Cours

Cours de Philosophie sur l’Etat

Ecrit par Toute La Philo

Introduit au XVIe siècle par le philosophe Nicolas Machiavel, l’État désigne un pouvoir différent de l’ordre religieux ou l’ordre familial. À la différence de l’époque où l’État était géré par un seul souverain, aujourd’hui, les choses ont largement changé. En effet, Le Robert définit l’État avec un “É” majuscule comme l’”autorité souveraine s’exerçant sur un peuple et un territoire déterminés” ou comme un “groupement humain fixé sur un territoire déterminé, soumis à une même autorité”. Toutefois, si les hommes sont libres, pourquoi ont-ils accepté de se déposséder d’une part de leur liberté pour se soumettre à l’État ?

Qu’y avait-il avant la création de l’État, qu’apporte-t-il aux êtres humains et quels rapports y a-t-il entre la société et l’État ? Tentons de répondre ensemble à toutes ces questions.

Avant la création de l’État

Le Larousse définit l’État comme une “Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d’un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d’homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé. (En droit constitutionnel, l’État est une personne morale territoriale de droit public personnifiant juridiquement la nation, titulaire de la souveraineté interne et internationale et du monopole de la contrainte organisée.)”.

Dès lors, nous pouvons nous demander ce qui fait que l’homme accepte de se soumettre, d’obéir et de suivre cette “personne morale” qui le gouverne.

La société existe-t-elle à l’état de nature ?

Pour répondre à la question susmentionnée, il faudrait effectuer un retour vers le passé et revenir au moment où l’État fut mis en place. Or, cela n’est pas possible ! Néanmoins, faute de certitude, les théoriciens tentent de répondre à cette question en faisant des scénarios hypothétiques.
Selon eux, avant que l’Homme n’entre en société et que l’État se mette en place, il existait une situation pré sociale qu’il nomme l’état de nature.

Aristote désigne la famille comme étant une “société naturelle” qui existait bien avant l’État. Dans son ouvrage politique, il explique que “L’Homme est un animal social” ou “politique”. De fait, l’État ne serait que le processus naturel de l’expansion de cette “société naturelle” qu’est la famille. Selon Aristote, il est naturel pour l’être humain de vivre en société.

L’homme à l’état de nature est mauvais selon Hobbes

Toutefois, à l’époque d’Aristote, la notion de l’état de nature n’était pas encore tout à fait définie. C’est Thomas Hobbes qui a rédigé l’une des descriptions les plus célèbres de l’état de nature au XVIIe siècle dans son ouvrage le Léviathan.

Hobbes tente de décrire, hypothétiquement, cet état de nature qui a précédé la société.
Avec sa phrase, “l’homme est un loup pour l’homme”, qu’il a emprunté à Plaute, Hobbes indique clairement que dans cet état de nature, les relations sont conflictuelles et les hommes entretiennent, entre eux, des rapports destructeurs.
Pour Hobbes, l’homme est naturellement agressif et il devient un danger pour lui ainsi que pour les autres. N’étant soumis à aucune règle, n’étant pas obligé d’obéir à une loi, c’est celle du plus fort qui prédomine. S’il n’existe aucun moyen de le contrôler, l’homme étanche sa soif de pouvoir et, poussé par son ego, il est capable des pires atrocités pour jouir d’une position confortable. “Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. Dans un tel état, il n’y a aucune place pour une activité laborieuse, parce que son fruit est incertain ; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu’elles requièrent beaucoup de force ; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps ; pas d’arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève.” (Léviathan). Pour Hobbes, cet état de nature est injuste.

Déjà dans l’antiquité, le philosophe Glaucon illustrait cette notion d’injustice avec l’état de nature à travers son histoire du berger Gygès. Celui-ci était un citoyen modèle qui, grâce à un anneau, a eu le pouvoir de devenir invisible. Sa nouvelle faculté lui a permis d’obtenir tout ce qu’il désirait : vol, viol, meurtre, et ce, sans risquer de se faire attraper. D’un citoyen modèle de base, il est devenu un malfaiteur illustrant la théorie selon laquelle l’homme, s’il n’est pas contrôlé, est capable de réaliser les pires atrocités.

Néanmoins, cette théorie, selon laquelle l’homme à l’état de nature était mauvais, n’est pas partagée par tous les auteurs.

L’homme à l’état de nature est bon selon Rousseau

Pour Rousseau, l’état de guerre décrit par Hobbes dans le Léviathan n’est pas un état de nature, mais un état social. Selon le philosophe français, l’état de nature permet à l’homme de répondre à ses besoins indépendamment des autres.

Rousseau attribue l’hostilité de l’homme envers ses congénères aux progrès de la civilisation. Ceux-ci poussent les hommes à vouloir posséder toujours plus et mieux que les autres ce qui les rend nerveux. L’être humain à l’état de nature est donc bon et c’est l’État qui le corrompt.
Avant la mise en place de la société, Rousseau décrit l’homme comme un être solitaire, donc loin de la vision d’Aristote, vivant du fruit de son travail. Du fait de son empathie, il est capable d’éprouver de la pitié pour l’autre et peut être amené à partager ses biens avec les plus nécessiteux.

Cette théorie de Rousseau a souvent été critiquée de vision idéaliste notamment par les philosophes des Lumières qui prônaient la culture humaniste et s’ouvraient à l’idée de progrès. Bien qu’elles soient plus communément admises, la théorie de Hobbes sur l’état de nature a également ses détracteurs.

La question de départ reste alors en suspens : qu’est-ce qui a fait que l’homme accepte de se soumettre, d’obéir et de suivre cette “personne morale” qui le gouverne ?

La sortie de l’état de nature

Le Contractualisme

Si nous ne pouvons pas répondre à cette question, nous savons en revanche qu’à un moment donné, l’être humain a fait le choix de se réunir en société et de placer au-dessus de lui une personne morale.

Étymologiquement, le mot “société” nous vient du latin, societas, qui signifie “association”. Ainsi, la société n’est pas naturelle, les hommes se sont associés entre eux se mettant d’accord sur un engagement. Celui-ci s’appelle le Contrat social et le Larousse le définit comme une “convention expresse ou tacite”.
Cette théorie, stipulant que la société a été mise en place par un contrat en acceptant de limiter leur liberté au profit d’un ensemble de lois qui garantissent la continuité du corps social, se nomme le contractualisme.
Bien que cette notion de contrat social soit essentielle, les avis divergent concernant les parts de libertés que l’État peut limiter pour assurer une coexistence pacifique.

Les différentes théories contractualistes

Théories contractualistes Explication
Jean-Jacques Rousseau L’état de nature de l’homme est bon, mais la société l’a corrompu. Au cours de son évolution, l’être humain a été perverti par la société au point de développer de la vanité, de l’orgueil ainsi que de l’amour-propre. Le contrat social doit être une convention tacite entre chaque être et la communauté pour accéder à État disposant de lois justes et légitimes. Le contrat social doit fonder l’égalité juridique parmi les hommes, et ce, peu importe leurs différences naturelles.
John Locke L’état de nature de l’homme n’est ni bon, ni mauvais. L’homme a le droit de propriété. Il peut assurer sa descendance et punir ceux qui pourraient vouloir atteindre à sa vie. Or, s’il veut se sentir en sécurité en toute circonstance, l’État est primordial. Néanmoins, le contrat que l’homme réalise pour mettre en place la personne morale qui le gouverne doit lui permettre de préserver ses privilèges naturels. En garantissant la propriété ainsi que la sécurité de chaque individu, le souverain est légitime. C’est le libéralisme.
Thomas Hobbes L’état de nature de l’homme est mauvais. Dans un tel état, l’homme ne peut pas se sentir en sécurité. Pour sortir de cet état de nature néfaste, l’homme doit passer un contrat social en transférant sa liberté naturelle et son autonomie au souverain. La loi du plus fort se substitue à l’État de droit. Pour garantir la sécurité des individus, cette soumission et cette obéissance doivent être totale. Dans cette forme d’absolutisme, l’homme n’a plus aucun pouvoir et la sphère privée est tolérée.

Dans son ouvrage, Du Contrat Social, Rousseau écrivait en 1762 : “«Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ? » Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.”. Ainsi, pour le philosophe français, l’idée du contrat social repose sur une fiction. Ne sachant pas les causes et ce qui a poussé l’homme à passer de l’état de nature à la mise en place d’un État, le Contrat social est donc une explication hypothétique.

Le paradoxe de la vie sociale

Avec le contrat social, l’être humain abandonne une partie de sa liberté au profit d’une meilleure sécurité. D’autre part, le fait de vivre en société permet à l’Homme de se comparer aux autres.
Vers la fin du XVIIIe siècle, dans Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Kant expliquait que “Le moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes les dispositions humaines est leur antagonisme au sein de la Société, dans la mesure où cet antagonisme est en fin de compte la cause d’une organisation régulière de cette Société. – J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société.”. Selon le philosophe allemand, c’est l’esprit de concurrence humain qui pousse l’Homme à établir des relations sociales. Bien qu’il désire ignorer l’autre, l’Homme, du fait de son amour-propre, est comme obligé d’entrer en compétition avec ses semblables.

Le paradoxe de la vie sociale est donc le fait que l’homme, bien qu’il ne le désire pas du fait de son état de nature, est contraint de vivre en société. Pour Rousseau, si l’homme échange ses “droits naturels” pour des droits civils, rien ne peut garantir que cet échange lui soit réellement profitable ou s’il en est satisfait. Ainsi, l’état de la nature serait la famille et la société permettrait à l’homme de se comparer avec ses congénères. Mais quel est le véritable rôle de l’État dans notre vie sociétale ?

Qu’est-ce que l’État apporte à la société ?

L’État permet de protéger la société

Bien que certains philosophes partagent le positionnement de Rousseau en établissant le fait que l’état de nature de l’homme est bon et qu’en ces temps, l’être humain vivait seul et en paix, cette pensée n’est pas communément admise. La plupart des philosophes pensent qu’à l’état de nature l’homme était plus ou moins mauvais, vivant dans un monde en proie à de nombreuses guerres. La mise en place de l’État était donc la solution qu’a trouvée l’homme pour se sentir en sécurité.

Pour Hobbes par exemple, à l’état de nature l’homme était soumis à la loi du plus fort.
Dans Du Citoyen, le philosophe anglais détaille clairement sa pensée : “Et certainement il est également vrai, qu’un homme est un dieu à un autre homme, et qu’un homme est aussi un loup à un autre homme. L’un dans la comparaison des Citoyens les uns avec les autres, l’autre dans la considération des Républiques ; là, par le moyen de la Justice et de la Charité, qui sont les vertus de la paix, on s’approche de la ressemblance de Dieu ; et ici, les désordres des méchants contraignent ceux mêmes qui sont les meilleurs de recourir, par le droit d’une légitime défense, à la force et à la tromperie, qui sont les vertus de la guerre, c’est-à-dire à la rapacité des bêtes farouches.”. Selon Hobbes, l’état de nature s’apparente à “une guerre de tous contre tous” dans lequel l’homme est en conflit permanent. Le moyen de sortir de cette confrontation perpétuelle est donc la création de l’État.
Dans Léviathan, Hobbes explique clairement que la mise en place de l’État, en apportant la paix et la fin des conflits, a permis à l’homme de se sentir en sécurité.
En effet, en vertu du pouvoir conféré par chaque individu dans l’État, il dispose de tant de puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis de l’étranger.” (Léviathan).

L’État apporte la justice et la liberté à la société

Dans ses Principes de la Philosophie du droit, Hegel désigne l’État comme étant le “Dieu sur terre” étant donné qu’il représente la plus haute des institutions. Ce n’est qu’en étant au-dessus de tout ce qui existe qu’il peut être amené à réaliser ses réelles fonctions : protéger la société et lui apporter la liberté. En se présentant comme l’arbitre des rivalités, il est celui qui, du fait du droit public ou constitutionnel, permet d’apporter plus de justice. Cette dernière est issue du latin iutus (juste), lui-même dérivé du mot latin ius (droit). Cependant, en français, nous distinguons clairement les mots “droit” et “justice” en leur attribuant des définitions différentes.
Le Larousse définit le mot “droit” comme l’”ensemble des règles qui régissent les rapports des membres d’une même société ; légalité.” et le mot “justice” comme un “principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité”. Le Robert définit le droit comme “Ce qui constitue le fondement des droits de l’homme vivant en société” ou comme “Ce qui est exigible ou permis par conformité à une loi, un règlement.”. Ainsi, le droit permet à l’homme de savoir ce qu’il lui est possible de faire et ce qu’il n’a pas droit de faire, sous peine d’être sanctionné. L’homme a donc une part de liberté avec le droit. La justice, quant à elle, permet de faire en sorte que chaque individu d’une même société respecte la loi et, s’il ne le fait pas, il est sanctionné.

L’État permet donc à l’Homme d’être en sécurité en lui apportant la justice et la liberté. Cependant, même si l’État est primordial pour dépasser cet état de nature régi par la loi du plus fort, l’État peut également être un facteur d’injustice.

L’État et la société : des rapports complexes

Quand l’État oppresse la société

Bien que l’État apporte la sécurité ainsi que la liberté, il peut également être une source d’oppression pour la société.
En effet, au cours de l’histoire, les États se sont agrandis. D’une simple cité, nous sommes passés à de vastes Empires (Alexandre Le Grand, César, Hannibal, Gengis Khan, Napoléon) devenant de plus en plus autoritaires. Plus récemment, l’Allemagne Nazie ou la Russie soviétique ont souhaité avoir la mainmise sur le monde et leurs chefs sont devenus des dictateurs. Néanmoins, lorsqu’un État est oppressif, l’Homme a toujours la possibilité de se rebeller. Par exemple, durant la monarchie absolue, le peuple s’est rebellé contre le roi (révolution 1789) ou la résistance qui a eu lieu lors de la Seconde Guerre mondiale.

Le mythe d’Antigone illustre clairement cette résistance à l’oppression. Après que ses frères, Polynice et Etéocle, se soient entretués lors de la bataille des six princes, Polynice s’est vu refusé le droit d’obtenir une sépulture de son oncle, Créon, pour avoir voulu s’attaquer à la cité de Thèbes. Antigone n’accepte pas l’État de droit incarné par Créon, elle évoque des valeurs sacrées, les lois divines, qui seraient au-dessus de l’État. Elle prend alors la décision d’enterrer son frère malgré l’interdiction imposée par l’État de droit ce qui la conduit à être sanctionnée. Elle est tuée par Créon pour avoir osé ne pas respecter l’État de droit.

Pour éviter cette oppression, l’Homme a trouvé une solution : la séparation des pouvoirs. Dans De l’esprit des lois, Montesquieu écrit que “le pouvoir arrête le pouvoir”. Il est donc nécessaire que l’ensemble des pouvoirs ne soient pas concentrés. Ainsi, les pouvoirs de l’État sont divisés :

  • le pouvoir législatif (le sénat et l’Assemblée nationale) ;
  • le pouvoir judiciaire (les tribunaux) ;

le pouvoir exécutif (le président de la République et le gouvernement).

On pourrait également placer un quatrième pouvoir, celui des médias, qui défendent la liberté d’expression.

Quand l’État est contre la société

Lorsque l’État est contre la société, nous parlons d’une forme de totalitarisme où le chef devient un dictateur tout-puissant qui dispose des pleins pouvoirs. Il faut noter que si ce type de régime se met en place, c’est qu’une partie de la population a donné son accord. En effet, si Hitler a réussi à monter au pouvoir, c’est parce que ses idées ont séduit l’ancienne bourgeoisie allemande ruinée par la crise de 1929 et nourrissent une revanche à prendre contre ces États qui les ont humiliés après la Première Guerre mondiale en leur imposant un diktat.

Le Larousse définit le totalitarisme comme un “Système politique dans lequel l’État, au nom d’une idéologie, exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles.”.
Du fait de la police et de la censure, la liberté individuelle ou la société tendent à disparaître. Dans un système totalitaire, le peuple ou les représentants du peuple ne gouvernent plus et le contrat social est clairement rejeté.

Dans Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt explique que “Le terme de masses s’applique seulement à des gens qui, soit du fait de leur seul nombre, soit par indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s’intégrer dans aucune organisation fondée sur l’intérêt commun, qu’il s’agisse de partis politiques, de conseils municipaux, d’organisations professionnelles ou de syndicats.”. Selon elle, ces “masses” étant perdues, elles sont en quête d’un modèle et sont donc plus susceptibles d’accepter les idéologies totalitaires.
Hannah Arendt explique que tout système totalitaire part toujours d’un discours qui plaît basé sur des images fortes et violentes afin de susciter les émotions et d’animer la foule.

Progressivement, le totalitarisme va supprimer les libertés et s’attaquer à un groupe d’hommes, généralement les intellectuels, pour s’assurer de garder la mainmise sur le peuple. Selon cette philosophe allemande, la mise en place d’un système totalitaire déshumanise complètement les êtres humains. Une partie de la population vit dans la terreur et dans la peur d’être dénoncée tandis que l’autre moitié dénonce sans vergogne ses semblables.

Le concept de “société ouverte

Le concept de “société ouverte” nous vient de Karl Popper, elle se rapproche du libéralisme imaginé par le philosophe anglais, John Locke. Dans ce type de société, l’État ne joue qu’un rôle sécuritaire. Le droit privé et le commerce sont valorisés permettant ainsi aux individus de prospérer dans le “libre-échange”. Dans cette “société ouverte”, le droit privé est suffisant et l’État n’assure qu’un rôle minime, notamment en matière de droit pénal, afin que les individus se sentent protégés.

Dans sa Lettre sur la tolérance, John Locke donne sa définition de l’État qui est pour lui “une société d’hommes instituée dans la seule vue de l’établissement, de la conservation et de l’avancement de leurs intérêts civils”. Les penseurs libéraux pensent que le “Contrat social” correspond à la société. Ainsi, si le peuple estime que les gouvernants ne leur donnent pas satisfaction, ils sont en droit de le changer. Dans le libéralisme, l’État est tributaire du peuple et n’existe que pour lui apporter la sécurité dont il a besoin.

Dans sa Théorie de la Justice, John Rawls l’État et la société ouverte s’adaptent pour combler les injustices ainsi que les inégalités. Le libéralisme ne prétend pas gommer la répartition inégale des biens toutefois, il se doit de s’assurer que ceux qui ont moins que les autres ont toujours plus de biens que s’ils étaient dans un autre modèle d’État.
Un autre défenseur du libéralisme, le philosophe Adam Smith pense que l’État ne doit pas interférer dans l’économie. Il prétend qu’une “main invisible” existe pour s’assurer que les intérêts particuliers favorisent l’intérêt général.

En effet, dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith explique :

En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions.

Néanmoins, avec la crise, le libéralisme est de plus en plus critiqué dans la mesure où il donne les pleins pouvoirs au monde de la finance.

Les sociétés qui rejettent l’État

Après avoir observé différentes “sociétés premières” d’Amazonie, l’ethnologue français Pierre Clastres s’est rendu compte que, contrairement à ce que l’on pensait, ces sociétés connaissaient l’existence de l’État, mais faisaient le choix de le rejeter.
En effet, dans La Société contre l’État, Pierre Clastres explique que “L’histoire des peuples sans l’histoire, c’est l’histoire de leur lutte contre l’État.”. Le terme “sans histoire” signifie que ces peuples sont en dehors de notre société mondialiste. En rejetant l’État, ces “peuples sans histoire” ne vivent pas les mêmes troubles que nous et semblent vivre une vie plus heureuse et plus épanouie.

Du fait de son observation, Pierre Clastres s’est donc rendu compte que ces “sociétés premières” n’ont absolument pas besoin d’État pour gérer leurs conflits. Pour garantir leur sécurité, ils ont des chefs toutefois les individus de ces “sociétés premières” les contrôlent afin de s’assurer que ces chefs ne deviennent pas trop puissants. Qu’elles proviennent de l’intérieur ou de l’extérieur de ces “sociétés premières”, les guerres leur permettent de lutter contre l’État.

En temps de paix, ces “sociétés premières” ont la forme rêvée de Rousseau dans le sens où la société et l’État se confondent. Ce n’est pas parce qu’elles rejettent l’État qu’elles sont anarchiques, au contraire, leur société est organisée. Ce type de société est pacifique tant que l’État ne condamne pas la vie sociale des individus. Dans le cas contraire, ces sociétés entrent en guerre pour s’assurer que l’État ne devienne pas tout-puissant. L’État est donc vu comme une menace contre laquelle ces “sociétés premières” luttent.

Les indiens Guayaki que Pierre Clastres a observés en 1970 illustrent clairement ces sociétés premières que l’ethnologue définit comme des “sociétés contre l’État ».

Conclusion

Il est clairement difficile de répondre à la question de départ : “qu’est-ce qui a fait que l’homme accepte de se soumettre, d’obéir et de suivre cette “personne morale” qui le gouverne ?”. En effet, faute d’analyse historique tangible, il n’est possible d’expliquer cette situation pré sociale qu’à travers une expérience de pensée.

Tout ce que nous savons de source sûre, c’est qu’à un moment donné de l’histoire, l’être humain est passé de l’état de nature pour entrer en société et mettre en place l’État. Cet accord, où les hommes acceptent de perdre une partie de leur liberté et de se soumettre à l’État est qualifié de “Contrat social”. Si nous nous basons sur la théorie contractualiste de Hobbes, l’état de nature de l’homme est mauvais et seule la loi du plus fort prédomine, par conséquent, l’être humain a été obligé de sortir de cet état de nature pour mettre en place l’État qui devient alors garant de sa sécurité. Néanmoins, au cours de ses observations, l’ethnologue français, Pierres Clastres, s’est rendu compte que certaines “sociétés premières” luttaient contre l’État. Ces sociétés ne ressemblent en rien à la vision de Hobbes selon laquelle l’état de nature est une période de “guerre de tous contre tous”. Au contraire, leur société est organisée et la guerre n’intervient que lorsqu’ils se sentent menacés par l’État qui chercherait à s’imposer dans leur société. En un sens, ces sociétés ressemblent plus à la vision idéaliste de l’état de nature imaginée par Rousseau. Cependant, ces individus, rassemblés en communauté, ne sont pas véritablement à l’état de nature puisqu’ils existent en tant que société. Ils connaissent l’État et ne font que lutter contre lui.

Citation des auteurs sur l’État

Albert Camus, L’affaire Jean de Maisonseul, “L’État peut être légal mais il n’est légitime que lorsque, à la tête de la nation, il reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, “L’État s’établit davantage tous les jours, à côté, autour, au-dessus de chaque individu pour l’assister, le conseiller et le contraindre.

Arthur Schopenhauer, “L’État n’est que la muselière dont le but est de rendre inoffensive cette bête carnassière, l’homme, et de faire en sorte qu’il ait l’aspect d’un herbivore.

Blaise Pascal, “Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons.

Émile Durkheim, L’État et la société civile, “Non pas que l’État ne puisse devenir despotique, oppresseur. Comme toutes les forces de la nature, s’il n’est limité par aucune puissance collective qui le contienne, il se développera sans mesure et deviendra à son tour une menace pour les libertés individuelles.

Hegel, “Le droit, l’ordre éthique, l’État constituent la seule réalité positive et la seule satisfaction de la liberté.

Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, “L’État ou le Cité n’est qu’une personne morale dont la vie consiste dans l’union de ses membres.

Montesquieu, Pensées, “Il faut changer de maximes d’État tous les vingt ans, parce que le monde change.

Nietzsche, “L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le peuple ».

René Descartes, Les Principes de la Philosophie, “Le plus grand bien qui puisse être dans un État est d’avoir de vrais philosophes.

Spinoza, Traité Théologico-politique, “En vérité le but de l’État, c’est la liberté.

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire