Dissertations

Autrui change-t-il avec le temps ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Autrui est cette autre entité que je reconnais à la fois comme étant mon semblable et différente de moi. Et s’il est l’ensemble de ceux qui sont différents de moi, il semble irréductible à une généralité car j’arrive à distinguer dans cet ensemble l’identité des uns et des autres. Mais cette identité n’est pas seulement spatiale car j’arrive aussi à voir en lui le changement que le temps opère. Ce qui est étrange car je le reconnais toujours malgré ce mouvement. Je sais intuitivement qu’il est cette personne qui est affectée par des changements. N’y a-t-il pas dans cette étrange reconnaissance le signe d’une connaissance, soit d’une représentation immuable ?  Or un autre problème se pose car il s’agit d’autrui et non de moi, puis-je connaître autrui dans son intériorité comme je me connais moi-même ? Dès lors, comment puis-je encore reconnaître autrui qui est le sujet d’un changement dans le temps alors que je n’ai de lui qu’un regard extérieur ? On est donc face à un paradoxe car comment penser autrui s’il est donc à la fois saisi comme à la fois identique et différent de lui dans le temps? Pour résoudre ce problème nous allons entreprendre le développement suivant. Premièrement il faut définir en quel sens exactement on peut parler d’un changement d’autrui à travers le temps. Deuxièmement il faut toutefois aussi présenter l’idée qu’autrui garderait une certaine identité avec le temps. Puis finalement il faut considérer et mesurer les limites de l’identification d’autrui et considérer sa transcendance à l’objectivation de la connaissance qui sous-entend nécessairement l’idée d’identité.

I) Autrui change tant en corps qu’en esprit dans le temps

1. Autrui est soumis à la nature changeante de la matérialité

Partons de cette évidence qu’autrui est avant tout une présence matérielle. Il est mon semblable car nous partageons une matérialité commune dans notre structure biologique. Or nous pouvons percevoir que la matière si ce n’est que le changement perpétuel d’une substance concrète. C’est la thèse de Descartes lorsqu’il fait l’expérience des différentes formes du morceau de cire à travers différentes affections de la matière. Le morceau de cire est solide quand il est soumis à une basse température et liquide dans le cas contraire. Descartes remarque alors que la matière n’est que de l’étendue et du mouvant. L’idée est pertinente car le temps se remarque surtout à travers le mouvement du concret. Si les réalités n’interagissaient pas entre eux de manière à se déplacer entre les unes et les autres, il serait difficile de penser le temps. En ce qui concerne autrui, il change selon la loi naturelle de la biologie. Il commence son cycle en naissant, il se développe jusqu’à atteindre une certaine maturité, il dégénère en étant affecté par des pressions, puis il meurt en tant qu’organisme unique et passe le cycle de la vie à d’autres entités.

2. Autrui à un état d’esprit qui change à travers son histoire

Toutefois on rétorquerait vite à ce changement biologique que le corps n’est pas suffisant à définir autrui dans sa totalité originale en tant que personne. Autrui dit-on est aussi fait d’esprit. Car après tout, ne reconnaît-on pas en lui un ensemble original de traits qui le définit tout au long de sa vie ? On dit souvent qu’il ne changera jamais, que personne n’échappe pas à qui il est, etc. En bref, qu’il est et restera toujours lui-même. Ces remarques n’attestent-t-elles pas de la reconnaissance d’une certaine immuabilité de l’état d’esprit? En fait, il faut aussi considérer qu’on remarque souvent avec une certaine surprise les reconversions morales, religieuses, politiques, etc. De ce fait, on peut aussi se demander si ce n’est pas là le signe que cet état d’esprit n’échappe pas aux différentes moules idéologiques où il évolue. En fait, l’esprit peut changer ses états car il n’en a originalement aucun. Il faut distinguer l’esprit comme puissance de concept et le système conceptuel en lui-même qui occupe l’esprit à un moment donné. L’esprit s’il a pour contenu les idées, est au départ une « table rase » (l’expression est empruntée à Aristote). C’est-à-dire qu’il est à priori dépourvu de tout concept. Ce n’est qu’après l’appropriation abstraite du monde qu’il est habité par ces derniers. Or, ajoutons à cela que le concept n’est jamais isolé, il est l’élément d’un système, soit d’un ensemble de rapports automatiques qui a une direction propre. Cette dernière est ce qu’on appelle une vision du monde. Ce qui soulève l’idée d’une relativité de deux manières. D’abord une vision se rapporte à quelque chose de concret or comme nous l’avons vu le concret change. Concernant la vision d’autrui, sa vision change selon l’exigence changeante du réel. On reconnaît notamment d’ailleurs le changement biologique qui affecte sa psychologie, mais aussi les changements économiques et géographiques qui affectent sa culture. Ensuite par sa nature abstraite une vision est essentiellement une perspective, il n’est pas la chose en soi mais une représentation soit une façon de penser celle-ci. D’où la relativité culturelle d’autrui à travers sa langue, ses normes morales et ses objets symboliques.

Autrui ne serait donc jamais identique ni en corps ni en état d’esprit à travers le temps. Pourtant il reste ceci que si autrui est comme soi-même un sujet, ne peut-on dès lors pas reconnaître qu’il est identique à lui-même comme je le suis à moi-même ?

II) Autrui est comme moi identique à lui-même

1. Il est identique à travers sa conscience

Il est possible d’imaginer l’identité immuable d’autrui à travers le temps en le comparant à notre propre expérience de l’identité subjective. Cette identité est d’abord possible par la conscience de soi. La conscience en tant que l’unité intelligible de nos expériences sensibles saisit une distance entre celui qui fait l’expérience de la conscience et l’objet de la conscience. On appelle dès lors celui qui est conscient, le « sujet », une représentation que la philosophie substantialiste va définir comme une entité métaphysique qui est distincte de la matérialité changeante à travers l’espace le temps. Bien que la réalité substantielle du sujet se prête à de nombreux problèmes philosophiques il faut toutefois reconnaître la pertinence d’une certaine logique qui la fonde. Cette logique est que si tout change alors que le sujet  perçoit le changement, c’est que ce dernier est donc quelque chose qui ne change pas. Il peut se faire observateur du changement puisqu’il se place à un certain élan de lui. Ce qui est pertinent à retenir est que s’il n’y a pas quelque chose qui reste alors la conscience est impossible, car celle-ci est comme nous l’avons démontré d’abord une conscience de l’identité.

2. Il est identique à travers sa mémoire

Ensuite partons d’une autre possibilité de l’identité à travers le temps par l’œuvre de l’esprit qu’est la mémoire. Partons du constat que je suis toujours le même dans le temps du fait que je reconnais mon passé à travers ma mémoire. C’est la thèse de John Locke dans son Essai sur l’entendement humain. En effet, en se référant au souvenir de nos expériences on ne peut nier que cette personne du passé est bien moi.  Quand on regarde une ancienne photo de nous on se reconnait car l’impression du contexte de sa prise, bien que faible, est invoquée à notre conscience actuelle. On peut dire alors qu’il y a une continuité de notre conscience de soi à travers le temps. Locke ajoute: « Et aussi loin que cette conscience peut s’étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s’étend l’identité de cette personne. »   La force de cette thèse réside dans le fait qu’il n’y a pas plus intime à mon être que mes souvenirs car ils sont fondamentalement subjectifs. On ne peut me créer de faux souvenirs puisqu’il faudrait alors les rendre cohérents avec le reste de tous mes souvenirs et cela impliquerait d’entrer dans mon esprit ou de changer concrètement mon passé. Tout au plus on peut manipuler mes interprétations d’eux mais il reste que je suis leur support identique à travers le temps. Autrui semble donc être lui-même dans le temps tant qu’il a, tout comme moi, un sujet qui accompagne son vécu et qui en fait la continuité grâce à sa mémoire. Toutefois, cette perspective subjective peut-elle faire preuve d’une consistance substantielle? Ne montre-t-elle pas finalement qu’elle n’est qu’une abstraction ? Si c’est le cas, il restera alors toujours le problème de la conception d’autrui comme à la fois lui-même et multiple dans le temps.

III) Autrui dépasse sa perception

1. L’inconsistance de la conscience de soi à se former une connaissance de soi

En fait, la conscience de soi comme fondement de l’identité pose un problème qui lui fait particulièrement défaut. La conscience de soi ne permet pas de saisir la consistance de sa personne, elle n’est qu’un signe. Celui de l’être conscient qui saisit l’unité de ses expériences et rien d’autre. Il ne dit pas ce qui rend ce « je » substantiellement unique en lui-même. La négation de soi dans les actes spontanés que l’on observe pourtant découler de lui atteste de la distinction entre le simple accompagnement d’une conscience de son être et la représentation qu’il se fait de ce dernier. Les impulsions inconscientes et les pensées honteuses que le sujet lui-même éprouve montrent que le « moi » est tendu à travers différentes représentations. En ce qui concerne d’ailleurs l’intimité de sa mémoire qui nous forme une personnalité elle n’est, tout autant que la conscience de soi, qu’un signe abstrait. Sa mémoire ne dit rien de fondamentale sur lui, elle est l’ensemble de traces qui tendent certes à dessiner une perspective générale sur sa personnalité mais elle n’est ni plus ni moins qu’une histoire. Remarquons par là qu’observer le passé sous les conditions du présent n’est pas pertinent. Ce qui nous arrive actuellement peut  complètement changer ce que nous pensons de notre passé. D’ailleurs le fait qu’on puisse rire de nous-mêmes ou qu’on se sente honteux quand on pense à son passé suggère qu’on ne se reconnaît plus. D’où le fait que l’épreuve de l’identité dans le temps n’est que celle d’une conscience et non d’une connaissance.

2. Autrui en lui-même dépasse la perception d’autrui

Considérons enfin l’impossibilité d’identifier objectivement autrui tant qu’il est reconnu par nous comme cet autre sujet. Remarquons d’abord ce que nous disons à travers le mot autrui. Autrui du latin signifie « alter », soit l’étranger. Pourtant l’usage du mot implique l’idée que nous arrivons quand même à le définir comme un semblable. Autrui n’est pas l’autre vivant comme l’animal et la plante ni comme l’autre matière inerte comme la roche. Autrui nous disons est l’autre être humain, qui donc partage avec nous les caractéristiques qui font l’originalité de cette espèce. Toutefois l’étymologie reste pertinente dans la mesure où on peut considérer le fait qu’autrui tel qu’il nous apparaît n’est qu’un phénomène et qu’autrui en lui-même ne nous est virtuellement pas accessible. En effet il faut remarquer qu’autrui n’est jamais que la perception d’autrui car c’est une conscience subjective en dehors de lui qui l’entend et non lui en lui-même. Ce que l’on voit changer est la facticité d’autrui car celui-ci est chosifié. C’est la thèse de Sartre : « autrui m’est présent partout comme ce par quoi je deviens un objet ». La perspective est réciproque car si je suis un sujet pareil à autrui, celui-ci à travers mon regard est donc dépouillé de la transcendance de son sujet, il est par rapport à mon regard « fini » comme un simple objet. On remarque vulgairement cette perspective dans nos rapports avec autrui où on traite celui-ci comme un simple moyen pour nos fins. A l’égard de sa position et de la nôtre, puisqu’on ne peut être à la place d’autrui, on ne peut dès lors pas confirmer si nos perceptions de lui sont parfaitement adéquates. Dès lors, l’idée qu’autrui change ou reste lui-même demeure impossible à vérifier d’une manière objective. Ce qui est possible c’est de penser qu’autrui a comme tout sujet la puissance de se dépasser continuellement. On le remarque dans notre dialogue avec celui-ci où il est capable de suspendre, de nier et de relativiser nos perceptions de lui. Il revient donc à lui de dépasser ces dernières ou de convenir à celles qui l’inspirent à garder pour lui. Notre problématique était de savoir penser autrui comme à la fois identifiable et méconnaissable dans le temps. Dans sa méditation on a vu qu’autrui a comme nous une matérialité et une spiritualité changeante. Son corps a un cycle biologique et l’état de son esprit est relatif tant aux changements de ses conditions matérielles que culturelles. Pourtant s’il est bien comme nous, un sujet il sait donc faire preuve d’une identité dans le temps grâce à la conscience de soi qui accompagne son être et la mémoire qui procède à la continuité de cette conscience. Cependant cette conscience n’est pas suffisante à dire quelque chose de consistant sur son identité car il ne s’agit pas d’une connaissance. Le « je » n’est qu’un signe représentatif tant la conscience et la mémoire peuvent ne pas reconnaître celui qui en fait l’épreuve. Finalement on ne pourrait objectivement identifier autrui car il n’est pas un objet qui peut se soumettre à sa seule perception. Autrui est tout comme soi un sujet transcendant, et qui est donc autonome dans ce qu’il pense ou vouloir être.

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