Dissertations

Faire le bien est-il un droit ou un devoir ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’interdit est observé presque dans chaque culture, dont la compréhension échappe parfois à l’entendement ou, le plus souvent, l’explication demeure un tabou. Le comportement requis par les membres de la communauté est donc de respecter ces prescriptions, afin de ne pas réveiller la colère des dieux qui jetteraient des sortilèges sur les vivants. Certains diront qu’il s’agit de propos superstitieux, mais ces croyances ont pourtant servi efficacement de balises contre les vices, et ce, depuis des générations. Les anciens adhèrent également au même système lorsqu’il s’agit d’inciter les membres de faire le bien, à savoir leur rappeler les sanctions divines. C’est en ce sens qu’André Comte-Sponville écrit dans son livre Vivre, traité du désespoir et de la béatitude : « Avec ou sans inquisition, toute foi est dogmatique, dans son principe même : si mon sens est le bon (fut-ce quand je le proclame inaccessible ou caché), il faut le suivre ou se tromper ». En matière de religion, que ce soit chrétienne, panthéiste ou autre, nous recevons une révélation sans avoir à méditer dessus. Mais avec la morale qui est désormais un objet d’étude philosophique, le bien et le mal sont observés sous l’œil vigilant de la raison. Peut-on se dérober aux règles de la morale au nom de la raison ? Afin de décortiquer cette problématique, nous ferons une analyse en trois parties : primo, faire le bien peut être un choix personnel ; secundo, nous ne pouvons échapper à la conscience morale ; et tertio, le bien défini par la morale va toujours de pair avec la conscience.

I) Le bien et le mal sont une affaire de choix

Définir le bien est une chose, l’appliquer correctement dans notre quotidien en est une autre. En effet, les circonstances humaines ne sont pas toujours favorables pour faire le bien, en ce sens qu’une action moralement bonne n’entraîne pas nécessairement les effets escomptés en termes d’efficacité. L’entretien de nos relations avec autrui fait entrer le pragmatisme en jeu, au détriment des questions éthiques. Mais puisque les résultats de ces actions sont applaudis à l’unanimité, nous faisons abstraction sur l’origine de ces décisions. Et en considérant ces choix qui ont dévié du chemin de l’éthique, nous disons tout simplement que c’était un mal nécessaire. Comme disait Pierre-Joseph Proudhon dans La guerre et la paix : « On nie le droit de la force ; on le traite de contradiction, d’absurdité. Qu’on ait donc la bonne foi d’en nier aussi les œuvres ». Le choix de faire le mal n’est pas véritablement l’amour du mal, des fois nous voulons rendre justice en devenant injustes nous-mêmes. En d’autres termes, nous revendiquons intérieurement le droit de faire le mal, qui sera converti en bien à travers des justifications issues de la raison. Ainsi, nous faisons le mal par force, car en vérité personne ne peut accepter ouvertement qu’une action contraire à l’éthique puisse devenir un droit et contaminer toute la société. Et même si la force triomphe sur le droit, nous pouvons parfois constater que les conséquences ne sont pas toujours nuisibles pour le grand nombre. Cette citation extraite des Cahiers II de Simone Weil illustre clairement comment l’homme peut justifier ses actions au détriment du droit : « Ne pas croire qu’on a des droits. C’est-à-dire non pas déformer ou obscurcir la justice, mais ne pas croire qu’on puisse légitimement s’attendre à ce que les choses se passent d’une manière conforme à la justice ; et d’autant plus s’il n’en faut de beaucoup que soi-même on soit juste ». Du coup, il se peut que nous devenions la risée de tout le monde en faisant le bien, comme si nous manquions de discernement pour avoir choisi une action respectueuse de l’éthique par rapport à une autre qui est tout à fait contraire à celle-ci. Par conséquent, nous avons le droit de faire le mal, au même titre que nous avons le droit de faire le bien. Dans chaque circonstance qui se présente, nous avons alors le pouvoir de faire valoir ce droit, ou bien la maintenir seulement en puissance. Et lorsque nous voudrions agir selon les préceptes de la morale, c’est comme si nous devrions encore justifier cet acte, comme s’il s’agissait d’un droit qu’il faudrait encore faire valoir aux yeux des autres. Autrement dit, si notre décision se penche à faire le bien, c’est le plus souvent pour que les autres puissent nous apprécier, comme l’atteste ce passage du Prince de Machiavel : « Il n’est donc pas nécessaire à un prince d’avoir toutes les bonnes qualités dont j’ai fait l’énumération, mais il lui est indispensable de paraître les avoir, j’oserai même dire qu’il est quelquefois dangereux d’en faire usage ».

Dans une société où l’éthique fait défaut, le droit de faire le bien revient à ces minorités qui soutiennent encore l’importance des actions non basées sur le profit. Cela dit, la satisfaction personnelle d’avoir fait le bien ne peut se retrouver que dans une action accomplie par devoir.

II) Le devoir est à la fois un bien et la force qui nous pousse à faire le bien

La honte est une sensation qui affecte particulièrement notre état d’esprit, cependant elles se rapportent encore à des actions soumises au jugement des autres. Néanmoins, il est des cas où personne ne nous a vus agir de manière vicieuse, et que nous n’éprouvons aucune honte à se présenter publiquement, sauf que notre conscience nous rappelle constamment à quel point nous nous étions abaissés au rang des bêtes en faisant une action aussi indigne. En effet, la voix de la conscience s’éveille toujours même si elle n’est pas nourrie par la peur d’un châtiment divin ou humain. C’est la dignité humaine qui a été froissée en effectuant une action contraire à la morale, et ce, à l’insu de tous. Kant, dans sa Critique de la raison pratique, explique : « Quelle origine est digne de toi, et où trouve-t-on la racine de ta noble tige, qui repousse fièrement toute parenté les penchants, racine dont il faut faire dériver, comme de son origine, la condition indispensable de la seule valeur que les hommes peuvent se donner eux-mêmes ? ». Faisant référence à la notion de devoir, cette citation s’apparente de près à la conscience, dans le sens où notre conscience nous blâme lorsque nous n’avons pas exécuté notre devoir. En effet, les contenus du devoir ne sont pas toujours faciles à réaliser et font souvent entrave aux objectifs que nous avons établis. Pourtant, c’est justement dans ces complications que la notion de bien s’impose à nous, c’est-à-dire que le bien n’est pas un élément inséré pour embellir le tout, mais plutôt le but suprême qu’il faut atteindre sans conditions. Et c’est le cas du devoir : le but est de l’accomplir en bonne et due forme, sans se soucier des conséquences. Cette idée est appuyée par cet extrait de l’ouvrage Correspondance d’Einstein, stipulant : « Les fondements de la morale ne devraient pas être dépendants d’un mythe ou liés à une quelconque autorité, de peur qu’un doute concernant ce mythe ou ayant trait à la légitimité de cette autorité ne mette en péril les bases d’une action et d’un jugement sain ». Si la moralité d’une action est jugée, non pas en fonction de l’efficacité des résultats, mais plutôt dans l’intention de l’accomplir par devoir, il en découle que faire le bien n’est autre chose que le devoir lui-même. En effet, nous ne pouvons pas échapper au devoir, non seulement parce que la voix de la conscience nous l’impose, mais surtout parce qu’il n’y a aucun autre bien qui puisse se justifier lui-même comme le cas du devoir. Cela dit, accomplir son devoir est aussi honorable que ce soit au su de tout le monde ou bien dans l’ombre, mais il serait plus convenable qu’il soit exécuté sans aucune influence extérieure. Ainsi, faire le bien requiert tout un ensemble de qualités morales, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le bien ne retrouve sa véritable valeur qu’à travers le devoir. « Non seulement il refuse d’en tirer gloire : il voudrait même échapper à la reconnaissance, car elle est importune et ne respecte pas la solitude et le silence », constate Nietzsche dans son livre Aurore.

Parmi toutes les expériences que l’homme a pu réaliser, c’est à travers le devoir qu’il peut réellement connaître le bien. Et bien que l’homme détient le pouvoir et la volonté de tourner le dos à la morale, l’idéal du bien demeure intact face à une pensée éclairée par la raison.

III) La définition du bien ne dépend pas de son application dans la réalité

En affirmant que le monde ne tournerait pas correctement sans l’aide de la morale, nous nous mentirions à nous-mêmes. Effectivement, les choses humaines continuent leur marche bien que la morale ait été bafouée dans diverses circonstances et dans les cas les plus décisifs. Néanmoins, la morale n’est pas classée dans l’ordre des souvenirs, au contraire elle maintient activement son sens, et actuellement dans des situations très concrètes. En effet, l’organisation des catégories de professions, la manière de légiférer ou encore les valeurs familiales nous enseignent que la morale tient encore une place considérable chez les individus, pour en servir de pilier à l’intérieur des contrats. Le contrat social de Jean-Jacques Rousseau souligne d’ailleurs que : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». En effet, ce précepte ne serait mis en œuvre par le genre humain que dans la seule condition qu’il existe encore et toujours un germe de moralité à l’intérieur de lui. Du coup, c’est la base sur laquelle repose l’Etat de droit qui est actuellement la forme de gouvernement la plus répandue dans notre monde contemporain. Cela signifie que la morale n’est pas une théorie donnée qu’il faudrait vérifier dans le concret : c’est plutôt grâce à la nature humaine qui est dotée d’une conscience morale qu’il est devenu possible d’appliquer la morale dans la structure sociale. L’ouvrage Système de politique positive d’Auguste Comte souligne d’ailleurs que : « Chacun a des devoirs, et envers tous ; mais personne n’a aucun droit proprement dit. Les justes garanties individuelles résultent seulement de cette universelle réciprocité d’obligations ». La morale détient alors un statut particulier, où la pratique ne coïncide pas forcément avec la théorie. Cela dit, réfléchir sur la morale ne procure pas nécessairement à l’individu la force de l’accomplir dans les faits, et il se peut que celui-ci se penche même vers le sens opposé. La raison en est qu’il n’y a aucune force extérieure qui puisse alimenter ou dépérir la conscience morale, à part l’homme lui-même. Et la sanction la plus manifeste qui puisse être infligée à une personne immorale est celle émanant de sa conscience. C’est pourquoi Platon fait cette remarque dans La République : « Donnons au juste et à l’injuste la liberté de faire ce qui leur plaît ; puis suivons-les et voyons où la passion les mène l’un vers l’autre ».

Conclusion

D’emblée, le bien se reconnaît à l’intérieur d’une action qui contribue à l’harmonie de nos rapports avec autrui, ce qui affecte en même temps la constitution de notre personne. En vérité, nous connaissons parfaitement les chemins de l’éthique, sauf que sa poursuite n’est pas toujours recommandée lorsqu’il s’agit de décision politique, ou dans d’autres domaines où nous recherchons l’efficacité à tout prix. Mais ce qui distingue l’homme et qui fait sa supériorité de nature face à l’animal, c’est le fait de disposer de la voix de la conscience. Ainsi, c’est cette voix qui nous pousse au devoir, et nous donne la force de le faire sans jamais évoquer des critiques ou des commentaires. En principe, faire le bien selon le devoir est toujours d’actualité dans les faits, bien qu’il existe également des cas échéants qui passent sous silence. Or, penser que faire le bien soit de l’ordre du droit ou d’un devoir est toujours et déjà une incitation à faire le bien dans la pratique. La conscience morale peut-elle s’ériger comme juge suprême des actions de l’homme ?

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