Dissertations

Les hommes vivent-ils en société par intérêt ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Une famille nucléaire se forme sur la base de l’amour, qui se concrétise par le mariage. Cet amour se transmet par la suite aux descendants qui naîtront de cette union, tandis que le vivre ensemble est renforcé par le respect et le partage des valeurs communes. Mais lorsqu’il s’agit d’une société plus étendue, il est difficile de parler d’amour mutuel : les membres sont régis par la crainte d’un pouvoir supérieur qui les soumet sous l’autorité des lois. Néanmoins, on peut dire que les individus disposent d’une liberté qui leur permet de penser et d’agir conformément à l’utilité de chacun. Par conséquent, la société a besoin d’un Etat afin que son pouvoir puisse être reconnu officiellement. Cela se traduit par cette citation d’Aristote, tirée de son ouvrage La politique : « L’Etat, c’est la communauté du bien-vivre et pour les familles et pour les groupements de familles, en vue d’une vie parfaite et qui se suffise à elle-même ». Ainsi, l’Etat a pour mission d’offrir une certaine qualité de vie à ses membres, et ne se réduit pas en un mécanisme pour faire appliquer les lois. Quant à ses membres, chacun conçoit un intérêt qu’il estime être favorable pour les siens, mais qui n’est pas forcément bénéfique pour les autres. Les hommes ont-ils le choix de rompre avec la société au cas où ce qu’elle lui propose ne leur plaît pas ? Cette problématique sera répondue en détails à travers trois paragraphes : le premier analysera les avantages d’avoir un Etat qui gouverne la société ; le deuxième remettra en surface les conflits perpétuels entre les membres d’une communauté ; et le troisième fera une conclusion sur la nécessité de vivre en société, et le projet perpétuel de l’améliorer.

I) L’Etat offre une liberté que l’individu ne peut acquérir par lui-même

Les activités principales de l’homme se traduisent par l’acquisition des biens essentiels pour la survie, ainsi que leur conservation en vue de constituer un patrimoine. Or, ce processus nécessite l’intervention de tous les membres de la communauté, pour occuper un poste particulier et visant les mêmes objectifs. Cependant, le droit de propriété qui résulte de la possession d’un bien privé provoque de temps en temps des litiges. Que ce soit dans la manière de les acquérir ou la façon de les utiliser personnellement, les hommes entrent en conflit parce qu’ils jugent que la manière d’agir n’a pas été juste. Effectivement, le rapport qui gouverne les échanges fait toujours intervenir la force, que ce soit physique, intellectuelle ou financière. C’est en ce sens que Hobbes énonce ce passage dans le Léviathan : « Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs ; mais dans un espace de temps où la volonté de s’affronter en des batailles est suffisamment avérée ». Cependant, cette situation se transformait aussitôt en de réels combats si elle se formait dans une communauté dépourvue d’État : il existe donc des sociétés d’hommes qui fonctionnent normalement, mais selon le droit du plus fort. Suivre les commandements de quelqu’un malgré soi est considéré comme de l’esclavage, et la forme la plus haute de l’aliénation. Ainsi, il faut que les rapports entre les hommes s’établissent par le biais de la liberté, ce qui se traduit par un consentement mutuel sur les règles à suivre. La liberté est donc la possibilité de faire un contrat sous forme d’État, et d’en réaliser les clauses sous l’observation vigilante de cette autorité. C’est cette idée que reflète cet extrait du Contrat social de Rousseau : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant ». La force que possède chaque individu n’étant pas supprimé, elle est plutôt orientée pour servir soi-même et les autres à l’intérieur d’un cadre légal et autorisé. Qui plus est, un membre de l’Etat gagne davantage de liberté que lorsqu’il était livré à lui-même, puisque l’Etat s’engage à le défendre en usant d’une force nettement supérieure que ce qu’il possédait personnellement. Quelle que soit alors sa place hiérarchique, la quantité de ses biens ou encore ses capacités intellectuelles, l’individu sera protégé contre les injustices qu’autrui pourrait lui faire subir. Comme disait Spinoza dans son Traité politique : « Il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres ».

Les sociétés ont tout intérêt à bâtir un Etat afin de supprimer le droit de la force, et laisser la liberté de chacun se manifester à l’intérieur d’un cadre légal. Or, les personnes qui représentent le pouvoir étatique ne sont pas forcément en mesure de faire valoir la volonté générale.

II) Les représentants de l’Etat substituent le bien commun à l’intérêt particulier

Force est de constater qu’il est compliqué de délimiter avec précision ce que le bien commun signifie, puisque le corps social se compose de plusieurs individus qui conçoivent des intérêts divergents. Ainsi, ce terme renvoie à quelque chose de très général, mais dont la concrétisation doit néanmoins atteindre un intérêt particulier. En d’autres termes, il est impossible de fusionner les intérêts particuliers en vue de constituer l’intérêt général, puisque ce dernier se présente uniquement de manière formelle. Si on parle donc d’intérêt général, cela se manifeste dans le concret par un intérêt particulier qui a seulement changé de dénomination. Marx et Engels, dans L’idéologie allemande, écrit ceci : « Et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts des classes déjà conditionnées par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l’une domine toutes les autres ». Autrement dit, en réfléchissant à ce qui pourrait faire fonctionner les choses publiques, ils ne peuvent se référer qu’aux choses qui les concernent en particulier. En effet, le fait de gouverner est une affaire de choix, plus précisément un choix sur plusieurs intérêts qui s’offrent aux gouvernants. Si ces derniers choisissent alors les leurs pour représenter l’intérêt général, c’est parce que leurs propres intérêts sont ce qu’ils connaissent le mieux et qu’ils jugent naturellement être une priorité. Certains l’interpréteront comme de l’égoïsme pur, et pourtant l’on observera que chaque parti qui se succède au pouvoir agira pareillement. Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, évoque ce passage : « Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie, _comme si le bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône _et souvent aussi le trône est dans la boue ». Cela signifie qu’une nouvelle forme de conflit naît avec l’apparition de l’Etat, à savoir le fait de détenir et de conserver le pouvoir. Ainsi, les conflits d’intérêts se présentent essentiellement en un affrontement entre les différents groupes puissants dans la société, en dénonçant l’injustice opérée par l’Etat. Pour les conflits faisant intervenir des entités de faible envergure, ils sont facilement remis à l’ordre par l’autorité de l’Etat. Le peuple prend alors conscience que l’Etat a été institué pour une question d’intérêt, mais qui ne lui fait profiter en rien, sans que celui-ci ne puisse se soustraire à son autorité. Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique disait ceci à propos de l’Etat : « Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à réjouir ».

L’Etat place le peuple dans une situation qui favorise la sécurité, l’égalité, en bref tout ce qui est en rapport avec le droit, mais qui le détourne des réels avantages matériellement parlant. Si les hommes ont caressé le rêve de vivre en sécurité en bâtissant l’Etat, ils seront aussitôt déçus par ce système qu’ils ont délibérément choisi.

III) Les hommes vivent en société par nécessité

Les théoriciens ont imaginé l’invention de la première société humaine, mais en réalité l’homme a toujours et déjà été inscrit dans une communauté effective. La forme de gouvernement varie également en fonction de la culture en question : certains sont dirigés par les aînés, d’autres par les nobles ou encore par le pouvoir sacerdotal. Et ce système préétabli ne changerait qu’à travers une révolution, qui se prépare progressivement avec ses défaillances internes, ou avec l’abolition de certaines croyances. Les individus, par contre, ne choisissent pas leur culture et la société dans laquelle ils sont nés, et même en se comparant avec les communautés voisines, ils ne peuvent pas changer grand-chose avec leur force individuelle. « La civilisation doit ainsi être défendue contre l’individu, et son organisation, ses institutions et ses lois se mettent au service de cette tâche », fait remarquer Sigmund Freud dans L’avenir d’une illusion. Cela dit, l’individu n’a pas vraiment le choix, il ne peut pas s’exclure de la société mais ne peut non plus réformer l’ordre établi. Il est vrai qu’il soutire certains intérêts en vivant avec ses semblables et sous la protection de la loi, mais cela est nettement inférieur par rapport à ce que les dirigeants bénéficient en gouvernant les autres selon leur guise. En effet, les vrais mécanismes de l’Etat se réalisent derrière un maquillage agencé avec soin, c’est pourquoi il est difficile de le dénoncer. Ernst Bloch disait d’ailleurs dans L’Esprit de l’utopie : « Si la peur et le mensonge viennent à disparaître, il sera bien difficile à l’Etat d’être, ou même de susciter encore un grand respect ». Si la politique proposée par l’Etat ne plaît pas aux citoyens, les dirigeants peuvent très bien avancer l’argument selon lequel la décision a été prise pour l’intérêt suprême de la Nation. Nul ne peut déroger à cette règle, même si le peuple a réellement conscience que ce qu’il fournit est le strict nécessaire. Mais puisque vivre en société est une chose incontournable, l’individu a le devoir de la métamorphoser selon ses propres intérêts. Son pouvoir ne peut pas se mesurer avec celui du dirigeant, toutefois il possède une certaine liberté pour faire valoir ses aspirations personnelles, et ce, avec une évolution très lente. C’est en ce sens que Hegel, dans ses Leçons sur la philosophie de l’histoire, déclare : « Il s’agit toujours du contenu de ma conviction, du but de ma passion, de savoir si l’un ou l’autre est vrai en sa nature. Mais inversement, s’il l’est, il lui appartient d’entrer dans l’existence, de se réaliser ».

Conclusion

Etant donné que chacun voudrait faire prévaloir son droit souverain, mais ce droit étant impuissant devant la force, cela entraîne une violence interminable où le plus fort aura le dernier mot. Mais en tant que citoyen, il aura aussitôt conscience que sa liberté est d’autant plus grande lorsqu’il agit dans un cadre régi par des lois, c’est-à-dire qu’il acquiert les mêmes droits que ceux qui sont pourvus davantage de force. Le fait de vivre sous l’autorité bienveillante de l’Etat est une chose fort louable, pourtant nous pouvons encore émettre certaines critiques à propos de cette forme de gouvernement. Ce que nous désignerons comme intérêt général dépend en effet de ce qu’en pensent les gouvernants, ces derniers étant eux aussi des personnes particulières. Certaines personnes ont donc pris conscience des avantages que les dirigeants ont pu acquérir grâce au pouvoir, alors que la masse se console des petits plaisirs que l’Etat fait miroiter à leurs yeux. L’intérêt que l’individu puisse tirer de la société a donc été soigneusement calculé, et cela est toujours accompagné d’une idéologie stipulant que l’Etat est le seul pourvoyeur. Néanmoins, il existe des marges de manœuvre possibles pour le citoyen afin d’améliorer sa condition, tel que l’Etat le lui permet. Une société d’hommes, à cause d’un conflit interne, peut-elle se dissoudre à jamais ?

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