Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
C’était en Grèce, avec le passage du mythe au discours, que la connaissance est devenue un objet de réflexion pour la philosophie, ce qui a transformé dans la même foulée le statut de la connaissance comme étant un savoir rationnel. Quelques siècles plus tard, la naissance des diverses branches de la science, étudiant des objets issus de la nature ou concernant l’homme, prouve que la connaissance est accessible au grand nombre, et que rien ne peut échapper à l’œil vigilant de la science. Mais acquérir un savoir ne signifie pas nécessairement avoir des diplômes, c’est plutôt avoir un esprit critique, être cultivé et se questionner sur le monde. On peut emprunter cette description fournie par Michel Foucault : « Entre l’opinion et la connaissance scientifique, on peut reconnaître l’existence d’un niveau particulier, qu’on propose d’appeler celui du savoir, il comporte des règles qui lui appartiennent en propre ». De nos jours, un ignorant est compris comme étant un illettré, un individu qui n’a pas les moyens d’acquérir des connaissances élémentaires. Or, cette catégorie de personnes n’est pas problématique en soi : ce sont ceux qui préfèrent rester dans le confort de l’opinion qui suscitent une interrogation. Avons-nous des arguments valables pour dénigrer la valeur de la connaissance ? Ce questionnement sera traité à travers trois paragraphes distincts : d’une part, nous expliquerons l’origine et la portée d’un savoir scientifique ; d’autre part, nous remettrons en surface la liberté humaine pour adhérer aux idées qui conviennent à chacun ; et pour terminer, nous synthétiserons que le scepticisme et le relativisme sont des manières élégantes pour renoncer à la connaissance.
I) Un savoir authentique est marqué par le sceau de la raison
Une erreur peut passer inaperçue et ne changer aucunement l’ordre des choses, pourtant cela engendre une grande frustration dans le sens où nous étions incapables par nous-mêmes de discerner le vrai du faux. En effet, le discours sur le monde physique et sur la manipulation de celui-ci peut facilement se rectifier, car il suffit de l’observer d’après ses effets dans le concret. Cependant, lorsqu’il s’agit de connaissance théorique, par exemple les lois concernant les choses humaines, nous avons beaucoup à dire, ce qui laisse librement notre entendement divaguer dans certaines extravagances. Kant souligne cette idée dans sa Critique de la raison pure : « Donc le critère simplement logique de la vérité, c’est-à-dire l’accord d’une connaissance avec les lois générales et formelles de l’entendement et de la raison est, il est vrai, la condition sine qua non et, par suite, la condition négative de toute vérité ; mais la logique ne peut pas aller plus loin ». Afin que la science puisse bien asseoir la vérité de son discours, elle doit s’orienter précisément sur son objet et en faire une observation minutieuse. La logique étant son outil de base, celle-ci lui servira à enchaîner les causalités entre les faits qui surviennent dans cet objet, pour qu’on puisse enfin déduire une loi ou une théorie. Les lacunes dans les sciences humaines proviennent alors de la difficulté à saisir la réalité de l’objet, tellement celui-ci se présente de manière disparate, hétérogène et changeante. Il est plus compliqué de déceler l’erreur dans les sciences comme l’anthropologie ou la sociologie, puisqu’on peut toujours observer dans les faits ce qui a été dit, sans jamais être certain sur les causes de ces phénomènes. Dans son livre Le Rameau d’or, James Georges Frazer évoque la tâche difficile que s’est occupé l’anthropologie : « En des mains expertes, elle deviendra un puissant instrument de progrès, si elle met à nu les points faibles de fondations sur lesquelles est bâtie la société moderne, si elle révèle qu’une bonne part de ce que nous avons l’habitude de considérer comme solide repose sur le sable de la superstition, plutôt que sur le roc de la nature ». Sachant que le but de la science est de débiter un discours vrai sur son objet, sa méthode devra se rectifier afin de se rapprocher davantage de la véritable nature de celui-ci. En effet, il n’y a pas de méthode idéale en science, étant donné que l’objet reste figé dans sa nature mais c’est notre tension vers sa recherche qui produit quelques tâtonnements, donc une rectification continuelle. Les sciences physiques sont surtout sujettes à une falsification expérimentale, qui est un moyen de débiter d’autres théories sur la base de nouveaux outils jugés plus pertinents. C’est pourquoi la vérité du savoir scientifique repose essentiellement sur l’intervention de la raison qui fait concorder le réel et les outils conceptuels. « La vérification n’est pas seulement, comme dans toute vie pratique, exposée à l’erreur possible et exigeante à l’occasion des corrections. Il y a ici, dans chaque phase de l’évolution de la science de la nature, une méthode et une théorie tout à fait correcte, dans laquelle toute « erreur » doit être tenue pour exclue », explique Edmund Husserl dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.
Les sciences de la nature aussi bien que les sciences humaines proposent des théories vraies, quel que soit le subtil décalage qui les sépare de leur objet. Et parallèlement, l’homme peut prétendre détenir une connaissance même en dehors de la science.
II) L’expérience nous enseigne largement sur nous-même et notre milieu
A notre époque actuelle où la science est tellement plébiscitée, tout un chacun est en mesure de comprendre son contenu et de le destiner à divers usages pratiques. Cela dit, il est désormais difficile de cerner les frontières entre ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas, ce qui nous fait pencher pour les vérités toutes faites et se dévoilant comme une évidence. Mais également, nombreux sont ceux qui idéalisent la science et refusent toute affirmation qui ne porte pas cette étiquette, alors qu’ils sont eux-mêmes étrangers au fondement et à l’élaboration de cette connaissance. Dans Le livre du philosophe, Nietzsche déclare ceci : « Sa méthode consiste à prendre l’homme comme mesure de toutes choses : mais de ce fait il part de l’erreur de croire qu’il aurait ces choses immédiatement devant lui en tant que purs objets ». Rappelons que le but n’est pas de convertir le monde entier en scientifique, cependant il faudrait dénoncer ce penchant à dévaloriser la science comme étant une procédure artificielle, et qui aboutit en fin de compte à un résultat très simple. Autrement dit, l’erreur est de penser que la science est du même ordre que l’opinion, parce que les deux convergent vers le même discours, sauf que l’opinion y est parvenue via un chemin raccourci. Mais Gilles Deleuze précise cependant que : « Le concept, c’est ce qui empêche la pensée d’être une simple opinion, un avis, une discussion, un bavardage ». Même si notre pensée décale du cadre du raisonnement scientifique, nous avons toutefois la certitude selon laquelle les idées que nous débiterons sont conformes à la réalité. Ou du moins, nous croyons inconsciemment que notre pensée est vraie au même titre que la science, pour la simple raison que d’une part, nous nous référons à ce même objet que la science s’est donnée d’étudier, et que d’autre part les connaissances que nous avons personnellement formées ne nous ont jamais trompées jusqu’ici. Les connaissances fournies par l’expérience sont certes utiles et efficaces, mais l’illusion vient du fait que nous sommes enclins soit à méconnaitre la science, soit à l’idéaliser pour assimiler sans véritablement comprendre ce qu’elle nous propose. « C’est que les objets réels ne sont ni des nombres, ni des triangles ; aussi l’on soupçonne que l’esprit n’a égard ici qu’à lui-même, et qu’il défait le savoir du comptable et du tailleur de pierre. Les sciences théoriques, tour à tour estimées et méprisées, perdent de vue leur fin véritables », constate Alain dans Les Idées et les Âges.
Les hommes du commun préfèrent les idées toutes faites, pratiques et évidentes, que celles-ci aient été une formulation simpliste des théories de la science, ou le fruit d’une discussion sympathique avec son voisin de palier. Les hommes ne renoncent pas à la connaissance, ils ont oublié la définition de la vérité.
III) Renoncer à la connaissance c’est faire abstraction aux conditions de vérité
A travers sa méthode rigoureuse, la science renferme toujours quelques points cruciaux qui seront inaptes à expliquer une réalité particulière. Ainsi, l’universalité de la théorie est ainsi faite, cela découle même de la nature de la science, autrement il s’agirait d’une révélation religieuse. Mais cette prétendue faille n’est pas véritablement un défaut, c’est pour prouver que la science est œuvre d’homme, et que sa pertinence repose essentiellement sur l’existence de ce domaine de définition. Cependant, la science ne doit jamais tomber dans le relativisme, ce qui évincerait le système qui a servi à la formation des concepts. Certes, il existe plusieurs points de départ pour décrire un objet, toutefois on parle le même langage au sein d’une même discipline. « On voit quelles attitudes philosophiques l’axiomatique contrarie, quelles elle favorise. Elle répugne à un dogmatisme de la synthèse, au rêve d’un point de départ absolu qui assurerait à la déduction une sécurité définitive », déclare Robert Blanché dans son ouvrage L’axiomatique. Si les sciences humaines considèrent le relativisme comme étant nécessaire, c’est pour éviter une hiérarchisation entre les cultures, et qu’aucune d’elles ne puisse être érigée comme la référence officielle. Par ailleurs, une attitude sceptique, qui rejette tout comme faux, est le refus de l’intelligibilité pour saisir la réalité de l’objet selon les capacités limitées de la raison. Le scepticisme signifie également qu’une idée sera aussitôt contrée par le premier argument qui nous vient en tête, puisque toute démonstration aboutirait nécessairement à la conclusion que rien n’est vrai. Cependant, cette croyance ne peut tenir jusqu’au bout, car nous avons besoin d’un minimum de croyance pour vivre, par exemple le ciel est bleu. Comme le confirme Descartes dans ses Méditations métaphysiques : « Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertains, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? » En effet, personne ne peut affirmer que la vérité n’est pas, sinon la pensée et le langage seraient vains. L’opinion est une façon personnelle de créer une vérité qui n’est pourtant pas acceptée à l’unanimité : il s’agit déjà d’une forme de connaissance qui inclut à la fois le relativisme et le scepticisme. L’opinion est relative parce que tous les points de vue se valent, mais elle répugne à la tentative de dialogue pour distinguer le vrai du faux. Elle est également sceptique parce qu’elle met en exergue la possibilité de l’erreur, qu’elle transforme aussitôt en une nécessité, sans jamais quitter ce cercle vicieux. « Il faut donc reconnaître qu’il n’était pas au pouvoir du premier homme d’user droitement de la raison, mais qu’il a été, comme nous le sommes, soumis aux passions », conclut Spinoza dans son Traité politique.
Conclusion
Les hommes détestent le mensonge plus que tout, ils évitent de se tromper dans leurs discours et aspirent à connaître avec clarté leur monde et les individus qui peuplent celui-ci. Ainsi, il existe une nette différence entre un savoir scientifique et un savoir issu du sens commun, de sorte que le premier nécessite l’énoncé d’une loi, mais tous deux se réfèrent néanmoins à une vérité basée sur l’objet. Le rôle de la raison est donc de créer des outils conceptuels qui offrent la meilleure description à l’objet, et c’est le choix de ces outils qui permet de déclarer que la théorie ainsi formée soit réellement scientifique. Mais puisque la science fait désormais partie de notre quotidien, nous sommes enclins à penser que la vérité qu’elle débite découle naturellement de l’objet, donc se dévoilant de manière évidente. Ainsi, l’homme du commun a tendance à assimiler la méthode scientifique à une simple appréhension telle qu’il le fait dans son habitude. Par conséquent, il considère comme une connaissance vraie et immuable toutes les compréhensions que son entendement peut atteindre. Renoncer à la connaissance, c’est avant tout dénigrer la vérité de la science et se complaire dans l’opinion. La connaissance provient-elle nécessairement de la raison ?