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Aimer soi-même est-il un devoir ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Aimer c’est tendre vers quelque chose. C’est être attiré par une chose qui nous apporte un certain plaisir. Aimer soi-même c’est donc être attiré par soi. En ce sens, il ne semble pas nécessaire de parler de devoir car il s’agit d’un désir, d’une tendance, d’un mouvement naturel. Pourtant la question prend un certain sens si on pense qu’on a été séparé de nous-même par quelque chose qui s’oppose à la nature. Le devoir d’aimer soi-même prend alors le sens du devoir de s’accepter soi-même. Ce serait la justice d’une reconnexion envers soi. Pourtant si l’amour de soi implique le fait de faire passer ses intérêts avant autrui, peut-il s’ériger en une norme morale qui, elle, est une condition du devoir ? Pour répondre à cette contradiction. Nous allons adopter un plan progressif en trois parties. Dans une première partie nous parlerons d’abord de la pertinence de la moralité d’un amour de soi. Dans une seconde partie, nous verrons toutefois pourquoi un amour de soi n’a pas les critères suffisants pour être une norme morale. Enfin dans une dernière partie nous proposerons un dernier dépassement par l’idée que l’amour de soi est la condition de tout édifice humain et en partie donc du devoir.

I) La moralité d’un amour de soi

1. Le droit de l’amour de soi

Penser à l’idée de s’aimer soi-même serait partir d’une intuition morale, mais que serait-ce donc? Quelle vertu morale offrirait ce que l’on entend généralement par l’égoïsme? Il y a en fait un certain droit dans l’amour de soi vis-à-vis de la condition sociale de notre existence. En fait, à la différence d’être simplement égoïste, s’aimer soi même peut signifier s’accepter soi même tel qu’on est avec nos défauts et nos qualités. Il s’agit d’être en accord avec ce corps et cet état d’esprit que la conscience de soi partage. Le sujet est obligé de partager ce voyage avec ce qui définit son être le long de notre existence si on veut vivre en paix. Dès lors, le devoir de s’aimer soi-même est un droit à la seule réponse de soi, le droit de ne pas toujours être obligé de répondre aux attentes des autres. Notre vie nous appartient, nous sommes libres de décider de quoi en faire or autrui nous l’enlève dans sa présence insistante. La présence d’autrui nous enjoint à se sacrifier soi-même en pensant à lui dans nos rapports sociaux qu’il soit la famille, les amis, les collègues professionnels ou les autorités publiques. Elle nous dit d’observer des règles de conduite et des droits qui limitent l’expression intéressée de notre personne au profit de la coexistence. Ce qui semble juste dans la mesure où il s’agit de préserver l’ordre d’un vivre ensemble. Le problème est le fait que la vie avec autrui conditionne finalement à oublier sa propre personne en rendant prioritaires ses devoirs envers ce dernier. Elle déconnecte le sujet de l’originalité de sa personnalité en substituant le « on » au « je ». Il semble donc tout aussi juste de consacrer du temps et de l’espace pour soi-même.

2. Le devoir social d’être équilibré

Considérons cet avis de Rousseau : « l’homme sociable, toujours hors de lui ne sait vivre que dans l’opinion des autres, est c’est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence ». Or, La considération intense des attentes d’autrui peut dangereusement nous plonger dans la dépression. On se démoralise à la pensée que nous ne satisfaisons pas nos familles, nos amis, nos collègues, soit toutes les impressions de soi qu’Autrui suggère en nous. Ce qui, d’un, réduit nos performances sociales  et de deux nous laisse sans défense face aux addictions qui affaiblissent notre conscience sociale. Le pire, dans une perte de soi totale, les comportements impulsifs d’une intériorité qui n’est plus maîtrisée par le refoulement social deviennent de plus en plus fréquent jusqu’à devenir une pathologie psychiatrique. En somme, l’instabilité psychologique  finit par être toxique envers nous même et pareillement envers l’harmonie de nos rapports avec autrui. Il nous incombe donc le devoir social de trouver un certain équilibre entre la demande sociale et la considération de sa personne. Pour cela l’amour de soi porte en lui la culture de l’estime de soi. Une considération de ses propres attentes face à la conscience de ses capacités personnelles plutôt qu’aux attentes d’autrui.

Pourtant bien que l’intention de l’amour de soi peut-être moralement justifiée, l’idée qu’elle frôle l’égoïsme ne présente-t-elle pas un problème vis-à-vis des principes du devoir ?

II) Amour de soi et devoir sont incompatibles

1. On ne peut pas normaliser le devoir de l’amour de soi

Il paraît d’abord évident que l’amour et le devoir sont hétérogènes et qu’ils peuvent même s’opposer. L’amour est semble-t-il naturel dans le sens où il est spontané. On ne décide pas ce que l’on aime, ni même d’aimer du tout. C’est une force qui se présente selon une intensité. Les raisons de l’amour ne se découvrent  qu’après coup de l’introspection et on peut vite en changer. Or le devoir n’est pas de l’ordre de la nature mais celui de la raison. Le devoir requiert l’autonomie rationnelle. D’un, le devoir implique la volonté de se faire sa loi or l’amour s’impose indépendamment de nos choix. C’est pourquoi le devoir peut s’opposer à l’amour. Car se laisser être emporté par celui-ci peut avoir des conséquences immorales comme le fait de faire passer ses êtres chers avant l’obéissance à la conscience de la justice. De deux, le devoir répond à une conscience dont l’émergence est claire sous l’observation de la raison or l’amour est à priori aveugle de ce qui le rend manifeste. Le devoir est l’œuvre d’une réflexion et non celui d’un élan sentimental.

2. L’amour de soi n’est pas à l’abri de la tentation égoïste

Que l’on se convainc d’une certaine manière que l’amour de soi ne soit pas égoïste, il est difficile d’en avoir le cœur net.  Faire la distinction entre l’amour de soi et l’égoïsme est une affaire d’équilibre qui est difficile à jauger d’où l’un se confond généralement à l’autre. Le problème est que tous deux sont basés sur un jugement subjectif qui a pour projet son intérêt. On ne peut pas mesurer avec précision où l’amour de soi se mérite et où elle doit se modérer dans le souci de se déborder en égoïsme. L’hédonisme, un courant de pensée qui se concentre sur l’épanouissement individuel à travers la satisfaction de ses propres plaisirs peut vite virer au narcissisme, un état d’esprit où on ne voit que soi-même. L’intention est justifiée mais la pratique est difficile. On ne peut dès lors pas définir rationnellement l’amour de soi comme une norme morale tant son impression reste personnelle. La justice de la norme morale est qu’elle soit impartiale. Elle répond à la rectitude d’un idéal et ne prend donc pas la partie de ses affections. Kant nous enjoint d’ailleurs de penser le devoir comme la loi de la raison, il nous dit : « agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle ». L’idée est qu’un devoir ne peut porter en lui une contradiction or le devoir d’un amour de soi dans sa nature intéressée par sa subjectivité est tout le contraire de l’universalisable.Pourtant si l’amour de soi ne peut être érigé en un devoir, ne reste-t-il pas tout de même sa condition du fait qu’il soit fondamentalement la passion pour l’homme qui pense à son épanouissement?

III) L’amour de soi est la condition du devoir

1. L’amour de soi fait la grandeur de l’homme

Remarquons d’abord que qu’importe la forme du devoir, celui-ci est redevable au projet de l’homme pour l’homme. Un projet nourrit par la passion pour ce dernier. En ce qui concerne d’abord nos devoirs civiques. Nous pouvons d’or et déjà observer que l’intérêt du bien être de soi est derrière nos soumissions à l’ordre politique. Nous coexistons pacifiquement avec autrui car nous voulons profiter de ce que la société a à nous offrir. On parle ici tant de la liberté que de la sécurité.  En ce qui concerne nos devoirs moraux, ceux qui devraient avoir pour fin l’homme dans toute sa dignité, on remarquera d’abord que l’amour de soi est cet élan qui pousse l’homme à sa grandeur morale. On loue bien trop souvent les vertus morales en  elles -mêmes mais ne serait-ce pas oublier qu’ils sont tributaires de cette passion pour l’homme idéal, une passion qui nourrit l’aspiration à l’excellence, soit à l’exigence de la dignité de l’homme en tant que cet être à la fois de cœur et de raison ? D’ailleurs l’humanisme de nos droits n’atteste-t-il pas de l’amour de cette humanité tant en soi qu’en autrui ? L’amour de soi est la sympathie pour ce compagnon de voyage de l’existence qui partage la même condition humaine. Autrui est celui qui est chargé comme moi du poids de sa liberté, angoissé de sa mortalité et étonné de sa transcendance métaphysique.

2. L’amour de soi est ce qui pousse l’homme à s’épanouir

Enfin, si l’amour tout court est aveugle, ce qui à l’excès peut nous pousser à la destruction, l’amour de soi permet la transparence de soi à soi. Un véritable amour de soi est une ouverture sur soi et non une fermeture sur ce qu’autrui a comme perception de nous. Quand on s’aime soi-même, on veut le meilleur de nous même. Dès lors, on fait preuve d’une introspection rationnelle sur son intériorité. On peut alors y déceler tant nos vices que nos vertus mais ce qui du coup nous permet surtout d’être perfectible. Il faut d’abord comprendre que le soi véritable n’est pas un être définitif. Il est l’abstraction de la conscience qui prend partout acte de nos pensées et nos actions. Or ces derniers peuvent changer de direction selon ce que nous percevons en nous comme un état d’esprit général. L’identité change selon l’hypnotisme des conditions socioculturelles mais aussi selon notre histoire personnelle. Il s’agit donc de ne pas aimer un soi tout défini. L’estime de soi est insuffisante dans la seule acceptation de soi. Ce dernier peut vite virer à l’illusion de l’égoïsme qui croit saisir un soi définitif. L’amour de soi ne se réalise véritablement que comme le projet d’un mouvement. Ce soi qu’il aime se doit être la présence de soi à soi qui évolue à travers son existence et non à une abstraction fermée sur une conception rigide de soi. Cet amour a donc pour fin l’épanouissement personnel, ce qui est vis-à-vis de l’altruisme qui sous-entend fondamentalement l’idée devoir, permet de donner le meilleur de soi-même dans ses rapports avec autrui.Le problème était de comprendre l’amour de soi comme un devoir alors qu’il pouvait renvoyer à l’égoïsme. Pourtant dans le sens où aimer soi-même signifie s’accepter soi-même il y a une certaine justice  à revenir vers soi face au détachement que la société opère. Nous devons reconquérir notre vie face à l’intrusion insistante d’autrui dans sa conscience. Une intrusion qui risque d’ailleurs de nous déstabiliser psychologiquement jusqu’à nous rendre socialement impotents. Le devoir social de retrouver un équilibre de soi à soi s’impose donc aussi. Pourtant on ne pourrait faire  de l’amour de soi un devoir. Un devoir n’est ni l’ordre involontaire des faits car il émane d’une volonté autonome et rationnelle, ni le projet d’une affection car il ne devrait pas prendre partie. Il est d’ailleurs difficile de situer la frontière entre l’amour de soi et l’égoïsme tant la perception de l’intérêt est subjective. On ne peut donc le normaliser en une obligation morale. En dernière instance, toutefois, il faut considérer que l’amour de soi est la force à l’œuvre qui soutient nos devoirs. Il est la motivation de la civilité du fait du souci de l’intérêt de sa personne mais aussi de l’aspiration morale dans la considération de l’excellence et de l’humanisme. La réalisation de ces dernières n’est d’autant pas possible sans la saisie d’un soi perfectible dans son perpétuel épanouissement.

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