Dissertations

Une société peut-elle survivre sans Etat ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les études anthropologiques ont découvert que les sociétés traditionnelles se caractérisent par une forme de gouvernement très particulière, accompagnée de valeurs fortement ancrées chez les individus membres. Ce vivre ensemble a pu conserver sa forme originelle depuis des générations successives, et les conflits internes sont rares ou sans une incidence véritable sur la vie communautaire. Ce qui n’est pas le cas des sociétés modernes qu’on comprend généralement sous le terme de démocratique, où les grèves et les requêtes de toutes sortes se déroulent presque de façon périodique. Remarquons alors que l’Etat, qui est considéré comme une institution artificielle mais la plus souveraine de tous, n’est pas toujours en mesure de concorder ses principes avec la réalité sociale. Voici un passage du livre De Cive de Hobbes qui conforte cette promiscuité entre la société et l’Etat : « La plupart de ceux qui ont écrit touchant les républiques, supposent ou demandent, comme une chose qui ne leur doit pas être refusée, que l’homme est un animal politique, selon le langage des Grecs, né avec une certaine disposition naturelle à la société ». Sachant que le sens primitif du mot politique renvoie à l’art de bien gouverner la cité, cela suppose préalablement l’existence nécessaire d’une communauté d’hommes. L’Etat est-il une auxiliaire au service de la société, ou serait-il l’essence même du vivre ensemble ? Cette problématique sera analysée en profondeur à travers les trois paragraphes qui suivent : le premier sera un exposé sur les conditions qui engendrent la paix dans une société ; le deuxième mettra en exergue le rôle de l’Etat en tant que législateur et faiseur d’ordre ; et le troisième sera une synthèse qu’aucune société ne peut plus se passer de l’Etat.

I) La vie en société repose sur des attributs purement qualitatifs

La volonté de se réunir provient également d’un trait commun entre les individus, par exemple les liens de parenté ou l’occupation d’un même métier, ce qui fait songer à l’obtention d’avantages particuliers. En effet, le fait de se réunir dans un même espace dans une période déterminée renvoie à des activités bien précises, désignant chaque membre à un rôle à effectuer. La principale occupation de l’homme consiste à faire tourner l’économie, dont l’importance s’explique par son caractère onéreux. Et même dans le cadre familial, l’objectif dans le partage du même toit est de pouvoir jouir équitablement des biens et ressources acquis par le travail. C’est pourquoi David Ricardo déclare ceci dans son livre Des principes de l’économie politique et de l’impôt : « Dans l’enfance des sociétés la valeur échangeable des choses, ou la règle qui fixe la quantité que l’on doit donner d’un objet pour un autre, ne dépend que de la quantité comparative de travail qui a été employée à la production de chacun d’eux ». Il existe également des activités que l’homme exerce pour la recherche d’un plaisir désintéressé, et qui deviennent par la suite une source de revenus réguliers pour ceux qui s’y spécialisent. Tout compte fait, c’est pour réaliser entièrement sa qualité d’homme que celui-ci se met en contact permanent avec ses semblables. Il pense avant tout à sa personne qui ressent des besoins divers, et se préoccupe également de ses proches et de toute l’envergure où il ressent une certaine appartenance. C’est dans ces conditions que l’homme peut véritablement expérimenter le bonheur, qui doit se manifester dans le confort des choses matérielles et la place dans le monde d’autrui. Ernst Jung fait d’ailleurs cette remarque pertinente dans son ouvrage Le principe de l’espérance : « C’est l’homme sans travail, épuisé de n’avoir plus mangé depuis des jours, qui représente le plus clairement l’état de besoin le plus ancien de la destinée humaine. C’est d’abord l’estomac qu’il faut apaiser ». Il faut revenir à cette explication très primitive pour comprendre que les hommes s’associent en vue de créer des conditions propices à la création des biens. Aussi longtemps que ses membres aient de quoi manger suffisamment, et puissent renouveler les ressources dont ils disposent, la société ne s’éclatera pas. Mais aussi, il est une chose que l’homme ne tolère pas, à savoir qu’on bafoue son honneur devant les autres. Cette question doit se baser notamment sur l’existence de valeurs communes dans le groupe, dont le respect valorise et donne sens à tous les activités et efforts déployés. Il est d’ailleurs impossible pour des personnes ayant des croyances très divergentes de se respecter, ou d’uniformiser volontairement ces valeurs afin de créer une société. Ainsi, l’honneur est à vrai dire une sorte de fierté de posséder certaines valeurs et d’appartenir à un cercle très spécial. Dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant écrit ceci : « Ce qui constitue la condition qui seule peut faire que quelques chose est une fin en soi, cela n’a pas seulement une valeur relative, c’est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c’est-à-dire une dignité ».

En formant une société, les hommes visent l’objectif de satisfaire convenablement à leurs besoins tout en défendant des valeurs qui reflètent leur supériorité de nature. Or, si le travail ne dépendait que des conditions inhérentes à l’homme, le mot misère ne serait même pas créé.

II) L’Etat a pour rôle de réguler les passions débordantes de l’homme

A notre époque contemporaine, la mobilité spatiale entraîne un brassage des races et des cultures, ce qui nécessite un réel effort d’adaptation entre les individus. En vérité, les valeurs et les principes ne peuvent être modifiés par un processus d’uniformisation, cela relève uniquement d’une volonté individuelle. Avec cette culture mixte, la société ne disparaît pas, mais reflète plutôt des signes de désordre, d’incompréhension, et enfin de rejet d’autrui. La seule issue pour que la société puisse encore se tenir en place serait alors l’existence d’un Etat souverain, capable de se faire obéir par ses citoyens. Quelles que soient leurs croyances et leur divergence d’opinions, ils reconnaissent ce pouvoir grâce à sa justice impartiale qui traite tout le monde au même pied d’égalité. « Alors tous les ressorts de l’Etat sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n’a point d’intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être aperçu », affirme Rousseau dans son Contrat social. Il n’y a pas d’autre puissance qui puisse être légitimée pour protéger les hommes contre la mauvaise foi de son voisin. Qui plus est, c’est par l’accord des hommes que l’Etat se forme, c’est-à-dire que les lois qu’il promulgue profitent à tous les citoyens qui y ont transféré leurs droits. En effet, c’est parce que les hommes sont incapables de se mettre d’accord sur des questions litigieuses, en l’occurrence sur le droit de propriété, que la présence de l’Etat devient nécessaire. Hegel s’explique ainsi dans ses Principes de la philosophie du droit : « Cette unité substantielle est un but propre absolu, immobile, dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et ainsi ce but final a un droit souverain vis à vis des individus, dont le plus haut devoir est d’être membre de l’Etat ». Plus les hommes présentent des différences d’opinion et de culture, plus les écarts intellectuels et de niveau de vie s’accroissent, ce qui augmente le risque de confrontation. Et même dans une communauté où l’on observe très peu d’hétérogénéité, d’autres facteurs comme la croissance démographique engendrent des trajectoires économiques très divergentes, propices pour faire éclater des tensions. Ainsi, les questions de survie forcent l’usage des moyens déloyaux, d’où la nécessité de réguler les activités à l’intérieur d’un cadre légal établi par l’Etat. Sigmund Freud évoque d’ailleurs cette idée dans son livre Malaise dans la civilisation : « La grande majorité des hommes ne travaille que sous la contrainte de la nécessité, et de cette aversion naturelle pour le travail naissent les problèmes sociaux les plus ardus ».

La dégradation de la structure sociale bouleverse l’ordre économique et crée en même temps des intentions malveillantes chez l’homme. Cette situation serait intenable si la société n’était pas gouvernée par l’Etat, pourtant son droit et sa force ne parviennent pas toujours à contenir efficacement ces débordements.

III) L’Etat est un pilier central pour pallier les imperfections de la société

En faisant preuve d’imagination, nous pouvons très bien concevoir une société archaïque incluse dans le territoire d’une Nation, mais qui demeure inconnu par l’Etat. Ce qui importe pour que cette société puisse survivre, c’est de laisser à sa population le milieu naturel où leurs ancêtres avaient pu se nourrir. D’ailleurs, cet environnement est riche de signification symbolique, où se maintiennent leurs croyances et leurs représentations du monde. Une fois que cet espace qui leur est propre est détruit, les ressources économiques, les fondations culturelles et le peuple tout entier disparaîtront aussitôt. Claude Lévi Strauss souligne ce passage dans son livre Tristes tropiques : « Ce contraste illustre à mes yeux le paradoxe de la civilisation dont les charmes tiennent essentiellement aux résidus qu’elle transporte dans son flux sans que nous puissions pour autant nous interdire de clarifier ». Quant à une société moderne, c’est par l’existence même de l’Etat qu’elle tire sa modernité. Certes, elle possède des valeurs et principes à défendre, toutefois son fonctionnement dépend essentiellement des lois et règlements stipulés par l’Etat. La raison en est que la composition de la société présente une certaine disparité, car ne provenant pas d’une culture identique. Ainsi, chacun présente des normes de conduite différentes, d’où la nécessité de les unifier sous l’autorité de l’Etat, dont le fondement est basé sur la raison. Donc, une société moderne ne peut survivre sans l’Etat, ne serait-ce que pour la vie économique très développée, où il est indispensable de la régir par la légalité. Spinoza, dans son Traité théologico-politique, déclare ceci : « On appelle aussi la Justice et l’Injustice, Équité et Iniquité, parce que les magistrats institués pour mettre fin aux litiges sont tenus de n’avoir aucun égard aux personnes, mais de les tenir toutes pour égales et de maintenir également le droit de chacun ; de ne pas porter envie au riche ni mépris au pauvre ». Force est de constater que l’Etat rencontre beaucoup de difficulté à endiguer la violence, tant que les questions fondamentales concernant la culture ne sont pas résolues. Notons d’ailleurs que l’Etat n’est pas un artifice ou un outil que l’homme puisse se passer à sa guise, car celui qui n’est pas affilié à l’Etat est ennemi de l’Etat. Il est impossible pour une société de basculer vers un état primitif dépourvu de lois, c’est en quelque sorte un renoncement à l’intelligence et à la raison. Même pour des questions d’efficacité, où certains pensent que la société se porterait mieux sans l’Etat, cela est pratiquement impossible. Dans La politique, Aristote s’exprime ainsi : « Que l’homme soit un animal politique à un plus haut degré qu’une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l’état grégaire, cela est évident ».

Conclusion

Décrite dans un schéma simpliste, la société regroupe des individus qui aspirent aux mêmes intérêts, et qui ne peuvent être atteints qu’à travers cette union. Le travail est l’activité par laquelle l’homme démontre sa valeur et fait légitimer aux yeux de la possession de biens et richesses. Il est donc insensé de voir un individu qui se regroupe avec ses semblables afin qu’il soit entretenu par celui-ci. Certes, l’Etat n’a pas été instauré pour assurer exclusivement une fonction économique, mais son rapport le plus direct avec les citoyens s’observe dans la régulation des activités et tout ce qui est relatif au droit de propriété. En considérant l’essence de l’Etat, un homme raisonnable reconnaît alors facilement la nécessité d’être soumis à son autorité et à ses lois. A vrai dire, la création de l’Etat est un moyen pour faire valoir le droit de chacun, et d’appliquer les mesures nécessaires relatives à ce droit. Le rôle de l’Etat est tout d’abord de conserver non seulement les biens individuels, mais surtout l’identité de la société. Une société peut-elle bâtir un Etat sur l’arbitraire ?

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire