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L’histoire a-t-elle quelque chose à enseigner aux politiciens ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

On attribue souvent l’origine du sous-développement dans certains pays à l’acculturation à l’Occident, l’absence d’une souveraineté nationale ou encore la faible initiative des dirigeants. Et pourtant, l’histoire de ces pays offre souvent des personnages modèles qui brillaient dans le domaine politique, et dont le courage reflète l’esprit combatif de tout un peuple. Il est vrai qu’aucune civilisation, aussi puissante soit-elle, n’est destinée à durer éternellement : chaque pays connaît alors un apogée et un déclin au cours du temps. L’histoire retrace le pourquoi et le comment de la vie de ces peuples, et en écoutant sa narration, nous nous demandons parfois s’il nous serait possible de reproduire les conditions de vie dans ces époques lointaines. Sigmund Freud fait cette constatation dans son ouvrage L’avenir d’une illusion : « Les hommes, n’étant plus troublés par des conflits internes, pourraient s’adonner entièrement à l’acquisition des ressources naturelles et à la jouissance de celles-ci. Ce serait l’âge d’or, mais il est douteux qu’un état pareil soit réalisable ». Ce qu’il y a à espérer pour l’humanité est alors de gouverner un peuple en croissance exponentielle, toujours en quête de nouveauté et davantage de puissance par rapport à ses voisins. Essentiellement, c’est l’idée fondamentale véhiculée par l’histoire, ajoutée d’un brin d’héroïsme et d’actions vertueuses. Le développement d’un pays a-t-il un quelconque rapport avec son histoire ? Cette problématique sera traitée à travers trois paragraphes, où le premier analysera le caractère aléatoire des évènements historiques ; le deuxième parlera de la qualité des chefs d’Etat et monarques qui sont mis en exergue par l’histoire ; et le troisième conclura que l’histoire n’est pas du même ordre que la science politique.

I) Chaque fait historique est unique en son genre

Les faits qui constitueront les livres d’histoire sont sélectionnés d’une façon naturelle selon leur pertinence : ce sont d’abord les témoins vivants qui raniment ces souvenirs et les transmettent aux autres générations par la tradition orale. Vient par la suite les historiens qui ont souhaité éterniser ces mémoires à l’intérieur de documents officiels, et élaborent des travaux de recherche sur ces évènements du passé. Leur travail consiste à raconter d’une manière objective le déroulement des faits, tout en soulignant le rapprochement entre les versions qui se dispersent. Dans son livre Discours sur l’histoire universelle, Bossuet affirme : « Les Histoires particulières représentent la suite des choses qui sont arrivées à un Peuple dans tout leur détail ; mais afin de tout entendre, il faut savoir le rapport que chaque Histoire peut avoir avec les autres ».  En effet, l’histoire n’est pas une simple énumération de la succession des monarques et chef d’Etat, elle retrace plutôt la manière originale par laquelle ces personnages ont accédé au pouvoir, laissant apparaître un enchaînement de faits qui se rattachent l’un l’autre. Ainsi, les faits historiques découlent de la volonté humaine, poussée par l’ambition, le courage et l’intelligence. Ces faits ne sont donc pas fortuits, mais recèlent un sens profond qui émane de l’intention du monarque, et que seul le peuple qui y concerné peut comprendre. Cela dit, elle n’offre aucune place au libre arbitre et au hasard, car même la gestion des paramètres exogènes fait déjà partie du processus de décision. « Rien ne s’est fait sans être soutenu par l’intérêt de ceux qui y ont collaboré ; et appelant l’intérêt une passion, en tant que l’individu lie tout entière, en mettant à l’arrière-plan tous les autres intérêts et fins que l’on a et peut avoir », écrit Hegel dans Leçons sur la philosophie de l’Histoire. Par conséquent, aucun fait historique ne se répète dans une autre date de l’histoire, que cela soit de manière provoquée ou non intentionnelle. Non seulement les personnages ne seront plus les mêmes, mais aussi le cadre spatio-temporel dans lequel il se déroule souligne que c’est déjà autre chose. Il se peut que l’interprétation de deux faits historiques de la part des observateurs puisse être les mêmes, cependant ces deux évènements ont été provoqués par des causes tout à fait distinctes. En effet, les contenus essentiels que nous fournit l’histoire sont entre autres des prises de pouvoir, des successions de défaite et de victoire, des stades d’apogée culturelle et économique. Mais à travers ces formes identiques, chaque prise de pouvoir prend toujours une manifestation différente qui recèle également une signification nouvelle. C’est en ce sens que Schopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme représentation, souligne : « La devise générale de l’Histoire devrait être : les mêmes choses, mais d’une autre manière ».

Un fait entre dans l’histoire, d’une part parce qu’il est en continuité avec les autres événements importants, et d’autre part parce qu’il se manifeste d’une façon tout à fait inopinée. Voyons à présent comment les hommes politiques sont-ils parvenus à ces résultats impressionnants.

II) Les chefs d’Etat sont jugés par l’efficacité de leur choix politique

En politique, il ne s’agit pas uniquement d’établir un programme de développement, mais surtout de gagner l’estime du peuple, et triompher devant l’ennemi et d’effectuer des actions mémorables qui distingueront le pouvoir actuel. Ce qui fascine dans l’œuvre de ces grands hommes, c’est la particularité de sa décision politique qui dépasse toute prévision, mais aboutit quand même à une réussite. Et même si le résultat vire en échec, cette période sera toutefois marquée dans l’histoire, car elle donne lieu à un changement radical dans le déroulement de la vie de la Nation. Ce passage de l’ouvrage Le citoyen contre les pouvoirs montre clairement l’essence de l’action politique : « La Victoire termine l’Épreuve ; mais l’Epreuve est bonne aussi pour le vaincu, dès que la guerre a été aussi longue et meurtrière qu’on pouvait l’attendre ». Bien que le rôle des dirigeants soit d’anticiper les aléas qui pourraient nuire au peuple, les politiques qu’ils mettent en place sont en fonction de plusieurs paramètres auxquels on ne peut pas échapper. En visant une obligation de résultat, l’homme politique est parfois obligé de faire abstraction de la morale tout en usant de quelques adresses pour le dissimuler. Il peut également abuser de la force dont il dispose, même si cela n’est pas permis selon la légalité. Toutefois, il peut également recourir à la morale dans le cas où cela participe à l’atteinte de son objectif, et que ce choix aura pour conséquence d’accentuer sa notoriété. Cette thèse est inspirée de ce passage du Prince de Machiavel : « Un prince doit s’efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de loyauté, et de justice ; il doit d’ailleurs avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer les contraires, lorsque cela est expédient ». Dans son régime de gouvernement, l’homme politique sera obligé de réinventer un nouveau système qui y sera adapté, tout en considérant de nouveaux paramètres qui y sont rattachés. En effet, la politique fait essentiellement intervenir la volonté humaine, et gouverner des hommes signifie modeler sa façon de penser et orienter ses comportements. Or, cela exige une manière d’agir en toute subtilité, en renonçant à des actions préétablies au risque de dévoiler au grand jour les intentions qui s’y dissimulent. C’est à travers la compréhension de ces tactiques qu’un homme politique peut écrire son nom dans les livres d’histoire. C’est en ce sens que Simone Weil déclare dans son livre Oppression et liberté : « Mais les hommes sont des êtres essentiellement actifs, et possèdent une faculté de se déterminer eux-mêmes qu’ils ne peuvent jamais abdiquer, même s’ils le désirent, sinon le jour où ils retombent par la mort à l’état de la matière inerte ».

Les exploits des hommes politiques restent gravés dans l’histoire, non seulement pour leur efficacité mais aussi pour le caractère ingénieux de leur décision. Mais puisque l’histoire ne produit aucune théorie, les politiciens ne peuvent pas s’y référer pour renforcer leur carrière.

III) Les enseignements de l’histoire s’apparentent à une légende

Les personnages qui apparaissent dans l’histoire font tous preuve de vaillance et de courage, ils présentent certes des ressemblances au niveau du caractère et des objectifs à atteindre, mais leurs œuvres sont tout à fait uniques. Pour parvenir à cette fin, ils se sont inspirés d’autres personnages héroïques sans pour autant en faire une imitation intégrale. Cela dit, nous pouvons interpréter de manière objective les exploits, leurs mobiles ainsi que les décisions de ces hommes d’influence, or cela ne signifie en rien que ces manœuvres puissent être valables dans le futur. En effet, les événements historiques forment une sorte de nécessité qui est d’ailleurs irréversible, ce qui signifie qu’il est impossible de prévoir l’environnement socio-politique dans un avenir proche ou lointain. Comme disait Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel : « Plus nous irons, moins les effets seront simples, moins les opérations politiques et même les interventions de la force, en un mot, l’action  évidente et directe, seront ce que l’on aura compté qu’ils seraient ». Du coup, les hommes politiques observent l’histoire en guise de culture générale, mais s’ils souhaitent en tirer une leçon, ce choix ne peut être généralisé. En tout cas, l’étude des récits historiques montre clairement que les hommes d’Etat qui ont voulu prévoir leurs parcours et le cours des événements se sont fait méprendre. Ainsi, l’histoire n’apprend rien aux politiciens, sauf celle-ci : il n’y a rien à apprendre dans le domaine de la politique, chacun se façonne selon ses propres qualités tout en subissant les infortunes qui surviennent à l’imprévu. Dans un domaine où le hasard gagne du terrain, il n’y a pas de place pour les belles théories. C’est pourquoi Marc-Aurèle disait dans ses Pensées : « L’art de vivre ressemble plutôt à la lutte qu’à la danse, en ce qu’il faut toujours se tenir en garde et d’aplomb contre les coups qui fondent sur vous et à l’improviste ». Par conséquent, ce n’est pas l’histoire qui forme les hommes politiques, c’est plutôt ces derniers qui décident comment l’histoire doit être écrite. Pour son élaboration, l’histoire a été reconstruite à travers une méthode tout à fait scientifique, c’est-à-dire que son objectivité a été vérifiée et les outils conformes avec la nature de son objet. Cependant, elle ne propose aucune loi nécessaire sur le cours du monde ; au contraire, elle marque son caractère aléatoire qui est d’ailleurs en étroite corrélation avec la nature vicieuse de l’homme. Ainsi, les hommes politiques possèdent le même caractère courageux et infaillible que leurs prédécesseurs, toutefois ils devraient inventer leur propre stratégie pour donner des exploits mémorables.  Bernard Mandeville, dans son livre La fable des abeilles, illustre cette réalité humaine selon cet extrait : « Sans cela je comparerais le corps politique à un bol de punch. La cupidité serait ce qui fait l’acidité, et la prodigalité ce qui le rend sucré. Je dirai que l’eau, c’est l’ignorance, la sottise et la crédulité de la multitude fluctuante et sans goût ; et la sagesse, l’honneur, le courage et toutes les sublimes qualités humaines (…) ce serait l’équivalent du cognac ».

Conclusion

Parmi tous les événements qui se sont déroulés dans le passé d’une Nation, il y a ceux qui seront inscrits à jamais dans le souvenir de tout un peuple, et d’autres qui seront tombés dans l’oubli. Remarquons que les événements historiques frappent l’esprit par leur caractère singulier, et un homme politique deviendra impopulaire et sera effacé de l’histoire s’il ne détient pas une force de personnalité. Les acteurs dans le domaine de la politique visent l’efficacité, tandis que les moyens déployés pour y parvenir sont le plus souvent improvisés selon les circonstances. Et à chaque cas qui se présente, il faudrait inventer une solution qui lui est adaptée, sans jamais se référer à une formule toute faite. Par conséquent, un événement de l’histoire se caractérise par sa singularité, et on ne peut pas le reproduire volontairement dans le futur en créant ces mêmes conditions. L’histoire fait rêver les futurs hommes politiques et donne une illustration sur ce qu’un peuple pourrait réaliser en déployant son courage, ses ambitions et son désir de liberté. Peut-on faire l’éloge d’une histoire sanglante et meurtrière ?

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Toute La Philo

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