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La politique est-elle une affaire d’efficacité ou de justice ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La politique consiste généralement à gérer la vie en collectivité que la cité représente d’une manière traditionnelle. Se demander si elle est une affaire d’efficacité ou de justice indique que sa conception oscille entre une gestion purement pratique et une organisation morale de la cité. La question est pertinente, car si la politique tient au bien-être de cette dernière, l’idée d’une bonne cité reste ambiguë. Est-ce une cité prospère dans ses conditions concrètes ou est-ce une cité noble à travers sa justice ? La politique de la première juge que ses considérations sur la vie de la cité sont réalistes et que  s’affairer pragmatiquement à cette dernière demande de la dépouiller de tout accessoire idéaliste. Celle de la seconde estime que la cité doit être l’incarnation de l’ordre rationnel où ne règne aucun conflit puisque tout serait à sa juste place. Toutefois, à travers ces considérations qui apparaissent opposées, ne fait-on pas preuve d’une certaine caricature ? Car il semble qu’il reste difficile de choisir l’un aux dépens de l’autre d’une manière définitive. Le sens de la politique comme gestion demande que l’esprit d’efficacité, soit de la réussite avant tout, serve la cité, or une cité qui n’est pas juste serait impossible tant celle-ci représente un ordre reconnu d’une manière légitime de la vie collective des hommes. Ainsi, nous voyons ici s’être tissé un débat qui demande une résolution dialectique. Il convient de développer les thèses opposées pour arriver à une éventuelle synthèse. Premièrement, considérons ce qui semble le plus évident, à savoir qu’une société qui n’est pas organisée à travers un sens de la justice ne mérite pas d’en être une. Deuxièmement, problématisons cette conception en la contredisant par la réalité politique qui demande avant tout d’être pragmatique. Enfin troisièmement, développons en quoi exactement les deux thèses ne peuvent être recevables individuellement pour définir la politique et qu’il en faut penser une certaine articulation.

I) La politique a un souci de justice.

1. Les hommes dans leur vie collective ont le souci de justice

Demandons-nous d’abord d’où vient exactement l’activité politique. Celle-ci est théoriquement née du souci de l’organisation de la vie collective. Si à l’ère primitive le groupe humain fut naturellement organique, l’élargissement considérablement complexe de ce groupe demanda de discuter des façons idéales de s’organiser. À travers cette discussion, l’homme aspire à l’idée de justice. Celle-ci représente le sens de la rectitude, un juste milieu impartial reconnu par la raison entre les rapports des hommes.  Aristote dans son Ethique à Nicomaque propose de poser l’idée de juste  comme synonyme de l’égalité. Il tente de démontrer sa proposition par la logique suivante : « puisque l’injuste ne respecte pas l’égalité et que l’injuste se confond avec l’inégalité, il est évident qu’il y a une juste mesure relativement à l’inégalité. Cette juste moyenne c’est l’égalité ». Toutefois le sens d’une égalité formelle n’est pas toujours partagé, car chacun peut estimer dans ses rapports aux autres une condition qui lui est particulière. Il convient dès lors de donner à un tiers considéré comme impartial le droit de juger. Ce tiers est la loi, car celle-ci est impersonnelle étant donné qu’elle se moque de nos sentiments subjectifs. Sans leurs définitions précises pour servir de guides et de contrôle, les individus seraient facilement relâchés à leurs tendances égoïstes. Il est dans la nature de l’individu de penser à priori à ses désirs qui portent tous ses intérêts. La fonction propre de la politique n’est donc pas de gérer arbitrairement la vie collective, mais de la gérer à travers des lois qui devraient représenter un ordre juste dans le sens d’une impartialité rationnelle.

2. La cité demande une organisation qui manifeste le sens de la justice

La politique, de son étymologie grecque polis qui signifie la cité, est traditionnellement définie comme l’art de gérer la cité. Pour Platon l’auteur de la République, elle consiste à penser l’unité des éléments (les hommes et les ressources matérielles), des fonctions (le rôle organique de chacun) et des forces diverses (les tendances tempérantes des hommes) que la cité met en jeu. Si penser cette unité demande donc un sens de l’ordre, pour Platon, celui-ci se doit être juste dans le sens où le rôle de chacun participe à un équilibre général. Ici, Platon va définir d’une manière analogique la cité avec les différentes natures de l’âme qu’il convient d’équilibrer pour atteindre une certaine paix. Ainsi, la nature désirante correspond au rôle de la force productrice tandis que la nature hardie et vigoureuse, aux forces guerrières. Puis, la nature intellectuelle prédisposée à contempler le bien convient  aux sages gardiens de la cité. La considération platonicienne peut paraître caricaturale tant la personne humaine semble être plus complexe, mais elle a au moins pour mérite de penser un ordre idéal qui amène les citoyens à participer à la vie sociale avec un sens de responsabilité rationnelle et non un simple sens de contrainte.

La politique est donc une affaire de justice dans le sens où les hommes demandent celle-ci dans l’organisation de leur vie collective. Toutefois, cette considération n’est-elle pas un parti pris handicapant envers l’aspect pragmatique que la politique devrait manifester aux conditions réelles de la vie de la cité ?

II) La politique se doit être pragmatique

1. Atteindre les objectifs politiques demande de dépasser les considérations morales

Machiavel dans son ouvrage Le Prince montre que, quels que soient les objectifs de la politique, il ne faut pas se retenir d’user des moyens les plus efficaces pour l’atteindre. La première raison est que la cité manifeste moins l’ordre de la seule raison que la tendance des passions. Celles-ci sont les forces du désir comme la peur, l’avidité, la colère ou l’admiration qui motivent ou mobilisent notre volonté. Le fait est que si le bon usage de la raison dans le sens du raisonnable était partagé par tout le monde, le sens du devoir moral suffirait à organiser pacifiquement la cité.  Et pourtant, il faut encore ruser ou intimider les envies criminelles par de fortes passions comme la peur de perdre sa vie ou ses biens pour garantir l’ordre. Ensuite, la seconde raison est que le public ne voit que le résultat manifeste. La personne ordinaire juge la politique parce qu’elle établit « concrètement » vis-à-vis de l’intérêt public. Pour ce qui est de la qualité morale des moyens, qu’importe ce qu’il en est vraiment dans les coulisses du théâtre populaire, tant que la personnalité publique du politicien paraît s’accorder avec les bonnes mœurs, il reste charismatique.

2. La politique demande l’art de gouverner qui sait saisir les opportunités

Considérons enfin que gérer la cité demande plus de se soucier de l’art de gouverner que de la seule application des devoirs politiques. Le fait est qu’on ne peut arriver efficacement à ces derniers en respectant religieusement les cadres formels des droits qui déterminent l’usage du pouvoir politique. Le problème des cadres formels est qu’ils sont définis par des considérations idéales. Ils sont donc abstraits et généraux. Or, les événements dans leur expérience concrète sont circonstanciels, c’est-à-dire que les situations qu’ils présentent sont des conjectures qu’on ne peut pas toujours prévoir. Seulement les circonstances offrent parfois des opportunités que les normes légales ou morales manquent de décrire ou interdisent. Or, celui qui veut agir efficacement ne peut les négliger, car les réalités tant culturelles que matérielles changent et les règles du jeu officielles ou habituelles tardent souvent à les suivre.

On peut alors comprendre pourquoi en politique il nous est demandé de choisir entre l’efficacité et la justice tant les deux concepts semblent être opposés. Toutefois, cette considération reste problématique, car on ne peut choisir  l’un aux dépens de l’autre tant dans l’extrême leur considération n’est pas vraiment politique.

III) La synthèse nécessaire entre esprit d’efficacité et esprit de justice

1. Choisir absolument l’un aux dépens de l’autre n’est pas une politique viable

En fait, ni l’efficacité ni la justice ne peut ni en droit ni en fait définir dans l’absolu l’affaire politique. Remarquons respectivement les lacunes de leur extrémisme. Une politique qui veut être efficace à tout prix déshumanise l’activité politique. La politique veut certes servir efficacement le bien public, mais il faut remarquer que cette pensée peut neutraliser notre esprit d’autonomie, chose qui fait notre dignité humaine. En effet, l’esprit d’efficacité  peut nous habituer à user des moyens les plus opportunistes sans considérer les répercussions morales. Si l’efficacité ne vise que le résultat couronné de succès, en politique, cela reviendrait à permettre les pires corruptions de nos droits pour le seul salut de la victoire. Or, celle-ci peut-être un sentiment subjectif. Car à quel moment le passionné de la victoire peut-il objectivement dire qu’il s’agit d’un succès pour l’intérêt général et non pour lui-même ? Sans cette capacité de distanciation que permet la conscience morale entre la volonté de réussir et la considération de l’intérêt de l’objectif, on peut vite tomber dans l’illusion de la logique des passions. L’esprit de l’efficacité à tout prix peut vite oublier de considérer ce qu’elle sert véritablement en premier lieu et c’est inconditionnellement en politique l’intérêt public. Puis, en ce qui concerne l’esprit de la justice, il ne peut non plus dominer l’affaire politique. La justice est un concept problématique en elle-même suivant ses deux sens opposés que sont l’égalité et l’équité. L’égalité considère des normes impartiales que chaque être doué de raison pourrait comprendre, or l’égalité absolue neutralise la considération des particularités. Son problème est de vouloir trouver de l’universelle là où dans les faits il n’y en a pas. Quant au souci d’équité, il est en toute rigueur impraticable pour l’homme politique qui ne pourrait se mettre à la place de toute personne dans toutes les situations. À ces problèmes tant de l’esprit de l’efficacité que de l’esprit de justice, il faut définir une articulation synthétique.

2. L’esprit d’efficacité et de justice se complémente en politique

En effet, on peut penser articuler efficacité et justice en politique à condition de faire preuve de mesure. D’abord, l’efficacité ne doit concerner que les moyens et ne peut être sa propre fin au risque de corrompre nos premières intentions. En ce qui concerne la justice, elle ne peut être une norme intérieure où la seule subjectivité qui prétend à l’universelle juge, mais doit faire face aux discussions et éventuellement se concrétiser. C’est pourquoi ici s’esquisse l’idée qu’en politique l’efficacité devrait servir la justice. Considérons la réalité des droits, ces derniers sont prescriptifs en considérant des situations idéales. Ils sont censés parler à des êtres conscients et doués de raison. Une politique qui les appliquera efficacement devrait garantir le droit d’être écouté ou de se défendre devant des instances judiciaires comme le tribunal moderne. Devant ce dernier, la particularité des situations est étudiée sans toutefois négliger les lois en vigueur. Puis, une politique qui veut servir la justice doit travailler sur les données changeantes du réel. Elle ne peut asseoir une justice totalitaire, soit absolument sûre d’elle, mais doit être ouverte à l’évolution de la cité par ce qui historiquement affecte cette dernière. Une véritable politique est donc à l’écoute de ce qui convient à l’intérêt public dans les situations données.

Conclusion

En politique, choisir entre efficacité et justice est problématique tant les deux aspects qui sont opposés par nature lui sont nécessaires. D’un côté, la politique a besoin de la justice, car celle-ci est la raison pour laquelle les hommes acceptent d’être gouvernés, mais que surtout pour que la cité soit organisée d’une manière harmonieuse. D’un autre côté pourtant, l’esprit d’efficacité est autant nécessaire en politique quitte à s’opposer au souci de justice. La justice veut établir des normes idéales, or la politique se doit de considérer les conditions concrètes de la vie de la cité d’où la volonté des résultats victorieux malgré les moyens immoraux. Mais cette impossibilité de choisir entre les deux esprits est par ailleurs renforcée par la considération des lacunes individuelles des deux esprits vis-à-vis de la politique. L’efficacité pour l’efficacité peut corrompre les fins que la politique se donne. En ce qui concerne la justice, elle ne peut juste se définir sans être établie efficacement. D’où cette considération finale que l’efficacité et la justice ne peuvent que se conjuguer en politique. Si à l’esprit d’efficacité on doit l’expérience pratique, celle-ci doit amener la justice à se concrétiser et à s’adapter aux conditions changeantes de la vie de la cité.

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