Dissertations

Le passé n’est-il qu’une illusion ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’esprit de l’homme saisit et comprend le monde à travers le cadre spatio-temporel, et sa mémoire fait toujours référence à ce repère lorsqu’il remet des souvenirs sur la conscience. Mais entre l’espace et le temps, c’est ce dernier qui intéresse particulièrement les psychologues et les philosophes, étant donné que le temps revêt un aspect plus abstrait. Au temps présent, la perception des choses dans l’espace fait intervenir les organes de sens, mais une fois que ces impressions sont rappelées par la mémoire, elles sont de l’ordre des Idées. La réflexion devient encore plus profonde lorsqu’on parle de l’oubli, qu’il soit volontaire ou pas, car soit nous le classons comme de l’ordre de l’inconscient, soit il s’agit d’une faute d’inattention de la part de notre conscience. C’est l’idée que renferme cette citation de Leibniz tirée de son livre Nouveaux essais : « La coutume fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité de près depuis quelque temps ». Le passé se présente alors à nous selon deux options possibles : la mémoire ou l’oubli ; mais dans les deux cas, c’est la conséquence sur notre psychisme qui nous intéresse. Les choses qui n’intéressent pas notre pensée perdent-elles leur réalité ? La résolution de cette problématique se fera en trois phases, où la première fera étalage de la façon par laquelle notre pensée gère les dimensions temporelles ; la deuxième sera une explication sur l’acte de l’oubli ; et la troisième sera une synthèse sur la condition humaine qui est obligée de faire un tri dans son passé.

I) Les trois phases du temps sont contemporaines dans la pensée

Selon une observation empirique, les choses passent de l’état du non-être à l’être, mais aussi de l’être au non-être. Et pourtant, ces réalités maintiennent leur identité avec elles-mêmes, bien que la  pensée ait conscience du changement dans chaque instant présent. Le passé, comme son nom l’indique, est pour désigner ce qui se déroulait auparavant, tandis que le futur renvoie à la continuité du temps vers l’avant, et dont le contenu est rempli par l’imagination. Mais le temps dans son abstraction pure, car nous savons pertinemment qu’il n’y a pas d’objet existant qui est appelé temps, doit alors être représenté par un symbole abstrait, à savoir la ligne droite s’étendant à l’infini sur les deux côtés. Un passage de L’axiomatique de Robert Blanché souligne également la même idée : « Il peut y avoir de vide de pensée, il ne saurait y avoir de pensée vide. Pour penser effectivement le rien, il faut le représenter par quelque chose : une croix, un chiffre zéro, la mention « néant » ». Mais cette représentation conventionnelle se donne comme canevas dans la logique de la pensée, et offre une image trop simpliste des contenus du temps. En effet, il nous importe peu de créer un symbole du temps, que ce soit à travers une ligne horizontale ou autre, et de méditer sur cette ligne sans le rattacher à une autre notion ou l’inclure dans un système. Ainsi, en réfléchissant au temps, nous ne pouvons pas le représenter mentalement avec du vide : c’est toujours en fonction des événements anticipés ou mémorisés qu’on comprend le temps. Cela se conjugue avec cet extrait des Confessions de Saint Augustin stipulant : « Le ne m’en soucie guère, ni je n’y contredis ni ne le blâme, pourvu cependant que l’on entende bien ce qu’on dit, et qu’on n’aille pas croire que le futur existe déjà, que le passé existe encore ». Ce qui pose problème est donc la réalité de ces choses qui ne sont plus, alors qu’elles demeurent objet pour la pensée, et ces choses qui ne sont pas encore, mais supposées comme la suite certaine de ce qui est aujourd’hui. Le présent est encore plus problématique, car il est le point focal où il est possible de penser le passé et le futur, et le contenu même du présent, une fois qu’on y réfléchit est du passé très récent, ou alors du futur très proche. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que les trois phases du temps convergent vers le présent et ne peuvent être conçues que dans le présent. Cette thèse est empruntée de cet extrait de L’énergie spirituelle de Bergson, affirmant : « Ce que nous percevons en fait c’est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent ».

Le temps présent est une sorte d’actualisation des évènements, ce qui signifie qu’il s’écarte de la perception pour entrer dans la réflexion. Or, cette pure pensée ne peut embrasser la totalité des faits du passé, ni projeter au détail tout ce qui arrivera dans le futur.

II) L’oubli est une fonction naturelle de notre conscience

Notre esprit est le foyer de la volonté, ce qui signifie que notre corps est également gouverné par notre esprit. En plus, l’activité de la pensée ne pourrait avoir lieu si notre corps n’était pas dans une disposition favorable et saine. Le premier devoir de l’homme est donc de conserver la santé du corps, et les besoins de ce dernier sont très faciles à satisfaire. Sans recourir à de longues études en médecine, nous savons parfaitement ce dont notre corps demande pour fonctionner à merveille. En effet, il suffit d’écouter son appel à travers les signaux qu’il émet, alors que le refus de satisfaire ces besoins engendre des conséquences notoires. La conservation de la vie se fait un avec l’activité de l’esprit, comme ce que disait Descartes dans ses Méditations métaphysiques : « La nature m’enseigne aussi, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé que je compose comme un seul tout avec lui ». Cela dit, l’esprit écarte naturellement les pensées qui nuisent à la conservation de la vie, ce qui ne se limite pas seulement à celles qui font entrave à l’acquisition de la nourriture ou d’un toit. En effet, notre passé présente le plus souvent des échecs qui proviennent d’un accident malencontreux ou d’une témérité de notre part. À moins de vouloir se donner la mort, qui est d’ailleurs contre-nature, nous sommes toujours portés à nous projeter dans la vie, c’est-à-dire se créer un futur à partir des apports du passé. Pour cela, notre solution est d’épurer les pensées négatives à travers l’oubli volontaire. « L’histoire ne fait rien. C’est l’homme, l’homme réel et vivant qui livre des combats », déclare Karl Marx. Il est vrai que l’histoire est la forme par excellence de la mémoire qui s’enracine dans la conscience collective, or ses narrations sont déjà le fruit d’une sélection minutieuse de faits qui pourraient intéresser le monde. Et il en est de même pour la conscience individuelle, où la mémoire ne retient que les succès, alors que nous faisons en sorte que les événements scandaleux soient tombés dans l’oubli, ou bien rejetés dans notre inconscient. C’est le sens même de cette citation de Nietzsche qui dit : « L’histoire n’est tolérable que pour les fortes personnalités, elle étouffe les personnalités faibles ».

Nous avons naturellement tendance à oublier, même les événements marquants, une fois qu’il ne nous est pas vraiment utile dans le développement de notre être. Cependant nous savons pertinemment que cet oubli n’est pas réduire en pur néant, mais seulement une négation temporaire de la pensée.

III) Le devenir des choses affecte  la pensée et non l’essence de ces choses

Il importe de souligner la distinction radicale entre ces entités qui ont leurs réalités uniquement en pensée, et celles qui ont une existence véritable. Aucun événement ne pourrait être désigné comme un élément du passé que si et seulement si cet événement s’était vraiment réalisé dans un lieu et un instant bien déterminé. Cela dit, le passé ne se limite pas au cadre de la mémoire, étant donné qu’il y avait autant de faits qui ont été censurés. Par conséquent, les dimensions de cet univers formé par le passé sont toujours ouvertes, toutefois les faits qui n’ont pas été dénombrés par la mémoire ne sont nullement des illusions. En effet, nous désignons par ce terme d’illusion une connaissance confuse, ou alors un fait psychique qui relève de la fiction. C’est parce que nous avons omis volontairement un évènement qui fait que sa connaissance devient vague, et ce qui nous fait douter même de sa réalité. Dans la Critique de la Raison pure, Kant précise : « Quelles que soient la nature et l’étendue de notre concept d’un objet, il nous faut cependant sortir de ce concept pour attribuer à l’objet son existence ». En ce qui concerne le passé, c’est-à-dire la pensée de son contenu, nous partons de la description des faits et n’attribuons aucun concept a priori. Les éléments du passé, qu’ils nous soient clairement connus ou pas, sont bel et bien de l’ordre de l’existant : il s’agit d’une reconstitution de la pensée et non une fiction. Cependant, il est une tendance bien fréquente chez l’homme qui classerait les choses qui lui sont inutiles comme étant illusoires, ce qui est un véritable abus de langage. Autrement dit, l’illusion est une erreur de jugement qui a été poussée  par certaines passions, dont l’intensité a le pouvoir de nier ou de transformer la réalité, ou encore de la signifier à tort. Ceci est également une manière de démontrer à soi-même que le passé m’importe peu une fois qu’il n’est plus devant moi, et seule la nouveauté offerte par le présent compte. Cette idée va dans le même sens que cet extrait des Pensées de Pascal : « Les sens abusent la raison par de fausses apparences ; et cette même piperie qu’elles apportent à la raison, ils la reçoivent d’elle à leur tour : elle s’en revanche ». A proprement parler, le fait de qualifier le passé comme illusoire provient du constat que ces faits ne sont plus dans le présent. Or, ce type de raisonnement nous ferait accepter que tout ce qui existe soit illusoire, car destiné à disparaître. Mais le devenir est tout à fait une réalité, et le nier par la pensée pour rester figé dans le présent est une forme très particulière de l’illusion. Il n’y a pas de présent qui se maintient, quel que soit le nombre de souvenirs que nous possédions : il faut penser le présent dans la même fluidité qui transporte le passé et le futur. En vérité, l’illusion désigne tout simplement un mauvais usage de la pensée, comme le fait constater ce passage de L’avenir d’une illusion écrit par Sigmund Freud : « On peut qualifier d’illusion  l’assertion de certains nationalistes, assertion d’après laquelle les races indogermaniques seraient les seules races humaines susceptibles de culture ».

Conclusion

L’usage de la langue nous montre aisément que le déroulement des évènements est repéré dans un intervalle temporel. Méditer sur le passé ou sur le futur revient à dire méditer sur ces évènements que nous y avions insérés, et surtout à propos de leur réalité à travers l’écoulement du temps. Cependant, la pensée d’un incident affreux qui s’était déroulé dans le passé affecte considérablement nos prévisions du futur, de sorte à ne plus jamais vouloir rencontrer un évènement semblable. Par conséquent, l’acte de la mémoire s’accompagne toujours d’un oubli volontaire, afin que la vie puisse conserver son élan, ce qui est essentiellement basé sur la vie psychique. Le fait de distinguer l’illusion de la réalité véritable est donc une fonction propre à la pensée, y compris de déceler cette réalité lorsqu’elle est observée à travers le temps. Les contenus du passé ne sont nullement illusoires, que nous l’avions soigneusement enregistrés dans notre mémoire, ou que nous en avions une connaissance confuse à cause de l’oubli. Imaginer le futur devrait-il se baser sur les éléments du passé ?

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