Dissertations

Vit-on en société pour satisfaire nos désirs ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

En réfléchissant sur notre existence, nous réalisons qu’il est des choses que nous subissons sans que nous l’ayons choisi. Être né homme ou être née femme n’a pas été un choix, mais nous assumons quand même les conditions auxquelles nous sommes livrés. Notre bonheur ne dépend non plus de nous ni d’autrui, et le but auquel nous aspirons n’est pas nécessairement à notre avantage. Les désirs que nous ressentons sont en effet un signe émanant de notre for intérieur pour dévoiler notre volonté de vivre, et de répondre encore à cet appel du corps et de l’esprit. Néanmoins, les choses qui adviendront dans le futur ne sont pas fonction de la réalisation de ces désirs. Il existe alors une idée confuse produite par l’enchevêtrement du devoir et du désir. Cette citation de Hume, tirée de l’Enquête sur l’entendement humain, fait surgir une réflexion profonde : « Nous ne voyons pas que le désir fantastique de prouver notre liberté est alors le motif de notre action ». L’homme ne peut pas refuser son devoir, ce qui ne s’accomplit qu’à l’intérieur de la société où nous aurons également la possibilité de satisfaire nos désirs. Or, le conflit entre le devoir et le désir pousse parfois à fuir la société. La vie en société permet-elle de combler entièrement l’humain sur tous les plans ? Afin de décortiquer cette problématique, nous allons adopter un plan à trois parties : premièrement, l’homme est plus épanoui en vivant avec ses semblables ; deuxièmement, être en société implique des pressions intenses ; et troisièmement, la satisfaction des désirs n’est pas un but en soi.

I) Les désirs se forment à travers l’interaction avec autrui

L’individu n’est pas capable de produire par lui-même tout ce dont il a besoin, il s’adresse à autrui afin que celui-ci lui rende service ou lui échange des biens. En se comparant avec ses semblables, il est capable d’améliorer ses conditions de vie, et de créer des besoins supplémentaires qui procurent davantage de satisfaction et de bien-être. Si l’homme vivait à l’état sauvage, c’est-à-dire à l’écart du contact avec ses semblables, il n’aurait pas la possibilité de développer ses capacités de création. En effet, les instincts de survie se déploient à travers la technique en transformant simplement les produits que lui offre la nature. Et ces produits se diversifient en termes de qualité pour susciter plus de désir à vouloir les posséder. Comme disait Aristote dans La politique : « La première union nécessaire est celle de deux êtres incapables d’exister l’un sans l’autre ». Cependant, autrui ne se réduit pas à un statut de chose, il y a ce désir d’être avec autrui qui dépasse la simple utilité matérielle. Bien évidemment, le fait de côtoyer autrui procure un équilibre psychologique, ce qui doit également s’accompagner d’une estime de soi et envers soi de la part des autres. Le désir consiste donc principalement en un désir de reconnaissance sous toutes les formes, puisque c’est à travers autrui que nous pouvons déclarer que nous existons réellement. Occuper le même foyer, faire des activités ensemble ou dans un même local ne renferment pas le sens de vivre avec autrui, lorsqu’il n’y a pas de reconnaissance. Considérons ce passage de L’Être et le Néant de Jean Paul Sartre : « Il faut, pour la satisfaire, un sentiment qui s’adresse tout entier à sa personne, c’est-à-dire à sa liberté plénière et qui soit une reconnaissance de sa liberté ». Cet extrait évoque un premier rendez-vous amoureux entre un homme et une femme, qui est une situation qui dépasse largement le fait d’occuper un même lieu dans l’espace comme nous le faisons au quotidien. Avoir un rencart provoque en effet une satisfaction intérieure d’être appréciée par les hommes, et le fait d’être en couple est le prolongement de ce sentiment dans une durée indéterminée. Pour ceux qui désirent vivre solitairement, ils souhaitent intérieurement réaliser des projets qui ne coïncident pas toujours avec la volonté de tous. S’écarter des autres serait donc un moyen pour que ces derniers puissent respecter son choix, c’est-à-dire une sorte de reconnaissance forcée. Cette idée rejoint celle qui est évoquée par cette citation de Freud, issu de ses Essais de psychanalyse : « Notre raison et notre sentiment se refusent, certes, à admettre une association aussi étroite entre l’amour et la haine, mais la nature sait utiliser cette association et maintenir en éveil et dans toute sa fraîcheur le sentiment de l’amour ».

Le désir d’être avec autrui est l’élan le plus fort qui nous pousse à former une communauté, ce qui permet par la suite tout un éventail de désirs basés sur la matérialité. Mais le fait de vivre en société ne présente pas toujours des situations qui s’accordent avec nos attentes.

II)) Les représentations sociales ne concordent pas forcément avec nos désirs

La première société qui s’était formée parmi les hommes était certainement issue d’une nécessité, et les aspirations fraternelles qui unissaient ses membres se tissaient et s’amplifiaient au fil du temps. Réalisant l’impossibilité de vivre au dépens de soi-même, la communauté a donc établi diverses conditions afin qu’elle puisse se maintenir indéfiniment à travers les générations. Pour cela, imposer des règles est de mise, dont la légitimation est issue d’une vision commune, se traduisant par des pratiques et des croyances sur le monde et les hommes. Par conséquent, ces exigences donnent lieu à des devoirs dont la réalisation n’est pas nécessairement motivée par l’amour ou la sympathie. Voici une description très simple tirée des Définitions d’Alain : « Le devoir est obligatoire, mais non point forcé ; et aucune récompense n’est jamais en vue, ni même aucune joie ». L’accomplissement du devoir se manifeste alors dans des situations tellement compliquées, et y renoncer implique une marginalisation, indirecte la plupart du temps, de la part de la société. En effet, le désir de vivre avec ses semblables s’accompagne d’une aspiration plus grande, qui est de bâtir un monde nouveau, en marge par rapport à ce qui est déjà. Mais ce souhait se heurte aux représentations sociales qui imposent une pensée uniforme à tous ses membres. Effectivement, nombreuses sont les situations qui ne nous plaisent pas dans la société, entre autres les situations inégalitaires ou les jugements de valeur basés sur des fondements irrationnels. Dans ses Écrits sur la religion, Pierre Joseph Proudhon affirme ceci : « Si nous admettons ce système de croyance dont nous avons reconnu, d’ailleurs, la spontanéité, l’universalité, l’authenticité, et même le côté splendide et consolateur, nous n’avons plus de règles ni pour la direction de notre esprit, ni pour notre vie ». Il y a donc ce désir de penser autrement, qui n’est pas forcément un désir de se distinguer des autres, mais plutôt de trouver la vérité par soi-même, s’assumer par ses propres moyens et de vivre une vie qui n’est pas conditionnée par la réussite des autres. La société nous indique la voie sûre qui ne trompe pas, et blâme lourdement les erreurs qui auraient pu être évitées si l’individu avait suivi ses sages conseils. La raison d’être du désir n’est pas d’enfreindre les interdits : en ce qui concerne la liberté de penser, c’est une manière d’affirmer que le vrai et le bien ne sont pas conditionnés par l’efficacité ou la réjouissance de l’assemblée. Cette idée est clairement exprimée dans Le gai savoir de Nietzsche : « Ce ne fut que très tardivement que se présentèrent des gens qui nièrent ou mirent en doute ce genre de propositions, ce ne fut que très tardivement que surgit la vérité, cette forme la moins efficace de la forme de la connaissance ».

Endiguer les désirs qui tendent vers la possession matérielle est un rôle que la société assume à merveille, tandis qu’il est plus compliqué de soumettre tous ses membres à une pensée unique. La société constitue alors une autolimitation à la liberté individuelle.

III) La société censure la liberté de l’homme à combler ses désirs

Les règles et les lois délimitent les interdits, ce qui fait d’ailleurs l’unanimité parmi les membres de la société. D’une part, l’objectif n’est pas de donner libre cours à tous les désirs, et d’autre part les hommes ne trouvent pas toujours satisfaction en vivant parmi ses semblables. La nature humaine renferme une disposition particulière qui tend à imposer ses idées aux autres, c’est-à-dire de faire admettre la vérité à tout le monde, ce qui est précisément l’origine de leur insociabilité. Et le désaccord entre les idées entraîne des conflits d’intérêt, où certaines actions sont admises alors que d’autres ne le sont pas. En somme, la société œuvre dans un souci d’uniformisation, qui est synonyme d’ordre et d’égalité. Voici ce qu’en pense Kant, selon cet extrait de l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique : « Sans ces qualités d’insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à jamais enfouis en germes, au milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuels parfaits ». D’ailleurs, la société a été bâtie dans le but de protéger les biens et les personnes, et non pas pour que les désirs tous confondus soient réalisés. En conséquence, il est tout à fait légitime que la force des lois interdit certains actes prohibés, et ce, pour le bien de tous. Mais il y a une chose qui échappe au pouvoir de la société, notamment interdire aux gens de penser librement. Puisque l’accomplissement d’un désir renvoie à un acte observable, les punir selon la loi relève de sa compétence. Cependant, la société ne peut pas observer ni agir sur la pensée, qui est d’ailleurs une liberté inaliénable. Comme disait cette citation d’Epictète tiré son Manuel : « Les choses qui dépendent de nous sont naturellement libres, sans empêchement, sans entrave ». En vérité, il est très facile de satisfaire un désir physique aussi bien que de le réprimer, mais dans les deux sens, cela renferme quelque chose de plus profond. L’action est une manière d’exprimer sa liberté, et la liberté elle-même provient avant tout de la pensée. L’homme a le droit de choisir, ce qui est préalablement éclairé par une pensée libre. Ainsi, se conformer aux pratiques de la société, à condition que cela soit choisi librement, est une chose vivement appréciée. Faire le contraire, c’est-à-dire satisfaire des désirs qui sont contre les valeurs de la société mais conformes à la raison, est également une manière d’exprimer sa liberté. Toutefois, la société est en droit d’appliquer les sanctions face à des actes prohibés par la loi, même s’ils ont été effectués au nom de la raison et de la liberté. Ceci est renforcé par ce passage des Méditations métaphysiques de Descartes : « De façon que cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, et le plus bas degré de la liberté ».

Conclusion

Il existe une tension intérieure qui nous pousse à sympathiser avec autrui, dont la présence est bien plus importante que celle de tout autre objet dans le monde physique. Et même lorsque le désir est désir de posséder une chose, cela renvoie toujours à une reconnaissance d’autrui dans le milieu où nous sommes. Cependant, les désirs humains ne s’arrêtent pas là, car l’homme aspire à réaliser des œuvres qui portent individuellement son nom, et ce, en pensant le monde autrement. Il se peut que la société nous fournisse une vie confortable, cependant elle nous soumet dans une situation de tutelle. Les désirs humains comprennent alors ceux qui contribuent à la vie en société, et ceux qui remettent en question l’ordre établi par les croyances. Face à ces deux situations inconciliables, l’homme doit faire un choix entre s’affilier à la sécurité offerte par la société, ou suivre un chemin nouveau qui fait douter le grand nombre. Les lois édictées par la société sont-elles nécessairement avantageuses pour tous ?

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire