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La morale offre-t-elle un appui à la justice ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Dans une société traditionnelle où les membres sont régis par des règles coutumières, on observe davantage de cohésion et de respect mutuel que dans les communautés qui prônent la force de la raison. Les croyances en des instances supranaturelles, qui déversent leur châtiment et leur colère chez les mortels, procurent une crainte qui rectifie automatiquement l’action vers la recherche du Bien. Mais pour ceux qui se fient au droit positif, les efforts pour atteindre la justice requièrent de longues procédures qui ne font pas toujours l’unanimité des uns et des autres. Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, dénonce également les religions qui deviennent injustes parce qu’ils ne peuvent pas prêcher universellement la morale inhérente à leur croyance : « Qui jugera ce grand procès ? Sera-ce la raison ? Mais chaque secte prétend avoir la raison de son côté. Ce sera donc la force qui jugera, en attendant que la raison pénètre dans un assez grand nombre de têtes pour désarmer la force ». À force de vouloir faire régner la justice à tout prix, nous perdons la moralité de nos actes ; mais en se fiant uniquement à la morale, l’application de la justice devient parfois  incohérente avec les faits. Être juste signifie-t-il être raisonnable ou avoir une conduite conforme à la morale ? Cette problématique sera résolue à travers les trois paragraphes suivants : premièrement, la justice est une valeur essentielle prônée par la morale ; deuxièmement, tout le monde n’est pas gouverné par la morale, mais il leur est requis de faire preuve de justice ; et troisièmement, en s’appuyant uniquement à la morale, aucune société ne peut se prétendre être parfaitement juste.

I) La morale nous enseigne la valeur de la justice

Les communautés d’homme présentent un point commun qui précède toute forme d’institution, à savoir la disposition morale et la volonté de baser les actions sur ce principe. Même dans un cercle formé par des liens naturels, comme la famille nucléaire, ou des groupements professionnels qui œuvrent pour des  activités lucratives, la morale est un critère requis par chaque individu qui les compose. Vient par la suite la notion de justice qui s’observe concrètement dans les actions : puisque l’expérience nous a montré que l’injustice est parfois plus rentable et efficace que la justice, c’est la conscience morale qui nous redirige vers le droit chemin. C’est d’ailleurs la signification de la citation de Kant, issu de sa Critique de la Raison pratique, stipulant : « De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu comme bon, si ce n’est seulement une bonne volonté ». C’est le sentiment moral qui, d’une part, nous fait accepter la valeur de la justice, et d’autre part, nous pousse à agir vers le bien malgré les contraintes et les difficultés. Même à l’insu de tout le monde, je peux ressentir une satisfaction désintéressée en faisant le bien autour de moi, ou faire preuve de renoncement afin que les autres puissent jouir de divers avantages qui devraient me revenir. Il est vrai que la justice ne soit pas synonyme d’altruisme sans limites, mais afin que chacun puisse bénéficier d’une chose dont ses capacités personnelles ne lui permettent pas d’acquérir, il est tout à fait souhaitable de faire un partage équitable. Comme disait Auguste Comte dans son livre Catéchisme positiviste : « Les instincts sympathiques comportent seuls un essor inaltérable, parce que chaque individu s’y trouve secondé par tous les autres, qui compriment, au contraire, ses tendances personnelles ». En effet, la justice ne se présente pas naturellement dans l’ordre des choses, au contraire c’est à l’homme de le rétablir avec la considération de son prochain. Par conséquent, la justice est la conscience selon laquelle chaque individu mérite à travers sa qualité d’homme de jouir de la même dignité que ses semblables. Une action juste est alors basée sur ce constat que les hommes, malgré leurs différences, font tous partie de l’humanité et méritent d’être traités également. D’ailleurs, toutes les actions accomplies par devoir renferment cette notion, ce qui signifie qu’une personne pourvue de moralité est très pointilleuse dans le respect de la justice. C’est pourquoi Alain déclare dans ses Lettres sur Kant : « La morale consiste à se savoir esprit et à ce titre, obligé absolument ; car noblesse oblige. Il n’y a rien d’autre dans la morale que le sentiment de la dignité ».

Une personne soucieuse de la justice est tout à fait consciente de la forme de devoir qu’elle reflète, et saura dévoiler ses qualités morales dans le cadre de son application. Cependant, la justice revêt un caractère qui dépasse l’obligation morale pour donner un côté utilitariste.

II) La morale ne suffit pas pour résoudre les problèmes liés à la justice

Remarquons que la foi religieuse et les croyances coutumières sont les principaux vecteurs de la morale, et ceux qui y adhèrent sont d’emblée convaincus par la vérité de ses doctrines. Par conséquent, ils acceptent également le fait que les châtiments et les récompenses liés à ce système sont tout à fait légitimes, et les comprennent comme une forme de justice. Ainsi, il serait alors légitime de penser que les impies et les délinquants ont le droit d’être injustes, puisqu’ils refusent volontairement d’adhérer à la foi et aux coutumes. Ce raisonnement provoque alors un désordre généralisé, alors que la société a besoin de restaurer intégralement la justice entre ses membres afin de subsister. Spinoza confirme dans son Traité théologico-politique que : « On estime qu’il est pieux de n’avoir que méfiance à l’égard de la Raison et du jugement propre, impie de n’avoir pas pleine confiance dans ceux qui nous ont transmis les Livres sacrés ; ce n’est point de la piété, c’est de la démence pure ». Parallèlement, la morale peut également se comprendre par le biais de la philosophie, c’est-à-dire à travers un enseignement de la raison. Dans ce cas précis, c’est la conscience qui entre en jeu pour se conformer à ses devoirs, et il n’y a pas de sanction proprement dite pour ceux qui enfreignent cette règle morale. Cela signifie que, parce que c’est la raison qui les conduit, ils possèdent des motivations parfaitement valables pour étendre leur raisonnement, et de détourner le sens de la justice. Or, cette conduite, bien que appuyée par la raison, contredit la notion de la justice et réduit à néant les efforts pour se conformer à la morale. Considérons ce passage très pertinent avancé par Pierre Joseph Proudhon dans ses Œuvres complètes : « L’homme, abstraction faite de ses croyances innées et primordiales, de son aspiration vers Dieu et l’Eternel, est ainsi constitué dans sa raison et dans sa conscience que, s’il se prend au sérieux, il est forcé de renoncer à la foi, de la rejeter comme mauvaise et nuisible et de déclarer que pour lui, Dieu, c’est le mal ». On constate qu’en ce qui concerne la justice, ceux qui se fient au bon sens et ceux qui s’adonnent à la croyance sont placés au même niveau, c’est-à-dire dans l’incapacité à résoudre le problème de la nature humaine. Certes, nous pouvons affirmer que les personnes guidées par la conscience morale sont sans aucun doute cernées par une balise infranchissable. Cependant, elles n’ont pas d’autorité pour convertir les autres selon leur principe, d’où le problème fondamental qui laisse apparaître une injustice généralisée dans la société. En d’autres termes, la justice appuyée par la morale est tout simplement inefficace. Cet extrait de La République de Platon conforte cette idée : « Et certes on pourrait voir là une grande preuve que personne n’est juste volontairement, mais par contrainte, la justice n’étant pas un bien individuel, puisque partout où l’on se croit capable de commettre l’injustice, on la commet ».

S’il est vrai que la morale fonde la justice, il n’est pas vrai qu’elle puisse résoudre le problème de l’injustice, ce qui se manifeste par le fait que tout le monde n’est pas nécessairement soumis à la morale. La justice se réalise uniquement dans la vie concrète et non pas dans les définitions théoriques.

III) L’application de la justice est une nécessité première dans une société

Ceux qui omettent le caractère moral de la justice tombent dans une compréhension purement rationnelle, ce qui se transformera aussitôt en une légitimation de l’injustice. Par contre, ceux qui motivent leur choix sur la foi ou sur d’autres croyances auront également des excuses pour pratiquer l’injustice une fois qu’ils renonceront à ces principes. En somme, personne n’est à l’abri de l’injustice, même ceux qui adhèrent à la morale, or ne pas se conformer à la morale n’est pas personnellement un problème en soi. Lorsqu’on parle de justice, il y a difficulté lorsqu’elle n’est pas respectée de manière inclusive, et qu’on rencontre les cas de tolérance face à l’injustice. Comme disait Jean Jacques Rousseau dans Emile : « Il ne faut point que l’honneur des citoyens ni leur vie soit à la merci d’un brutal, d’un ivrogne, ou d’un brave coquin ; et l’on ne peut pas plus se préserver d’un pareil accident que de la chute d’une tuile ». La solution se classe alors de l’ordre de la pratique, puisqu’on ne peut forcer tout un chacun d’avoir des préceptes moraux. Et sachant que les hommes se gouvernent aussi bien par le biais de la raison que de l’opinion, il est très difficile de trouver un terrain d’entente pour délimiter les frontières entre le permis et l’interdit, ou encore le juste et l’injuste. Il est vrai que les hommes sont capables de bâtir un Etat de droit, et c’est la solution la plus optimale pour les tenir sous une autorité puissante et légale. La Justice en tant qu’institution officielle et incontournable est également sujette à des critiques dans son fonctionnement ou dans l’application de ses principes. Tel est le sens de cet extrait du Principe de la philosophie du droit de Hegel qui dit : « L’Etat est la réalité en acte de l’Idée morale objective l’esprit moral comme volonté substantielle révélée, claire à soi-même, qui se connaît et se pense et accomplit ce qu’elle sait et parce qu’elle sait ». En vivant solitairement, l’homme ne peut concevoir la notion de la justice, mais une fois réuni avec ses semblables, il sera forcé de faire des concessions ou alors recourir à la force. La justice se comprend alors par ces types de moyens, et qui sont mieux reconnus lorsque c’est l’Etat qui en fait usage. Le droit et la force sont donc les outils les plus efficaces pour soumettre les hommes, cependant l’un et l’autre sont toujours susceptibles de dévier à des cas d’injustice en fonction de la volonté de celui qui les détient. Il n’y a donc pas d’instance supérieure à la justice pour justifier ou dénigrer celle-ci. « De toute cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente ; et c’est le plus sûr : rien suivant la seule raison, n’est juste de soi », confirme Pascal dans ses Pensées.

Conclusion

La justice entretient donc un rapport étroit avec la morale dans le sens où c’est la preuve vivante qu’un individu est véritablement gouverné par la moralité. Ainsi, pratiquer la justice est une forme de bonne volonté, car les circonstances ne sont pas toujours favorables pour que l’homme juste reçoive en retour un traitement juste. Toutefois, seule une institution extérieure et indépendante est capable de tenir les hommes, sans exception, dans l’ordre et l’équité. Et pourtant, l’usage de la raison fait perdre le caractère moral de la justice, bien que les arguments qu’elle avance soient véritablement acceptables. Quelle que soit l’origine de la morale, il est clair que la justice qui en découle sera appliquée en deçà ou au-delà de ce qui est nécessaire. L’efficacité dont il est question s’observe  essentiellement au niveau de l’ordre, et les hommes considèrent le résultat comme étant juste une fois que cet objectif est atteint. La justice est-elle l’affaire de tous ?

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Toute La Philo

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