Dissertations

Une opinion est-elle nécessairement fausse ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La science connaît bien le champ de son discours, sans perdre de vue les limites du vrai et du faux. Par contre, ceux qui sont tombés dans l’opinion entrent dans un débat interminable pour aboutir en fin de compte à une divergence incompatible. L’homme n’est pas vraiment neutre devant la connaissance, il recherche la position idéale où il pourra tirer avantage de ce qu’il sait. Cela dit, il existe une nette différence entre la fausseté et l’erreur, dans le sens où l’erreur est une fausseté accompagnée d’une inconscience. L’échec des hommes provient le plus souvent des erreurs, puisqu’une raison éclairée n’aurait aucune difficulté à déceler une fausseté dans le discours. Voici une illustration offerte par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : « Toute secte, comme on sait est un titre d’erreurs ; il n’y a point de secte de géomètres, d’algébristes, d’arithméticiens, parce que toutes les propositions de géométrie, d’algèbre, d’arithmétique, sont vraies ». Il est vrai que l’émergence d’une secte est un phénomène propre à la religion, pourtant il est des opinions animant avec effervescence les discussions, qui tombent aussitôt dans l’oubli. Si une idée n’a pas pu convaincre la masse, soit elle est dangereuse à appliquer, soit elle recèle une fausseté. Le critère de la vérité se dévoile-t-elle par la démonstration ou par l’adhésion de la masse ? Afin de répondre à ce questionnement, nous allons dresser une analyse à trois paragraphes : premièrement, l’opinion se distingue de la science par l’absence d’une cohérence dans le raisonnement ; deuxièmement, l’opinion provient de la déformation de la réalité ; et pour terminer, le sens commun détient un rôle important à jouer dans l’élaboration d’une opinion.

I) L’opinion renvoie à l’absence de preuve rationnelle

Le scientifique effectue ses recherches sans être influencé par des motifs extérieurs, et n’a pas pour but de plaire à qui que ce soit. La vérité de son discours lui suffit, et il sait pertinemment que les fruits de son labeur seront acceptés sans réserve par ceux qui se laissent éclairer par la raison. Les hommes du commun, quant à eux, se laissent facilement convaincre par l’opinion, c’est-à-dire les idées qui sont communément admises. Pour asseoir une opinion, on peut fournir une infinité d’exemples en guise d’appui, alors que ces illustrations pourraient ne pas avoir de structure commune entre elles. La science, pour sa part, ne considère pas les exemples comme étant une preuve, sinon elle perdrait sa valeur conceptuelle. « D’où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les mathématiques pures, et particulièrement dans l’arithmétique et dans la géométrie, doivent avoir des principes dont la preuve ne dépende point des exemples ni par conséquent ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans les sens on ne se serait jamais avisé d’y penser », fait remarquer Leibniz dans ses Nouveaux essais sur l’entendement humain. En effet, les fruits de la science paraissent au début comme quelque chose d’étranger, mais puisqu’ils sont déjà prêts à l’emploi, le reste du monde les assimilera petit à petit à travers l’habitude. Rappelons cependant qu’avec ou sans les travaux de la science, le monde évolue comme il l’a toujours été, c’est plutôt la recherche du pourquoi sur le monde qui compte dans la science. Ainsi, la vérité du discours est le point de clivage par lequel la science se sépare de l’opinion. Cela se traduit par ce passage de la Critique de la raison pure de Kant : « On a pourtant besoin des concepts des choses (lesquels, par conséquent, pour ce qui en regarde la pureté parfaite, ne tirent leur origine que de la raison) afin de déterminer proprement la part que chacune de ces causes naturelles a dans le phénomène ». Autrement dit, la science se base sur les concepts et les liaisons nécessaires entre elles pour former son discours. En l’absence de ces concepts, ce qui requiert d’ailleurs des définitions précises, le raisonnement sera facilement réfuté par le premier argument qui nous vient à l’esprit, comme c’est le cas de l’opinion. Il est certain que la vérité consiste en l’adéquation du discours avec l’objet en question, cependant la présence de l’objet ne nous permet pas de débiter des contenus incohérents et superficiels à son propos. Afin de bien délimiter la vérité de la fausseté, il est donc nécessaire de déployer la force de la raison, puisque la perception de l’objet en tant que matière ne fournit pas une explication suffisante sur celui-ci. Aristote précise ceci dans son Organon : « La science et son objet diffèrent de l’opinion et de son objet, en ce que la science est universelle et procède par des propositions nécessaires, et que le nécessaire ne peut pas être autrement qu’il n’est ».

L’usage de concepts issus de la raison offre une base solide pour asseoir la vérité d’un discours scientifique, contrairement à l’opinion qui se contente des idées rassemblées de manière fortuite. Mais puisque les hommes du commun trouvent un emploi efficace à l’opinion, celle-ci n’est pas totalement fausse.

II) La description superficielle des faits engendre une opinion

Une opinion a pour caractère de se présenter en plusieurs modes d’être, autrement dit elle se met le plus souvent en parallèle avec d’autres idées parallèles concernant le même fait ou le même objet. Il est donc très compliqué de discerner lequel de ces opinions est conforme avec la vérité de l’objet, et les tentatives pour éclaircir une opinion sont aussitôt abandonnées. Ainsi, on classifie une idée dans la catégorie d’opinion lorsqu’elle n’a de support que l’observation des faits. En effet, ces derniers ne parlent pas d’eux-mêmes, il faut l’intervention de la volonté humaine pour qu’ils aient un sens. Cela dit, le résultat reflète essentiellement des impressions ressenties personnellement par l’observateur, mais aussi les idées préconçues d’après des expériences ultérieures. Pascal disait ceci dans ses Pensées : « Imagination. _C’est cette partie décevante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours ; car elle serait de règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible du mensonge ». Pour pouvoir affirmer quelque chose sur un phénomène, l’homme du commun doit puiser dans le souvenir des impressions, procéder par analogie, puis étendre ces données en quelques fantaisies créatrices. On peut dire que face à l’objet, nous n’avons aucune connaissance de celui-ci, bien que nous puissions établir quelques ressemblances avec d’autres objets rencontrés ailleurs. C’est pourquoi nous nous attribuons le droit de donner une opinion sur cet objet, mais avec une bonne part de subjectivité qui n’est pas toujours porteur de vérité. Ainsi, nous nous efforçons de croire comme vrai ce que nous pensons, sans nous dire que c’est nous-mêmes qui avons créé ce discours. Cette idée peut être illustrée par cet extrait du Livre du philosophe de Nietzsche : « C’est dans un sens aussi restreint que l’homme veut seulement la vérité : il convoite les suites agréables de la vérité, celles qui conservent la vie ; envers la connaissance pure et sans conséquence il est indifférent, envers les vérités préjudiciables et destructrices il est même hostilement disposé ». Face à une opinion, nous sommes portés à l’accepter ou à la refuser selon le jugement que nous l’attribuons. Il s’agit ici d’un autre jugement émanant cette fois-ci de l’auditeur, qui va doubler l’appréciation subjective de celui-ci qui a inventé cette opinion. Par conséquent, nous sommes enclins à porter une appréciation sur la pertinence de l’opinion, mais puisque nous avons affaire à une affirmation dont l’origine n’est pas vraiment fondée, il est certain que notre jugement renferme une double erreur. Débattre sur une opinion est donc un chemin glissant qui oppose plutôt la puissance des deux interlocuteurs que le raisonnement. C’est pourquoi Eric Weil écrit ceci dans sa Logique de la philosophie : « Il l’accepte parce que la seule autre issue est la violence, si l’on exclut, comme nous l’avons fait, le silence et l’abstention de toute communication avec les autres hommes : quand on n’est pas du même avis, il faut se mettre d’accord ou se battre jusqu’à ce que l’une des deux thèses disparaisse avec celui qui l’a défendue ».

Le fondement d’une opinion repose sur les mouvements instables de l’esprit, mais celui qui adhère n’en a pas du tout conscience. Il est donc imprudent de notre part de lui faire confiance, et c’est par le plus grand des hasards qu’elle puisse contenir une vérité.

III) La société est responsable de la formation et du maintien d’une opinion

Il est tout à fait possible de dévoiler la vérité ou la fausseté d’une opinion, en élaborant une recherche purement objective sur les faits concernés. Les journalistes, les enquêteurs ou encore les historiens sont d’ailleurs des spécialistes dans ce genre d’investigation, car leur métier consiste à rendre service à la communauté en leur disant la vérité. Une fois le voile sur l’opinion levé, soit celle-ci sera abolie une fois pour toutes, soit elle détiendra un nouveau statut en guise d’information officielle. Cela prouve qu’il n’est pas impossible qu’une opinion renferme la vérité, mais nous sommes tout simplement dans l’incompétence de le savoir. Remarquons ce passage d’ouvrage Psychologie des foules de Gustave Le Bon : « Entre un célèbre mathématicien et son bottier un abîme peut exister sous le rapport intellectuel, mais au point de vue du caractère et des croyances la différence est souvent nulle ou très faible ». Cela signifie que tout le monde est exposé à des opinions aussi longtemps que nous vivons parmi nos semblables. Nous ne pouvons pas garantir à cent pour cent que nos choix et nos comportements résultent d’une connaissance scientifique de notre milieu. Et même pour la science, c’est toujours la société qui la transforme inconsciemment en opinion, c’est-à-dire en une vérité générale dont on a oublié les fondements. Et même après avoir prouvé la vérité d’une opinion, nous serions tentés de la contester en pensant que c’est la démarche pour constituer l’opinion qui est de nature incorrecte. Sur ce, considérons cette définition fournie par Saint Thomas dans sa Somme Théologique : « On définit la vérité par la conformité de l’intellect et du réel. Connaître cette conformité, c’est donc connaître la vérité ». A vrai dire, l’opinion a été établie sur une démarche contraire à la raison : sur ce point précis, elle est nécessairement fausse, et c’est par hasard que la vérité a pu se rencontrer dans son discours. Et même si l’on admet que l’opinion soit fondée sur des préjugés, il y a des chances que ces préjugés puissent être vrais. La vérité en question sera alors l’accord entre le discours et l’objet, c’est uniquement dans ce sens qu’il est possible de mettre au clair le statut de l’opinion. Un préjugé incorporé par un seul individu ne peut pas faire de mal qu’à lui-même, tandis que sa propagation dans la masse devient une opinion qui est difficile à éradiquer. C’est en ce sens que Hobbes déclare ceci dans Le Citoyen ou Les fondements de la politique : « Car les choses qui nous sont proposées à croire étant au-dessus de la portée de notre esprit, l’exposition ne les rendra jamais plus évidentes, et, au contraire, plus on tâche de les éclaircir, plus obscures et plus incroyables elles deviennent ».

Conclusion

Personne ne songe à connaître la procédure scientifique, car cette dernière prêtera à confusion l’esprit du grand nombre. Ce qui importe c’est l’efficacité du produit, et cela leur suffit comme preuve pour dire que le discours du scientifique est vrai. Mais la raison offre ce qui manque à l’opinion, à savoir l’usage d’un concept dans son discours. Par contre, une opinion renferme des éléments tirés de l’objet, mais également des éléments qui ont été ajoutés selon le bon vouloir de l’homme. De là viennent les débats interminables sur les idées opiniâtres, car rappelons que l’opinion nous convainc au même degré qu’elle nous impressionne par des faits extraordinaires. Faisant partie même de notre quotidien, l’opinion est un moyen couramment utilisé pour appréhender le monde physique et le rapport avec autrui. Mais les hommes ne se soucient guère de connaître la vérité, aussi longtemps que la situation actuelle les réjouit, mais s’empressent aussitôt de la rechercher une fois que leurs avantages ont été bafoués. Peut-on croire à la vérité ?

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