pouvoir de commandement se brise contre un interdit invisible : l’ordre ne doit jamais signifier un arrêt de mort, ni ne doit être « contraire à l’honneur » ». A travers cette affirmation, on peut déjà constater une différence entre le pouvoir étatique basé sur le droit, et celui qui provient de l’arbitraire du monarque. Par la méconnaissance du droit, les sujets croient que le monarque possède un droit illimité, et qu’eux-mêmes ne peuvent rivaliser avec celui-ci. En effet, un État se compose de plusieurs branches qui relèvent des fonctions essentielles à assurer, notamment l’exécution, la législation et la justice. Cependant, les sujets n’auront pas conscience des injustices qui se produisent parce qu’ils ne savent pas ce qu’est le droit. Spinoza fait la remarque suivante dans son Traité politique : « Sur une population libre, l’espoir exerce plus d’influence que la crainte ; sur une population soumise par la force, au contraire, c’est la crainte qui est le grand mobile, non l’espérance ». D’après cet extrait, la liberté dont il est question est celle engendrée par le droit qui ne peut être soumis ou aliéné par autrui. Chez un individu qui a conscience de sa liberté, donc de ses droits, il abolit l’inégalité de nature entre lui, les concitoyens et même les dirigeants. Son obéissance se fonde désormais sur l’éclairage de la raison, concernant la justice et la pertinence de l’objet à trancher. L’égalité des droits est la première étape à concevoir afin qu’il soit juste que les autres inégalités disparaissent. Par conséquent, un Etat de droit pose comme principe une égalité de droit entre les citoyens, ce qui engendre la pensée selon laquelle il faudrait éliminer les hiérarchies issues de l’arbitraire. C’est seulement à l’intérieur du droit qu’on peut concevoir la justice, qui consiste à niveler les individus dans une égalité de situations. « L’égalité est un état de droit, qui exclut la comparaison des forces lorsqu’il s’agit de juger d’un vol, d’un abus de pouvoir, d’une injure, et choses semblables, qui sont toujours les effets d’une inégalité des forces », affirme Alain dans ses Définitions.

L’égalité est avant tout égalité de droit, et c’est seulement à travers la compréhension de ce concept que l’Etat peut œuvrer pour une égalité de situation entre ses membres. Mais dans le cas où l’inégalité persiste, c’est parce qu’il existe des limites où l’Etat ne peut pas intervenir, au risque d’enfreindre à la liberté de l’individu.

II) L’égalité est seulement un processus d’abstraction sur les inégalités

Il s’agit aussi d’une liberté d’être ce que l’on désire être, de déterminer par soi-même sa propre personne sans dépendre de ce que pense autrui. En effet, la vraie liberté est la liberté de penser, et tout d’abord penser les choses qui me concernent. On peut même dire que la considération du droit provient de la pensée qui s’exerce librement, mais toujours selon la nécessité de la raison. En guise d’extension à cette liberté, je pourrais alors choisir ma destinée en fonction de mes possibilités, et plus encore faire en sorte que ce soit possible selon les efforts que je déploie. La conséquence en serait que je me distingue des autres tout en restant membre de la société. Cela se traduit par cette citation de Husserl, tirée de ses Méditations cartésiennes : « Au moyen de cette « mise entre parenthèses », j’ai pris conscience de moi-même comme d’un ego transcendantal, qui, dans sa propre vie, constitue tout ce qui jamais peut être objectif pour moi ; j’ai pris conscience d’un moi, sujet de toute constitution en général ». Quand on parle de liberté, cela renvoie à la possibilité de choisir une action ou bien le contraire de celle-ci, telle que la raison me le propose. L’Etat peut très bien décréter que les citoyens doivent faire prévaloir l’égalité par-dessus tout, cependant il faudrait réfléchir à l’intérêt de cette décision sur l’individu qui doit l’appliquer. En effet, la société est quelque chose de fictif, ce qu’il y a de réel c’est avant tout l’individu qui a conscience de lui-même et de ses semblables. Ainsi, l’Etat ne peut pas réduire ou anéantir l’individu au profit de la société, cette dernière étant une représentation d’un ensemble d’individus. Descartes disait d’ailleurs dans ses Méditations métaphysiques : « Car afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires, mais plutôt d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent ». En réfléchissant d’ailleurs à l’égalité parfaite, nous trouverons quelques inconvénients qui auront des impacts sur le vivre en commun. Si les hommes veulent vraiment l’égalité, ce changement proviendra de chaque individu particulier qui œuvrera en ce sens. La raison en est que vivre une égalité de situation est profitable pour la société et non pour l’individu. Si ce dernier veut l’égalité, c’est seulement en pensée, ou du moins c’est pour mesurer son pouvoir par rapport à celui du dirigeant de l’Etat. Tout compte fait, la liberté dont dispose l’individu est la liberté d’égaliser ou de refuser cette inégalité. Sartre, dans son livre L’Être et le Néant, explique : « La liberté n’est rien d’autre que l’existence de notre volonté ou de nos passions, en tant que cette existence est néantisation de la facticité ».

L’homme aspire profondément à établir l’égalité dans la société mais n’y parvient pas dans la pratique, parce que la contrainte à l’égalité est une limite de sa liberté. Ainsi, la société ne fait rien, c’est l’homme dans son individualité qui accepte ou refuse l’inégalité.

III) La réalité laisse apparaître pour l’essentiel des sociétés inégalitaires

Dans la sphère du droit qui est gouvernée par la raison, l’égalité est la condition nécessaire à appliquer afin que le gouvernement soit juste. Cependant, les conditions pour qu’un gouvernement démocratique se maintienne sans détériorer la qualité de vie des membres sont très délicates. A proprement parler, la première égalité qui devrait s’instaurer est la situation économique, qu’il s’agisse d’un nivellement par le haut ou par le bas. En voulant que tout le monde devienne riche, soit l’Etat intervient via une répartition équitable des biens, soit il y aura une concurrence rude qui amplifie les inégalités. Sur ce, Aristote a parfaitement raison en déclarant ceci dans La politique : « La démocratie s’entend du gouvernement des pauvres ou des gens peu fortunés ». Néanmoins, l’inégalité engendre des conséquences des plus désastreuses, ce qui pousse les membres de la société à la fuir. Mais étant inscrit même dans sa nature, l’homme dans son individualité trouve certains plaisirs à détenir des privilèges que les autres n’ont pas. C’est d’ailleurs la plus grande motivation qui le pousse à travailler davantage, ce qu’il considère comme une manière de dévoiler sa personnalité, sa liberté, donc le droit de ne pas ressembler aux autres. La société, désignant un ensemble d’individus non distincts, a pourtant horreur de cela, tel qu’il se traduit par toutes sortes de décrets consistant à pallier indirectement ces différences. Pourtant, les forces en sa disposition ne parviendront pas à éradiquer l’inégalité, sauf peut-être par la force totalitaire. Hobbes souligne précisément cette inégalité de fait dans la société à travers ces lignes de l’ouvrage Le citoyen ou Les fondements de la politique : « Mais, de quel privilège donc, me diriez-vous, jouissent les bourgeois d’une ville ou les fils de famille, par-dessus les esclaves ? C’est qu’ils ont de plus honorables emplois et qu’ils possèdent davantage de choses superflues ». En effet, l’inégalité persiste parce que l’Etat lui-même est constitué par des individus, donc présentant les caractères universels de tout humain. Certes, ils ont le pouvoir de bâtir une société qu’ils jugent être la meilleure, à savoir celle où règnent la concorde et la justice, et toujours appuyée par l’égalité. Mais entre l’individu et la société, il existe toujours une grande différence de nature qui ne peut être conciliée par la volonté. La société se construit essentiellement sur l’idéal posé par l’individu, alors que l’individu fait valoir d’autres droits au-dessus de ceux qu’il a énoncé pour la vie en société. C’est en ce sens que Kant écrit ce passage dans son livre Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique : « C’est cette résistance qui éveille toutes les forces de l’homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l’impulsion de l’ambition, de l’instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu’il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer ».

Conclusion

Les sujets obéissaient au roi parce que celui-ci possédait un droit de vie et de mort sur eux, et que les soldats lui faisaient preuve de dévotion parce que l’autorité régalienne fut considérée comme provenant des dieux. Cela dit, un gouvernement exercera ses fonctions dans un pur arbitraire, tant que l’instauration de ces individus sur ces postes n’a pas été basée par le droit. Il est vrai que le droit se fonde sur la liberté, mais ce droit ne m’oblige pas à être égal à autrui. L’inégalité est donc un fait, tandis que l’égalité est de droit, ce qui signifie que la volonté de transformer l’inégalité en son contraire n’aboutit pas nécessairement à cet objectif. Effectivement, il est des sociétés qui parviennent à établir l’égalité entre ses membres, à l’exemple des Etats démocratiques. Cependant, les dirigeants n’ont pas le pouvoir de convertir radicalement chaque citoyen au point que celui-ci  perd sa vie individuelle, c’est-à-dire oublier le goût de la liberté. Peut-on espérer rencontrer le bonheur aux dépens de la société ?

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