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L’histoire est-elle une science humaine ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

 

Introduction

C’est à travers les travaux de Galilée que la science a reçu son statut d’objectivité, ce qui a servi de modèle pour les autres branches de recherches qui sont nées bien plus tard. Les sciences humaines, une catégorie particulière de savoirs basés sur l’étude de l’homme et de la société, revendiquent également cette objectivité. Le problème est que leur objet, à savoir l’homme, n’est pas de l’ordre des objets inertes ou des autres êtres vivants : il est à la fois le sujet connaissant et l’objet à connaître. Selon une vision immédiate, nous dirions qu’il n’y pas mieux placé que l’homme pour connaître ce qu’il est, et que nous n’aurions pas besoin d’en faire une science. Mais la philosophie, qui est la reine des sciences et pose l’homme comme principale problématique à résoudre, est tout à fait consciente de la difficulté de sa tâche. C’est pourquoi Max Scheler, dans son ouvrage L’homme et l’histoire, atteste : « Notre époque est celle où pour la première fois dans les temps historiques, c’est-à-dire depuis environ dix mille ans, l’homme est devenu complètement un véritable « problème » pour lui-même ». Quant à l’histoire, nombreuses sont les interrogations qui récusent sa scientificité, notamment pour sa démarche qui consiste à retracer chronologiquement les faits, sans jamais créer de concept.  Y a-t-il une certaine objectivité dans la narration ? Pour répondre à cette question, nous allons adopter un plan à trois parties : premièrement, le contenu de l’histoire retrace les actes héroïques des grands hommes ; deuxièmement, une science humaine se doit d’utiliser une méthode compatible avec la complexité de son objet ; et troisièmement, une discipline qui débite une connaissance vraie est une science.

I) L’histoire fait partie du patrimoine d’une Nation

Une maison, une ville, un monument particulier ont leur histoire, cela en fonction de l’importance des individus auxquels ils sont rattachés. Ainsi, l’histoire est édifiée afin  de prouver qu’il s’est passé quelque chose d’important, et surtout lorsque les témoins vivants commencent à disparaître et les vestiges qui y sont relatés deviennent de plus en plus rares. Selon une désignation plus officielle, elle regroupe les faits marquants dans la vie d’un peuple, notamment les actions des dirigeants qui ont transformé le paysage politique. Cependant, les hommes politiques ou les individus d’origine noble ne rentrent pas tous obligatoirement dans l’histoire : c’est en fonction de leurs exploits que leurs noms s’inscrivent dans les récits. C’est la raison pour laquelle Nietzsche disait : « L’histoire n’est tolérable que pour des fortes personnalités, elle étouffe les personnalités faibles ». Ainsi, l’historien détient un rôle très important dans le sens où l’histoire ne se constitue pas par elle-même, mais nécessite la reconstruction d’une version officielle des faits. Certes, le peuple en question marque déjà, par la tradition orale et par l’inauguration d’un symbole culturel, l’existence d’un passé remarquable. Toutefois, le recueil par une version écrite ou encore la création d’un musée est des actions voulues pour se souvenir dignement de ces évènements et honorer leurs pensées. Il se peut également que certains évènements sont désormais inconnus des générations actuelles, du fait qu’on aurait omis d’en parler couramment, ou bien aucune piste concrète ne serait plus visible pour connaître avec exactitude les versions. Cela dit, l’historien effectue une découverte en ayant le flair pour ce qui mérite de ne pas périr dans le passé. L’utilité de l’histoire se dévoile dans ce passage de La mémoire collective de Maurice Halbwachs : « Quand la mémoire d’une suite d’événements n’a plus pour support un groupe, celui-là même qui y fut mêlé ou qui en subit les conséquences, qui y assista ou en reçut un récit vivant des premiers acteurs et spectateurs, quand elle se disperse dans quelques esprits individuels, perdus dans des sociétés nouvelles que ces faits n’intéressent plus ». Une Nation qui n’a pas d’histoire ne peut pas être appelée Nation, ou du moins elle commence à le devenir une fois qu’elle en détient. D’ailleurs, la définition d’une Nation est basée sur l’existence de ce passé commun, ce qui inclut en même temps des pratiques communes telles que la langue, la religion ou l’occupation d’un même territoire. Et sans l’histoire, les exploits des grands hommes seraient inconnus des générations à venir, et leurs noms ne seraient même pas prononcés avec respect. Cet extrait de L’anthropologie d’Edward Sapir fournit une brève illustration à cette thèse : « La culture se rapproche ainsi de l’ « esprit » ou du « génie » d’un peuple sans que ces mots ne lui soient d’exacts synonymes ; employés dans un sens vague, ils se réfèrent surtout au passé psychologique ou pseudo-psychologique d’une civilisation nationale ».

Avant que les travaux des historiens ne soient entamés, il y avait déjà de l’histoire, mais se présentant sous une forme traditionnelle. Une fois ces récits transformés en écrits, l’on se demande sur la pertinence de cette démarche qui paraît d’emblée simple, mais se prétend être scientifique.

II) La méthode historique étudie la pertinence de chaque version d’un fait

Rappelons que la mémoire de l’homme n’est pas infaillible, sans parler de son imagination débordante qui a tendance à maquiller la version originale ou à pallier les oublis avec quelques fictions. En général, les vrais acteurs de l’histoire ne sont plus lorsque l’historien décide de l’inscrire dans les livres, et les témoins vivants sont également nombreux, mais présentent chacun leur propre version des faits. Cela dit, le rôle de l’historien est de confronter ces différentes narrations, issues de témoins susceptibles de déformer les faits pour des raisons personnelles. Henri-Irénée Marrou explique dans L’histoire et ses méthodes l’importance de ce rôle selon ces termes : « Hérodote enfin est déjà bien un historien, au sens professionnel du mot, par son désir de reconstituer et d’atteindre la vérité des événements passés dans leur réalité vécue, par son effort pour détecter la source d’information valide, par la méfiance que cette préoccupation entraîne et un certain pessimisme sur la nature humaine ». A travers sa mission, l’historien peut aussi réaliser que ces différentes versions se complètent, et constituent les pièces d’un puzzle. Et comme toutes les procédures scientifiques, la version officielle de l’histoire pourrait se rectifier au fur et à mesure que l’on découvre d’autres éléments probants qui confirment ou infirment ce qui a été dit. En cas de doute, l’historien peut décider de ne pas prononcer publiquement sur la véracité de deux versions contradictoires, mais se suffit seulement de les rapporter selon les sources. On peut dire alors que la procédure en histoire part du particulier vers l’universel, c’est-à-dire une méthode inductive, et sa scientificité repose sur la façon d’adapter sa démarche selon la nature des faits qui lui sont proposés. Ce phénomène scientifique a été expliqué par Georges Canguilhem dans son livre Structuralisme et marxisme : « L’histoire d’un concept ne peut pas être une histoire mélodique, mais une histoire qui suppose le rapport avec ce système dans lequel les concepts qui s’interceptent trouvent et se donnent réciproquement leur sens ». Néanmoins, s’il s’avère que la version offerte par l’historien présente une certaine part de subjectivité, ou alors recèle une déformation, cela relève de sa responsabilité et non une défaillance de la méthode historique. En effet, il n’est pas réellement souhaitable que certains faits délicats, comme la réputation d’un personnage public par exemple, soient divulgués au grand jour au risque de bouleverser l’environnement politique. Ainsi, la publication des œuvres historiques est soumise à des censures, sans pour autant effacer complètement le véritable récit. Dans ce cas de figure, l’histoire diffère un peu des autres disciplines scientifiques, qui ne sont aucunement soumises à d’autres autorités pour pouvoir énoncer au grand jour les résultats de leurs recherches. Comme disait Montaigne dans ses Essais : « Nous sommes à quêter la vérité ; il appartient de la posséder à une plus grande puissance ».

L’histoire est une discipline effectuée par des spécialistes dans le domaine, donc les résultats de leurs investigations dénotent un caractère objectif. Il n’est pas à douter que l’histoire soit une science humaine de par sa démarche, cependant sa particularité repose sur le fait qu’elle n’énonce pas de théorie ou de loi concernant l’homme ou le cours des événements dans le monde.

III) Il est impossible de déduire une loi universelle à partir de l’histoire

On parle d’histoire des sciences, d’histoire de la pensée économique ou encore d’histoire de l’art, mais jamais d’histoire naturelle. La Nature offre des formes des plus variées à travers chaque espèce et chaque lignée de descendance, cependant il n’y a rien d’étonnant à cette manifestation car il découle de la loi de la Nature de présenter une telle diversité. Pour la science, bien que sa mission soit d’énoncer une loi universelle concernant son objet, elle se contredit elle-même puisqu’une nouvelle théorie surgit par la suite pour dénoncer les failles internes dans l’ancienne. Et pourtant, ces théories restent toutes dans l’arène de la science. Cournot explique dans son ouvrage Essai sur les fondements de la connaissance et sur les caractères de la critique philosophique : « L’histoire intervient nécessairement là où nous voyons, non seulement que la théorie, dans son état d’imperfection actuelle, ne suffit pas pour expliquer les phénomènes, mais que même la théorie la plus parfaite exigerait encore le concours d’une donnée historique ». Les faits historiques présentent également ces mêmes caractéristiques, à savoir des réactions imprévisibles de la part des acteurs, face à une situation tout à fait nouvelle. Que le résultat aboutisse à une réussite ou à un échec, on applaudit le courage et la bienveillance de ces grands hommes par leur façon de gérer les choses avec ténacité et sans regret. Sachant que les faits individuels forment en histoire une suite logique à travers leurs successions, nous ne pouvons pas en déduire une relation de cause à effet. Cela signifie que si je reproduisais le fait antérieur, la conséquence qui s’ensuit ne serait pas nécessairement le fait qui l’avait succédé dans le cours de l’histoire. Et pour chaque fait qui se produit, nous sommes toujours impressionnés par sa nouveauté. Ainsi, l’histoire n’est pas au même niveau que les sciences politiques, bien qu’il soit conseillé pour les futurs politiciens d’observer les œuvres de leurs prédécesseurs. Hegel disait d’ailleurs dans son livre La raison dans l’histoire : « La litanie des vertus privées, modestie, humilité, amour du prochain, bienfaisance, ne doit pas leur être opposée. Du reste, l’histoire universelle pourrait entièrement négliger la sphère où se situent la moralité et l’opposition dont on a si faussement parlé entre la morale et la politique ». L’histoire n’est pas une tradition, le peuple et les dirigeants suivent la tradition mais ne se réfèrent pas à l’histoire. Ce sont les héros de la Nation qu’on admire à travers l’histoire, et on ferme les yeux sur l’immoralité de certaines actions qui ont été salvatrices. Si ces personnalités se résignaient tout simplement à se soumettre à la morale, ils ne seraient point exceptionnels, sauf pour les saints qui ont fait plus qu’il n’est requis en matière de piété et de chasteté. Ainsi, l’histoire nous offre quelques idéaux et fantasmes pour l’esprit, ce qui renforce notre volonté à nous dépasser, certes, mais ne procure aucune garantie que nos actions soient également une totale réussite comme celles de ces personnages historiques. C’est pourquoi Alain disait : « La légende est plus vraie à mes yeux que l’histoire ».

Conclusion

Utilisée couramment dans le langage quotidien, une histoire renvoie à un récit quelconque faisant intervenir quelques personnages. Mais officiellement, l’histoire marque l’identité d’un peuple, c’est une manière de dire au reste du monde que l’existence de telle ou telle Nation n’est pas fortuit, mais l’œuvre d’un esprit commun qui a lutté pour avoir ce statut. Cependant, plus un fait historique s’éloigne de l’époque où nous sommes, plus la confusion sème dans l’esprit des gens concernant l’exactitude de la narration. Ainsi, ces narrations qui évoquent partiellement le fait historique apportent davantage de clarté pour comprendre l’ensemble. Nous pouvons tracer une histoire une fois que nous constatons une évolution hétérogène à travers le temps, c’est-à-dire une évolution qui ne suit pas une loi préétablie. Ce que nous pouvons tirer de l’histoire, c’est la connaissance du passé déduite d’une méthode scientifique. Peut retracer l’histoire d’un peuple déchu et opprimé ?

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