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Le travail est-il le sceau de l’aliénation ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Rien n’est plus réjouissant pour l’homme que d’être entouré d’un cocon familial où il pourra profiter au quotidien de ses biens et fortunes. Cependant, ces moments précieux sont précédés d’un dur labeur, ce qui occupe essentiellement le temps hebdomadaire d’un chef de famille. Le travail est tout à fait apprécié pour ses fruits, alors que les efforts et sacrifices qu’il requiert sont parfois considérés comme une sorte d’aliénation qu’il faudrait à tout prix se libérer. Ainsi, nombreuses sont les raisons qui laissent penser que le travail est pénible, même s’il ne l’est pas à proprement parler, et ceux qui se plaignent au travail ne sont pas forcément des paresseux. Considérons cette citation de Jean Jacques Rousseau qui dit : « Ne rien faire est la première et la plus forte passion de l’homme après celle de se conserver. Si l’on regardait bien l’on verrait que, même parmi nous, c’est pour parvenir au repos que chacun travaille, c’est encore la paresse qui nous rend laborieux ». Il existe alors un certain paradoxe dans cette activité proprement humaine, par le fait que l’homme est obligé de travailler moyennant un salaire, alors qu’il soupire en même temps à un mode de vie opulent avec le minimum d’effort. La condition humaine est-elle ancrée dans le travail et lui est-il possible de s’y soustraire ? Nous traiterons cette problématique à travers trois paragraphes, où le premier expliquera que l’homme réalise son existence par son travail ; le deuxième fera étalage des problèmes qu’il rencontre à travers les contraintes imposées par la société ; et le troisième sera une synthèse pour dire que le travail, considéré dans sa définition originelle, n’est pas de l’esclavage.

I) Les fruits du travail fournissent ce dont l’homme a besoin

L’homme est capable d’agir sur son corps, tel qu’il le fait en se nourrissant, en se copulant, en se lavant, avec diverses manières de les réaliser. Ces mouvements s’effectuent de façon tellement naturelle qu’il lui est permis de faire depuis son enfance. Mais pour exercer un métier, cela requiert de la volonté et du savoir-faire, tout en soulignant l’objectif de cette action, à savoir obtenir un salaire ou un revenu. Celui qui produit quelque chose pour son propre compte ne travaille pas, même si le produit le satisfera au même titre que s’il l’achetait tout simplement au marché. Comme disait Adam Smith dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations : « Le travail a été le premier prix, la monnaie payé pour l’achat primitif de toutes choses. Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail, que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement ». Sans spécifier au préalable de quel métier il s’agit, le travail est une création de valeur, ce qui peut se référer à de l’argent pour une meilleure compréhension. Un produit donné, même s’il s’agit d’une œuvre d’art inédite, a été créé dans l’intention de pouvoir le vendre, autrement on ne peut pas le classer comme étant le fruit d’un travail. Et pourtant, l’argent n’est pas un produit comestible : il faut l’échanger avec un bien ou un service afin qu’il puisse réelle servir à quelque chose. Ce que nous souhaitons, c’est avoir plus d’argent, et nous ne nous soucions guère de la quantité de biens disponible, comme si avoir de l’argent signifie automatiquement avoir la quantité de biens nécessaires. Ce raisonnement n’est pas du tout faux, tel qu’il est stipulé par cet extrait de Manuscrits de 1844 de Marx : « La demande existe bel et bien aussi pour celui qui n’a pas d’argent, mais sa demande est un pur être de la représentation qui, pour moi, sur un tiers, sur les autres, n’a pas d’effet, n’a pas d’existence, donc reste pour moi-même irréel, sans objet ». Le fait de savoir qu’il existe une quantité importante d’argent qui circule pousse alors les hommes à travailler davantage, et le travail lui-même se solde à une création de produits susceptibles de se transformer en argent. Le monde du travail est alors ainsi fait : c’est une action volontaire pour se réaliser personnellement, mais également pour créer une valeur dont tout le monde aura besoin. Pour celui qui ne participe pas à ce cercle vertueux, il se sentirait personnellement lésé, et réclamera comme un droit de pouvoir y participer même si la nature peut encore l’entretenir. Par conséquent, le travail est une sorte de plaisir et de satisfaction dans le fait de créer de la valeur, plus précisément de l’argent. Son objectif s’est muté vers ce stade au fur et à mesure que les biens pour la subsistance ont été créés selon une quantité suffisante. Le sens de cette volonté intarissable se comprend à travers cette citation de Jean Paul Sartre, tiré des Situations : « Le monde n’est rien que la création d’une liberté qui se conserve indéfiniment ; la vérité n’est rien que si elle n’est voulue par cette infinie puissance divine et si elle n’est reprise, assumée et entérinée par la liberté humaine ».

L’épanouissement intellectuel et individuel de l’homme s’acquiert par le travail, dans le sens où il se sentira reconnu parmi ses semblables et par la valeur de ses œuvres. Cependant, il perd peu à peu conscience de la réalité dans laquelle il s’est introduit, en agissant désormais par pure nécessité.

II) La société impose les règles par lesquelles le travail devrait se réaliser

Le travail est un rapport établi par l’homme vis-à-vis de la nature, mais surtout le moyen par lequel les hommes peuvent entretenir un lien nécessaire entre eux. Les individus qui composent une société se communiquent en dehors du foyer parce qu’ils font du commerce, ou parce qu’ils occupent le même lieu professionnel. Et les règles sur lesquelles ces rapports sont bâtis ont été puisées des valeurs véhiculées par la société, et rendent compte de la hiérarchie établie entre les individus. C’est pourquoi Thomas Hobbes écrit dans Le citoyen ou les fondements de la politique : « Et de cette sorte une personne jouit plus ou moins de liberté, suivant l’espace qu’on lui donne ; comme dans une prison étroite, la captivité est bien plus dure qu’en un lieu vaste où les coudées sont plus franches ». La liberté de travailler et de faire du commerce est donc soumise aux conditions édictées par la société, ce qui n’est pas toujours favorable à tous les partis prenants. D’une part, il y a les capitalistes qui encaissent des profits titanesques par la détention d’un capital physique ou financier, et d’autre part, il y a les travailleurs qui sont en supériorité numérique, gagnant leur pain quotidien suffisant de justesse à nourrir leurs familles. Ainsi, ce qui est accepté par la norme est celui qui est profitable aux représentants de l’Etat, désigné de manière déguisée sous le nom de l’intérêt du peuple. « L’Etat, c’est le plus froid des monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le Peuple » », constate Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra. Et c’est justement à travers le capitalisme que le travailleur se rend compte qu’il est lésé par le système, et ce, malgré les nombreux droits qui lui sont assignés. Non seulement le travailleur, aussi longtemps qu’il gardera ce statut, ne gagnera pas autant que le capitaliste, mais aussi il est obligé de consacrer toute sa vie au travail, afin de pouvoir assurer son lendemain. Le fait de se bâtir une carrière et d’accumuler des compétences devient une pression intérieure, de peur de ne pas plaire à son employé, ou tout simplement de ne pas plaire à la société. Ce passage des Aphorismes sur la sagesse dans la vie de Schopenhauer illustre cette idée : « Tout au plus cette maxime peut-elle être considérée comme une hyperbole au fond de laquelle se trouve cette prosaïque vérité que, pour avancer et se maintenir parmi les hommes, l’honneur, c’est-à-dire leur opinion à notre égard, est souvent d’une utilité indispensable ».

Dans une société capitaliste, il existe plusieurs décrets qui protègent le droit des travailleurs, cependant les réels avantages reviennent au profit des capitalistes. Mais quel que soit le régime en vigueur dans une société, l’homme est toujours obligé de travailler et de faire du commerce.

III) L’homme est capable de se libérer par le processus du travail

La philosophie du travail se concentre sur deux déclinaisons : d’un côté, le contrat liant l’employé et le travailleur qui renferme une exploitation déguisée, et de l’autre côté, l’opinion de la société qui juge et catégorise l’individu en fonction de sa position professionnelle. En réfléchissant de près au problème, il est vrai que le travailleur est lésé financièrement, toutefois sa présence n’est pas du tout négligeable pour le fonctionnement du système. Et les insatisfactions rencontrées dans l’exécution du contrat, qui sont d’ailleurs très fréquentes et présagées la plupart du temps, ne peuvent en rien se considérer comme une aliénation. Vis-à-vis de la société, l’homme peut toujours choisir de ne pas travailler tout en subissant la marginalisation qui en découle. Comme disait Alain dans Mars ou la guerre jugée : « Le plus riche des hommes ne peut rien sur moi, si je sais travailler ; et même le plus maladroit des manœuvres garde le pouvoir royal d’aller, de venir, de dormir. C’est seulement sur la bourgeoisie que s’exerce le pouvoir du riche, autant que le bourgeois veut lui-même s’enrichir ou vivre en riche ». Cela signifie que le travailleur peut tout à fait vivre heureux et gagner peu, tant qu’il a conscience du revers de l’organisation du monde du travail. Il peut très bien choisir le travail qui lui semble décent pour des raisons de survie, tout en sachant qu’il existe quelques dérèglements dans ce milieu où il opère. La liberté du travailleur se trouve alors dans sa conscience et sa pensée, de sorte qu’il possède la capacité de dénoncer le système tel que sa raison le lui dicte. Toutefois, il n’est pas vraiment nécessaire de faire une révolte, en sachant que les forces protagonistes sont diamétralement opposées. Voici un extrait de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel : « Par là même celle qui a préféré la vie à la liberté, et qui se révèle impuissante à faire, par elle-même et pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de servitude ». Par contre, celui qui n’est pas conscient de ce rapport de force entre le capitaliste et le travailleur, est le vrai esclave du système. Il existe certes des conditions de travail des plus pénibles auxquelles certains groupes d’individus ne peuvent se soustraire, mais cela n’est pas une aliénation au travail. L’aliénation consiste à espérer vainement sans savoir les mécanismes dans ce milieu, ou bien d’accepter l’idéologie dominante comme vraie sans approfondir la signification. C’est dans ce point de vue que cette citation d’Eric Weil, tirée de sa Philosophie politique, prend son sens : « Mais cela n’empêche pas l’individu d’être esclave si l’on prend ce terme comme désignant l’individu non-libre de liberté rationnelle et raisonnable, incapable donc de se diriger lui-même, de réaliser par lui-même ses possibilités d’homme et d’accepter ses responsabilités ».

Conclusion

Le travail est la seule activité où il peut attendre en retour une rémunération, tout en sachant qu’il l’effectue primordialement selon la demande d’autrui. Cela dit, l’argent devient alors plus important que le bien lui-même, puisque le salaire d’un travailleur se mesure avec l’unité monétaire qu’il perçoit. Cependant, il n’aurait pas de relation commerciale possible s’il n’y avait pas un accord préalable sur le mécanisme, le rôle joué par chaque membre et surtout les avantages tirés d’une telle convention. Soulignons que ce rapport ne découle point de l’ordre naturel des choses, mais par un agencement subtil effectué par la classe dirigeante. Ainsi, le régime capitaliste n’est pas forcément l’idéal en matière de répartition de la richesse entre la population, mais elle est tout simplement légitimée par le pouvoir en place qui l’adopte. Autrement dit, il n’y a pas véritablement d’aliénation dans le monde du travail, mais seulement une asymétrie en matière de profit et de condition de vie. Le travail nous libère-t-il de la liberté ?

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