Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Dans son rapport au monde, le sujet ne fait pas seulement face aux choses. Il est présent à ce qu’il reconnaît comme un autre sujet. Un être qui se transcende lui aussi par sa conscience. Cet autre sujet est autrui. Un être à la fois semblable à soi du fait de la reconnaissance de traits communs et à la fois différent de soi par l’asymétrie de la disposition de ces traits. Face à autrui, le sujet n’est plus seul. Il ne peut que reconnaître l’existence d’autrui par son regard intrusif. Il y a intrusion, car on fait preuve de l’observation et du jugement d’autrui par les signes d’appréciation qu’il envoie. Peut-on dès lors impliquer que l’acceptation de soi passe par autrui ? S’accepter soi-même c’est avoir la connaissance de ses valeurs et de les admettre. À première vue il s’agit d’un mouvement purement introspectif, soit un projet sur soi. Or, face à l’existence d’un autre sujet capable de la même transcendance subjective que nous, peut-on encore prétendre pouvoir se définir tout seul? Pourtant être d’accord avec soi-même semble rester une affaire privée de soi à soi. Il y a d’ailleurs une distance si évidente entre soi et autrui qu’on ne peut pas non plus nier qu’à chacun donc sa vie et ce qui s’ensuit comme direction. On est donc face à un problème. Comment définir un rapport de reconnaissance avec autrui si on peut, comme lui, à la fois se poser comme un juge et l’objet d’un jugement ? ¨Pour répondre à cette interrogation problématique, on adoptera le plan en trois parties suivantes. Dans la première partie, on va décrire l’idée d’un accord d’autrui pour se définir. Dans une seconde partie toutefois il faut rendre à César ce qui est à César et préciser que notre vie appartient à notre propre conscience comme celle de l’autre lui appartient pareillement. Enfin dans la dernière partie nous mesurerons toutefois la présence de soi à soi et du rapport de celui-ci avec autrui dans la coexistence de l’intersubjectivité qui est une condition nécessaire à l’acceptation de soi.
I) L’accord d’autrui dans la définition de soi
1. L’acceptation de soi grâce à l’estimation sociale
S’accepter soi-même c’est retrouver dans sa perception une certaine valeur qui nous donne de l’estime. Il s’agit de reconnaître une norme qui définit notre place dans la société soit dans nos rapports avec autrui. La société organise les rapports entre les consciences avec des attributs culturels normatifs. Il s’agit de valeurs produites par la place de chacun dans sa structure. Ces places sont manifestées par la dénomination de l’identité sociale de notre personne. On retrouve par exemple notre nom de famille, nos rangs dans les différentes structures hiérarchiques, notre classe selon l’identité de son groupe, etc. Ces statuts nous renvoient au sentiment des valeurs qu’elles véhiculent dans la conscience collective. Notre nom de famille, nos rangs et notre classe sociale ont tous l’héritage d’une réputation qui porte en lui un certain honneur. Celui qui y trouve son estime se voit alors de s’engager à le maintenir. Il doit reconnaître qu’il a un rôle à jouer et des devoirs moraux qui accompagnent celui-ci vis-à-vis de l’attente d’autrui à satisfaire.
2. Le poids du regard d’autrui
S’accepter soi-même c’est donc porter en lui une certaine valeur définie par autrui. Toutefois le rôle de ce dernier va bien plus loin dans la reconnaissance de soi. Analysons à cet égard la condition sartrienne du regard d’Autrui. Selon Sartre « autrui m’est présent partout comme ce par quoi je deviens objet ». Je me sens comme un objet devant le regard d’autrui, car je sais que je vois celui-ci de la manière. Je sais par le dialogue avec autrui qu’il est comme moi une conscience. Mais je sais aussi qu’on est tous réduit à l’état d’objet par ce que l’on donne à percevoir. La dénomination d’une identité n’est qu’une abstraction, une formalité généralisée. Je sais que je suis plus que ce que ma famille et mes communautés définissent en moi. Mais voilà, autrui comme moi nous savons qu’on est présent l’un à l’autre dans la facticité de ces perceptions. Il s’ensuit que pour véritablement advenir à l’existence comme un existant, un être de transcendance, du hors de soi, je dois passer par la reconnaissance d’autrui comme tel. Je dois lui faire signe de mes propres dépassements, que je ne suis pas facilement réduit à la chosification.
Se faire accepter demande donc la valeur qu’autrui me donne et si je veux dépasser celle-ci je dois encore me faire reconnaître comme existant à travers la conscience d’autrui. Pourtant cela reviendrait-il alors à dire que la reconnaissance de soi pour soi n’a aucune signifiance, aucun mot à dire sur cet ordre qui semble plus prendre partie d’autrui que de soi ?
II) L’acceptation de soi se doit être par soi et pour soi
1. Se faire accepter par soi est une affaire privée
Revenons à cette évidence que se faire accepter est une affaire de soi-à-soi. Il y a avant dans ce mouvement la conscience d’une vie qui appartient à soi-même. Ce qui est de notre fait tant en pensée qu’en acte semble être indiciblement présent à nous comme les nôtres à cause de la conscience. On fait l’état de notre intériorité soit de nos sentiments et de nos émotions et de l’expression de leur extériorité par les gestes et les signes qui découlent de notre corps. Toutes ces saisies amènent à la totalité abstraite de mon être qu’on nomme le sujet. Il s’ensuit que l’identité du « je » qui représente ma conscience à travers mes actes ne peut qu’être le maître de la définition de notre personne. Certainement autrui a une influence sur soi, mais il est autrui, car il est reconnu comme en dehors de soi. Et comme il n’est donc pas à notre place, son opinion ne devrait donc pas avoir le dernier mot. On se demande comment autrui comprendrait-il la mesure de nos propres souffrances tant de nos joies. Comment pourrait-il formuler un avis adéquat concernant notre intimité ? Ne saisit-il pas que sa propre perception ? Se faire accepter soi-même ne peut alors finalement être que le mouvement de son être qui veut se trouver une voie qui lui est propre.
2. L’acceptation de soi qui répond à l’attente d’autrui est dangereuse pour notre équilibre psychologique.
Remarquons dès lors que se faire accepter par soi serait dangereux pour notre santé psychologique. S’accepter soi-même en passant par autrui n’est pas le pur chemin d’un retour à soi. Sur ce chemin, on traverse les attentes d’autrui. Or il n’est pas rare qu’on finisse par adopter ceux-ci. Le problème est que ces attentes qui sont taillées par la perception subjective d’autrui finissent par nous astreindre psychologiquement. Ces attentes sont difficiles à jauger d’une manière objective. Nous sommes hypnotisés par le fait de vouloir être reconnu par autrui comme significatif alors que le processus de ce mouvement est un asservissement à ce qui nous échappe originellement. Or, quand autrui nous juge négativement vis-à-vis de ces attentes, on se démoralise dans la perception de ne pas être à sa hauteur. Cette perception est toxique, car notre vie ne nous appartient donc plus. Nous ne devenons plus que le moyen par lequel autrui se satisfait. Mais le pire est de subir un déséquilibre psychologique où voulant à tout prix convenir à l’identité des normes sociales où on refoule nos aspirations personnelles. Un refoulement qui risque de devenir pathologique en produisant le manifestant impulsif de notre subconscient. Tendu entre nos désirs et leur inhibition dans l’idéal d’une norme sociale, il se faut de peu pour couper la corde entre soi et sa conscience et perdre le contrôle.
Il se trouve donc que l’acceptation de soi doit nous appartenir entièrement au risque de ne pas être authentique et de se déséquilibrer. Pourtant peut-on véritablement omettre le regard d’autrui, un regard qui nous permet une réflexion ?
III) La propre perception des choses
1. Sa propre perception passe nécessairement par le regard d’autrui
Considérons encore une thèse de Sartre. Selon lui « pour obtenir une vérité quelconque, il faut que je passe par l’autre, l’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi-même». On veut bien se définir soi-même par soi-même, mais une pure introspection est-elle possible ? D’abord la simple conscience de soi n’est permise que par la présence d’autrui. Autrui est logiquement le médiateur de notre être à sa conscience. Le fait est que si comme le dit Husserl que toute conscience est une intentionnalité, soit une conscience qui porte nécessairement sur quelque chose, on fait donc la preuve de la distance de l’être et de sa saisie dans la saisie d’autrui. La conscience impose ainsi l’identité de soi, indépendante de l’identité de l’autre. Mais au principe de cette distinction se trouve une condition encore plus fondamentale : le langage. Le langage, outil d’expression et de communication divise la conscience en celui d’un sujet, d’un verbe et d’un attribut du sujet. Or cette division n’est possible que dans le rapport avec autrui, car le langage a pour fonction originale d’opérer clairement sa pensée hors de soi pour être intelligible à l’autre. Ce rapport est d’ailleurs la condition d’une connaissance objective de soi. Car on sait que la perception subjective est étroite. Elle n’offre que ce que l’on peut voir à travers ce que l’on veut voir. Il suffit de constater la méconnaissance de soi dans les actes et les pensées qui découlent de notre être pour comprendre qu’on n’est pas toujours transparents à nous-mêmes. À ces égards, il nous faut le dialogue intersubjectif pour véritablement saisir ce soi à qui on a affaire. Que l’avis d’autrui soit pertinent ou non, il présente une information qui donne matière à la réflexion. Ainsi il serait juste de préciser qu’autrui si elle ne fait pas ma connaissance me le permet au moins.
2. S’accepter soi-même c’est reconnaître une coexistence avec autrui
Finalement s’accepter soi-même c’est être ouvert à la perspective qu’autrui partage nécessairement ma conscience. Il s’agit dès lors de coexister avec lui. L’idée de coexistence demande l’état d’un équilibre, elle ne signifie pas que l’un doit se définir comme dominant sur l’autre. Le regard est d’ailleurs irréductible à la seule objectification. Le véritable regard est la reconnaissance d’un autre regard soit de l’intersubjectivité. Chaque sujet répond à l’autre avec un signe de reconnaissance. Une reconnaissance notamment vécue par le visage, terrain de l’expression de notre intériorité. Un visage est perplexe, heureux, triste, absorbé, etc. Bref, tout le signe d’un être qui donne à être reconnu comme une transcendance. Il s’ensuit que l’acceptation de soi ne peut qu’être une prise de position et moins une opposition. Il s’agit d’un mouvement vers soi qui est à l’écoute de l’autre et non la neutralisation de celui-ci. Il s’agit d’un effort d’éclaircissement pour être autonome dans le relationnel.
Nous nous étions demandé comment concevoir l’idée d’une acceptation de soi à travers autrui s’il s’agit d’être pour soi-même. Il paraît en effet qu’autrui se présente comme la condition de la substantialité de soi. D’un, le rapport social avec autrui nous donne une certaine estime de soi qu’on ne saurait être rien de significatif sans autrui. De deux, le poids du regard d’autrui qui nous perçoit comme objet demande de qu’on le dépasse pour affirmer son existence comme sujet. Pourtant, il ne devrait pas s’agir de poser autrui comme dominant toutes ses perspectives. Autrui ne peut être à la place de soi. Et si sa perception s’impose, il serait d’ailleurs dangereux dans l’ordre psychologique de vouloir toujours convenir avec elle. Faire des attentes hypnotiques d’autrui nous déséquilibre mentalement du fait qu’on ne pourra pas les satisfaire et que s’accorder nécessairement avec elles peut nous priver de nos propres aspirations. Toutefois, il ne s’agit pas à l’extrême de faire abstraction de la présence d’autrui qui reste significative tant dans la conscience que la connaissance de soi. Autrui nous rend seulement à notre existence, mais les informations qu’il procure dans le dialogue avec lui sont vitales à la saisie de soi. Une acceptation de soi ne peut alors que faire preuve d’une coexistence avec autrui. Il s’agit de convenir de la condition de l’intersubjectivité sans pour autant se laisser dominer par l’autre ni tenter de le neutraliser. Il s’agit tout simplement de retrouver son autonomie dans son rapport avec lui.