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La société a-t-elle le droit de tolérer l’injustice ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La société est l’organisation effective du vivre ensemble. Elle procède par la réglementation des conduites de ses individus pour assurer l’intérêt général. Dès lors, se demander si elle a le droit de tolérer la justice c’est se demander si les inconvénients de la justice seraient un mal nécessaire pour son bon fonctionnement. L’injustice est généralement pensée comme ce qui n’est pas impartial. Elle est le contraire de la droiture arithmétique de la justice. Être injuste c’est se pencher envers une partie au profit d’une autre. Une société qui tolère l’injustice serait donc une société qui accepte malgré ses maux, les inégalités de traitement. Mais pourquoi la volonté morale des hommes qui cherchent dans la cohésion sociale un ordre juste pour tout le monde trouve l’inégalité acceptable? Se pourrait t-il que l’inégalité présente une forme de justice, car le droit n’est-il pas censé définir la justice et la rendre effective ? Mais encore, si tolérer suppose une justification, n’y-a-t-il pas une contradiction à dire qu’on pourrait alors justifier l’injustice ? Sommes-nous face à une ambiguïté qui mérite d’être éclaircie ? En somme, ces questions convergent vers le dévoilement d’une problématique fondamentale à l’existence même de la société: Comment la société se voulant être une organisation harmonieuse peut-elle accepter la participation du déséquilibre de l’injustice pour préserver cette harmonie ? Pour résoudre ce problème, il nous faut discourir à partir du développement suivant. Dans une première partie, nous observerons comment la société peut accepter l’injustice au nom de conditions qui transcendent cette dernière. Dans une seconde partie, nous contrasterons cette perspective par une autre, celle de l’économiste Friedrich Hayek qui suggère que l’idée d’une injustice sociale n’est pas pertinente vis-à-vis de l’amoralité de l’organisation sociale. Dans une dernière partie, nous considérerons un dépassement du problème par la perspective que ce dernier vient du fait que le projet d’une égalité radicale est contraire à l’idée de justice et qu’il faut préférer une autre perspective qui est celle de l’équité.

I) La société peut régulariser des compromis vis-à-vis de l’idée de justice au nom de l’intérêt générale

1. La société a le droit de tolérer l’injustice personnelle au nom de l’ordre

Partons du constat qu’en société la justice personnelle ne peut pas justifier tous les moyens qu’on juge proportionnels à la réparation de nos torts. La loi du talion suggère la fameuse réciprocité du « œil pour œil, dent pour dent ». Ce qui présente une justice commutative dans l’équivalence du tort et de la réparation. Aussi fort soit le sentiment de justice qu’elle procure, cette dernière ne peut être qu’interdite, car elle perturbe l’ordre social. La loi du Talion ne peut être véritablement impartiale, elle ne peut garantir l’objectivité de l’échange. La valeur des objets d’échange est relative à leur expérience subjective. Dès lors dans la différence d’appréciation, elle risque d’engager et d’enfermer les concernés dans le cercle vicieux de la vengeance. Ce que la loi peut définir comme un semblant de justice c’est l’idée que tout acte qui n’observe pas la loi a des sanctions conséquentes. Bien que l’ordre de la conscience privée ne puisse être établie d’une manière satisfaisante par les peines symboliques de la loi, le rétablissement de l’ordre général menace quand même les envies criminelles.

2. La société présente des inégalités dans ses fondations qu’elle ne peut que tolérer

Considérons aussi que la société s’est organisée sur des fondations qui définissent au préalable des inégalités entre les hommes. Pour Rousseau, ces inégalités ont commencé à partir de l’institution du droit sur la propriété foncière. Il est pertinent de considérer que les hommes puissent se sentir intitulés de la possession de leurs terres par un certain effort dans l’aménagement de ces derniers. Dès lors, leur circonscription officielle vis-à-vis de la communauté ne pouvait être que légitime et pratique. Le problème est qu’au cours de l’évolution de la société, la richesse économique aura vite différencié les hommes en valeur que leur descendance a hérité des dispositions de départ inégales. A partir de là, il serait juste que la société rectifie ces inégalités. L’interventionnisme de l’État dans les richesses privées est plus injuste que les inégalités de la libre compétition. Il est moins difficile de tolérer les inégalités de chacun à s’épanouir économiquement pleinement que de tolérer l’absence même de la chance de réaliser ce dernier.

Pour la société, l’injustice est alors tolérable si elle préserve l’ordre et la liberté. Peut-on véritablement parler d’une injustice sociale quand la société n’est pas une volonté morale consciente?

II) Le non sens d’une injustice sociale et ses dangers

1. L’idée d’une injustice sociale n’a pas de sens

Pour Friedrich Hayek, auteur de Droit, Législation et liberté, l’idée de justice sociale est à proprement parler un non-sens. Selon lui, l’idée d’injustice implique une conscience volontaire qui est informée des torts que ses actes peuvent causer mais qui choisit tout de même de les réaliser ou de les poursuivre. Or, l’organisation sociale est un fait involontaire et par ailleurs impersonnel. La société est produite et animée par les circonstances imprévisibles de la concurrence. Les myriades d’individus qui la composent ne font que tirer profit de l’opportunité d’une situation d’échange: ils vendent ce qui a une demande, ils concourent pour un emploi correspondant à leurs talents, ils se démêlent pour garantir leurs valeurs. Dès lors, parler d’une injustice du système est mal placé, car le système n’est pas conscient de lui-même.

2. Ce qui entraîne le danger de l’interventionnisme poussé qui peut dériver vers le totalitarisme

Ainsi, l’Etat dans l’idée qu’il doit rectifier cette injustice pense pouvoir la rectifier grâce à un interventionnisme calculé. Cette intervention dans le libre marché est dangereuse pour la liberté de concurrence. Le danger est selon Hayek qu’elle soit « un cheval de Troie à la pénétration du totalitarisme ». L’Etat peut certainement arriver à des compromis comme la loi de l’antitrust qui vise à lutter contre le monopole du marché par une entreprise dominante qui peut absorber ses concurrents dans la détresse financière de ceux-ci. Il ne peut contrôler en toute rigueur l’ingéniosité des hommes à faire l’usage pragmatique des règles à leur propre profit. L’espèce humaine est particulièrement perspicace dans le dépassement des obstacles qu’il crée. L’Etat ne peut être partout dans les accords privés et les marchés aux noirs. En réponse à ces irrégularités, il peut s’obstiner à définir des cadres de plus en plus stricts vis-à-vis des conditions de la libre concurrence. Ce qui risque de priver les individus de toute affaire légale où ils pourraient exercer leur autonomie.

Si l’idée d’une injustice sociale est en soi contradictoire et dangereuse dans sa considération, comment alors considérer le problème des inégalités de chances ? Sont-elles autant tolérables du fait que personne n’en est le responsable direct ? Car ceux qui sont traités inégalement d’une manière positive ne participent-ils pas autant à l’essor de la société que ceux qui le sont d’une manière positive ?

III) L’équité  comme le respect de la différence et la considération des inégalités

1. La société harmonieuse demande le rapport équitable des différences et non la suppression de ces derniers

En fait, il n’y pas de contradictions entre l’idée de justice et d’inégalité si l’on considère le point de vue de l’équité. L’équité est la forme de la justice, aussi appelée la justice distributive, qui considère la part de chacun en proportion à leurs différentes conditions. Cette justice reconnaît qu’en toute rigueur les échanges ne se font pas entre des hommes égaux. Ce qui donne le sentiment d’injustice dans deux cas : soit, les hommes sont égaux et les parts ne le sont pas, soit les parts sont égales et les hommes ne le sont pas. L’idée de convenance proportionnelle est donc plus pertinente en termes de rapport social en reconnaissant la particularité du cas concret que celle de l’isonomie abstraite de l’égalité. Cependant, la mesure des proportions pose le problème de l’objectivité. L’équité se base sur l’idée de mérite, ce qui est un jugement de valeur. Or, les jugements de valeur se prêtent difficilement à l’objectivité sans un conventionnalisme performant. Il faudrait que les individus reconnaissent et acceptent normativement la mesure symbolique de leur statut et de leurs objets d’échange dans un système effectif où il se reconnait prendre part en toute autonomie.  Il n’y a aucune équité de faits entre la rémunération de la superstar du football et de ses prouesses techniques. La superstar « vend » sa valeur symbolique dans un jeu arbitraire qui a une demande qui demande à être gérée financièrement. Ce qui importe c’est de savoir si le jugement qui distribue les parts est une autorité qui a une certaine expertise de l’échange et qui apprécie la valeur symbolique des choses en toute transparence rationnelle.

2. La seule injustice est de favoriser le radicalisme

Remarquons donc que la considération absolue de l’égalité ne permettra pas à la société de progresser. L’autonomie de l’individu à s’épanouir librement permet de motiver la compétition tant en lui-même qu’entre lui et les autres. Ce qui ne peut qu’ouvrir à de nouveaux horizons dans le dépassement progressif des limites. La seule injustice est de croire qu’une norme peut se faire valoir absolument en toute circonstance. La norme comme tout concept se doit de rester un idéal perfectible dans sa dialectique avec la rencontre de la particularité du concret et non un dogme radical. Le souci de l’équité est la preuve d’une autonomie qui va à la rencontre rationnelle de la situation. A l’égalitarisme radical, il faut préférer l’équité. Cette dernière veut considérer les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes et pour ce qu’elles valent dans leur situation en examinant la particularité. Elle est plus une ouverture par rapport à l’égalité qui est plus une fermeture conceptuelle.  En ce qui concerne la société, si elle doit rectifier les inégalités de nature sociale, elle ne peut restreindre l’épanouissement individuel. Au contraire, dans un souci d’équité, elle doit soutenir les défavorisés à avoir un accès à des bases sociales qui leur permettent un développement optimal de leurs vertus et de leurs talents.

Conclusion

Nous étions partis de cette contradiction entre le vœu d’un ordre social harmonieux et le fait qu’il pouvait accepter le déséquilibre de l’injustice. En effet, il nous a paru que la société faisait des compromis qui paraissaient injustes au nom de l’ordre social. La société ne peut accepter la justice personnelle qui nuit à l’équilibre et ne peut que tolérer les inégalités intrinsèques à sa fondation qu’il a conditionnée entre les hommes. La perspective de Hayek a pu nous faire observer le non-sens de l’idée d’une injustice sociale. S’il y a bien des inégalités, celles-ci sont le produit involontaire et impersonnel des circonstances d’une société de concurrence et non l’intention consciente de cette dernière. En fait, Hayek nous met en garde de l’interventionnisme poussé de l’Etat qui risque de dériver radicalement dans le totalitarisme. Le problème se situe effectivement dans l’idée que la suppression des différences puisse profiter à l’ordre social. Or, une société est l’organisation de volontés qui ne peuvent la faire progresser que dans le maintien de leur autonomie à s’épanouir différemment. De ce fait, l’idée de la justice de l’équité est préférable à celle de l’égalité radicale, car elle permet à l’individu d’être rationnellement considéré dans son effort. Cela nous rappelle finalement l’idée de Platon de la cité juste qui sait ordonner la multiplicité par le concours dialectique de ces dernières.

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