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Défendre nos droits est-ce défendre ses intérêts ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

L’idée de droit est généralement comprise comme ce qui est attendu de la société en retour à l’accomplissement de mes devoirs envers elle. En ce sens, défendre ses droits semble donc revenir à défendre ses intérêts. Toutefois, parler d’intérêt revient à deux dimensions, tout d’abord ce mot exprime ce qui m’est avantageux, on parlera ici d’intérêt particulier. Mais ensuite, il peut aussi désigner le bien-être général qui dépasse la seule considération de mon être, on parlera alors d’intérêt général ou d’intérêt commun. Il semble que le droit en tant qu’ensemble de règles qui organisent un vivre ensemble harmonieux renvoie à cette dernière dimension. Dès lors, on peut douter du seul impact personnel de la défense du droit. Par conséquent, réclamer ses droits est-il un acte égoïste, et mon ego est-il conforme à ce que les autres réclament comme étant leur droit ? Pour répondre à ce problème, il nous faudra développer l’idée que la défense de nos droits pourrait n’être que la défense de nos intérêts personnels. Mais nous allons aussi examiner en profondeur que la défense du droit, sachant que nous partageons les mêmes droits, dépasse notre individualité.

I. Mes droits me concernent toujours et en priorité

A. Les droits visent une finalité particulière et pratique

À première vue, l’homme réclame ses droits en tant que moyen efficace pour parvenir à ses fins. Puisque je sais que la société octroie un certain droit selon une disposition donnée, disposition qui concorde d’ailleurs avec la mienne propre, je fais le calcul rationnel pour exploiter les avantages issus de ce droit. Et si je constate que je ne suis pas traité selon ce qui me revient de droit, je me sens lésé selon un point de vue pratique. En outre, si ce droit ne m’avait pas procuré un réel avantage, je penserais même que j’aurais été couverte de ridicule en le réclamant. En effet, la société est considérée comme un terrain de jeu où les droits désignent les règles d’actions possibles et dont le but est la maximisation de son bien-être. Si je veux par exemple me débarrasser d’un autre joueur qui me dérange, je peux l’inciter à transgresser mes droits et faire appel à la loi pour le sanctionner. Je peux même le piéger dans une situation qui favorise mon droit à la légitime défense et l’éliminer légitimement d’un point de vue légal. Les stratégies judiciaires où les vrais criminels peuvent être acquittés ne suggèrent pas forcément la corruption de quelques éléments clés du procès, mais surtout l’habileté de l’avocat à user de la sophistique des droits. Giambattista Vico, un penseur napolitain du XVIIème siècle, démontre clairement dans la méthode des études de notre temps, cette réalité ambigüe dans la sphère juridique : « Aujourd’hui, ce sont les codes qui sont injustes, s’ils ne sont pas accommodés aux faits au moyen d’une interprétation indulgente ».

B. Les droits peuvent être au service du pouvoir dominant

Selon une compréhension plus large, le droit positif s’observe comme une norme institutionnalisée selon des raisons arbitraires. Dans ce cas, l’immoralité est inscrite même dans l’élaboration du droit, et ce, selon une dimension politiquement machiavélique. Cela illustre en particulier le régime totalitaire qui concentre tout pouvoir, mais aussi celui de la législation dans la main d’un parti unique. En conséquence, le droit est utilisé comme instrument en vue de conserver le pouvoir du souverain, étant donné que la masse populaire se soucie peu ou ignore totalement la machination qui se trame au pouvoir. L’usage combiné du droit et du pouvoir est malheureusement nuisible, comme le démontre le mythe de l’anneau de Gygès, évoqué par Platon dans la République : « Car si quelqu’un, disposant d’un tel pouvoir, ne consentait jamais à commettre l’injustice et à toucher au bien d’autrui, il paraîtrait à ceux qui le connaîtraient comme le plus malheureux et le plus insensé des hommes ».

Le comportement centralisateur du gouvernement totalitaire se dévoile quand le pouvoir en place supprime le droit de création de parti politique ou contrôle la liberté d’expression, en supprimant les productions artistiques subversives à son idéologie ou à la crédibilité de sa domination. Ce droit se manifeste également par le monopole des droits médiatiques sur une seule station dite officielle.

Il semble ainsi normal de considérer le droit comme un simple instrument, car il est pratiquement un ensemble de règles manipulables de permis et d’interdit. Toutefois, dans le fondement même du droit, n’est-ce pas la reconnaissance de ce qui est éthique et surtout humain, en moi comme en l’autre ?

II. La défense de nos droits dépasse notre seul sujet

A. Défendre le droit c’est défendre la justice

En fait, reconnaitre son droit c’est aussi reconnaitre la justice, ce qui ne se comprend que par un caractère altruiste. Reconnaitre la justice c’est comprendre la distribution équitable des mérites dans la différence des efforts de chacun. Mais encore, c’est aussi considérer l’inégalité des chances et la nécessité de les équilibrer selon des moyens qui limitent parfois notre liberté. Quand nous payons les taxes qui sont ajustées à l’égard de l’ensemble de notre fortune, nous pouvons aussi penser par exemple au maintien des droits des plus défavorisés à avoir une assistance sociale que notre contribution finance. En réalisant que les inégalités à l’accès des ressources creusent un écart entre les personnes aisées et les personnes démunies, je consens à payer mes impôts tout en sachant que cela n’est pas véritablement pour mes propres intérêts. Parfois, les décrets gouvernementaux posent à juste titre ce qui est conforme au bon déroulement de la vie en société. C’est aux citoyens de décortiquer la justice au sein de l’État, à travers les droits institués selon la légalité. Aristote montre dans l’Éthique à Nicomaque la nuance entre respecter la loi et défendre le droit de chacun selon la justice : « Ce qui fait difficulté c’est que l’équitable est juste, mais non pas juste selon la loi ; il est plutôt un ajustement de ce qui est légal ».

B. Défendre le droit c’est défendre l’humanité

En profondeur, on peut aussi défendre ses droits dans la conscience qu’ils renvoient au respect même de la dignité humaine. C’est notamment les vœux de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui reconnait« la liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l’oppression ». Idéalement, les droits positifs sont une objectivation des droits naturels de l’homme, des droits qui désignent l’ensemble des caractères fondamentaux dont dispose tout homme, sous peine de traiter l’autre comme un simple moyen. En effet, l’enjeu du respect de ces droits est l’homme libre. En conséquence, le droit tend principalement vers la liberté, qui est l’essence même de l’humanité. Selon un point de vue ironique, Nietzsche met en lumière le caractère ambivalent du droit, dans le sens où la justice elle-même n’a pas véritablement d’utilité, mais une valeur tout simplement humaine. Il dit : « Ce n’est pas pour le droit que vous vous battez, vous les justes : c’est pour faire triompher votre image de l’homme ».

En somme, défendre nos droits est-ce défendre l’individu ou la communauté ? À la première évidence, le droit en tant qu’ensemble de règles est manipulable, notamment de manière tacite, au service d’une personne ou d’un groupe de personnes. L’institutionnalisation de certains droits peut même masquer la seule fin de la conservation du pouvoir de ceux qui les posent. Cependant, l’homme ne peut pas agir indéfiniment et impunément de la sorte, donc le droit a aussi une ambition de justice dans la considération de l’équité entre moi et autrui, la défendre est donc aussi éthique. Enfin, entre ma personne et celle des autres, défendre le droit c’est défendre la dignité humaine, surtout dans la considération que l’homme est un être conscient, responsable et libre. Puisque l’homme n’agit pas toujours de façon intéressée, mais qu’il lui arrive de faire des choses d’une manière désintéressée, l’on peut conclure que dans le domaine du respect du droit, son intérêt est avant tout d’être désintéressé.

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