Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Dans l’histoire des civilisations, rares sont les peuples qui ont su combler leurs besoins en situation d’autarcie. D’un côté, la population sur un territoire augmente et les terres cultivables se rétrécissent d’année en année ; d’un autre côté, les monarques et les bourgeois font prévaloir leur ambition de s’enrichir, ce qui conduit tout un chacun à se tourner vers le commerce. Produire plus afin de pouvoir vendre, et non plus se suffire à la subsistance : tel est désormais le but pour pouvoir survivre dans une société moderne. Désigné comme le moteur même de l’économie, le commerce revêt d’autres aspects culturels, pour contribuer par la suite à l’évolution des mœurs et la propagation de nouvelles idéologies. En réfléchissant à cette condition de vie, référons-nous à ce passage du Droit à la paresse de Paul Lafargue : « Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l’écoulement et en abréger l’existence. Notre époque sera appelée l’âge de la falsification, comme les premières époques de l’humanité ont reçu des noms d’âge de pierre, d’âge de bronze, du caractère de leur production ». Remarque très pertinente qui nous rappelle que mis à part le profit proprement dit, le commerce actuel, poussé à son rythme extrême, a transformé notre conception de la qualité des choses. Le désir incessant de la nouveauté est en effet un modèle importé par la culture occidentale, ou plus précisément capitaliste. Une fois implanté dans un territoire nouveau, cet esprit de commerce tend à asphyxier les rouages des anciennes institutions. Le développement issu du commerce s’accompagne-t-il nécessairement d’un nivellement culturel ? Le fond de cette problématique sera étayé en une analyse à trois parties : premièrement, le commerce se base sur la vulgarisation du système capitaliste ; deuxièmement, la différence culturelle est de plus en plus palpable avec le phénomène de la mondialisation ; et troisièmement, les problèmes issus des chocs culturels ne sont point atténués par le commerce.
I) Un commerce profitable se tient par l’exploitation du facteur travail
Selon un schéma très simple, nous pouvons concevoir en tête le mécanisme de l’économie, selon lequel les produits de la terre sont répartis chez les ménages, et ces derniers paient par leur revenu les biens dont ils ont besoin. Les services fiscaux, les banquiers ou encore le commerce extérieur ont été exclus du modèle pour en faciliter la compréhension, afin d’en déduire que les richesses fournies par une communauté donnée suffisent pour les faire vivre. L’idée de faire du commerce provient alors de vendre du surplus pour s’enrichir mieux que les autres. Or, sa réalisation est à l’origine de l’inégalité entre les hommes, pour engendrer un décalage qui ne peut être rattrapé qu’en se plongeant soi-même dans le système. Voici une pensée de Kant qui décrit le mode de vie idéal : « Un vain regret : c’est le fantôme de l’âge d’or, si vanté des poètes, où nous serions délivrés de tous les besoins imaginaires que crée en nous le luxe ; où nous satisferions les simples besoins de la nature, et où règnerait une égalité parfaite, une paix éternelle entre les hommes ». Mais plus encore, il faudrait que les prix de production soient les plus compétitifs possibles, en recourant à l’exploitation de la main-d’œuvre. En effet, le salaire que perçoit le travailleur est largement inférieur à la valeur du produit qu’il crée, tandis que cette différence revient directement entre les mains du capitaliste. Ayant droit à toutes les heures disponibles du travailleur, le capitaliste lui rend le minimum de subsistance et ne compense pas son épuisement corporel ou intellectuel. Le droit de s’enrichir revient alors au capitaliste, dont le profit n’est jamais suffisant pour satisfaire ses ambitions. Karl Marx disait dans Le Capital : « La production de plus-value n’est donc autre chose que la production de valeur, prolongée au-delà d’un certain point ». Il n’y rien de mal à exercer un métier décent, cependant c’est la rétribution qui se donne en échange qui pose problème. Le produit qu’il crée ne lui revient pas, et s’il espère encore travailler, c’est-à-dire subvenir à sa subsistance, il devra renoncer à la valeur du produit qu’il a créé et, dans la même foulée, à l’enrichissement. Par conséquent, le travailleur ne participe pas véritablement au commerce, car en vendant sa force de travail, il n’en retire aucun profit. C’est ainsi que Pierre-Joseph Proudhon déclare dans Qu’est-ce que la propriété : « Or, ce ferment reproducteur, ce germe éternel de vie, cette préparation d’un fonds et d’instruments de production, est ce que le capitaliste doit au producteur, et qu’il ne lui rend jamais ».
Le commerce est désormais un pilier essentiel pour perpétuer la création de richesse dans la société, même s’il se fait de manière inéquitable. Sachant que l’extension du profit ne peut se faire en dépassant les frontières nationales, il est indéniable que le commerce se développera dans la sphère d’une différence culturelle.
II) La différence culturelle implique une vision du monde très particulier
Un peuple se caractérise par un mode de vie qui s’adapte particulièrement à son milieu de vie. Les aptitudes physiques face aux conditions climatiques, le type d’activité qui est favorisé par la nature, ces paramètres induisent les membres du groupe à créer des outils qui leur sont propres, et à développer leur ingéniosité dans certains arts et inventions. Par conséquent, un peuple se spécialise dans la production d’un bien où il détient le meilleur avantage comparatif, ceci grâce aux avantages fournis par la nature et au capital technologique dont il dispose. Cela se traduit par ce passage du livre La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives : « La culture matérielle, par exemple, n’a pu naître, avant que l’homme n’ait été capable de se servir de ses outils selon la technique traditionnelle qui, nous le savons, implique un certain canon de connaissances ». Selon les règles coutumières, il existe nécessairement des interdits chez un peuple donné, ce qui implique le refus de faire du commerce avec certains peuples étrangers, car désignés comme porteurs de malédiction selon leurs croyances. Mais en vérité, les pratiques de ces étrangers sont tout simplement incompatibles, d’un point de vue purement technique ou selon une simple relation causale, avec ceux des hôtes. Dans le domaine de la sacralité ou des choses taboues, il est des phénomènes qui sont incompréhensibles à première vue, mais qui sont expliqués par la suite par des forces surnaturelles. Non moins efficaces, ces croyances éclairent le quotidien des hommes tel qu’il est prescrit par les ancêtres. Auguste Comte, dans son Discours de l’esprit positif, explique : « Comme la théologie, en effet, la métaphysique tente de surtout d’expliquer la nature intime des êtres, l’origine et la destination de toutes choses, le mode essentiel de production des phénomènes ». La différence culturelle demeure palpable, que cette société se mette à l’écart du reste du monde, ou qu’elle côtoie de près un peuple voisin pour en faire son partenaire commercial. Plusieurs indices l’attestent : la langue, les codes vestimentaires ou encore les caractères physiologiques. Et même face à un effet de domination, il est tout à fait naturel pour un peuple d’exhiber fièrement sa culture, et la peur d’être marginalisée pour cela n’implique pas qu’il puisse effacer tout ce passé commun et cette identité authentique. Il suffit d’observer les anciens peuples colonisés ou esclavagés, où il est plus qu’intéressant de faire renaître leur passé enfoui, malgré l’urgence que présuppose les objectifs de développement. S’il y a oubli, c’est seulement parce que les historiens ont omis de les mettre en surface. C’est pourquoi Schopenhauer, dans Le monde comme volonté et comme représentation, annonce : « En réalité l’essence de la vie humaine comme de la nature est tout entière présente en tout lieu, à tout moment, et n’a besoin, pour être reconnue jusque dans sa source, que d’une certaine profondeur d’esprit ».
Une culture rassemble un système complexe de signification, qu’ il est difficile de nier par une simple comparaison avec les autres. Le commerce, pour sa part, effectue de manière efficiente son rôle, sans prétendre pour autant à convertir le monde selon un style de vie occidentalisé.
III) Le commerce s’efforce de s’adapter avec la différence culturelle
Depuis l’Antiquité où il y avait déjà commerce entre les Nations, c’est dans notre époque contemporaine qu’il a pu desservir l’ensemble des continents, avec un volume d’échange des plus spectaculaires et selon un rythme des plus incroyables. En délocalisant les entreprises dans des contrées moins avancées, les capitalistes profitent aisément d’une main d’œuvre bon marché, ce qui convient parfaitement avec leur optique initiale. Et parallèlement, ils ont également affaire à des débouchés de plus en plus nombreux pour écouler leurs produits. Le commerce international favorise en même temps la mobilité humaine, très favorable pour les entreprises œuvrant dans le transport, ce qui sera à l’origine des mélanges des cultures. Dans son ouvrage L’armée nouvelle : l’organisation socialiste de la France, Jean Jaurès fait le constat suivant en passant pour la première fois dans le cœur de Paris : « Et je me demandai avec une sorte de terreur impersonnelle comment tous ces êtres acceptaient l’inégale répartition des biens et des maux, comment l’énorme structure sociale ne tombait pas en dissolution ». Dans les centres urbains ou les pays économiquement avancés, le mode de vie a été uniformisé de sorte qu’il sera permis à tout un chacun de trouver sa subsistance selon un rythme infernal, mais également de dépenser sans cesse et de déchaîner les désirs éternellement renouvelés. Devant cet ensemble très dynamique, on peut toujours trouver les traces culturelles qui symbolisent l’origine de ces peuples, notamment à travers des quartiers qui portent l’emblème d’un pays en particulier, ou encore quelques boutiques et restaurants qui rappellent le bon souvenir de ses contrées natales. D’une façon plus profonde, Jean-Jacques Rousseau souligne dans son Discours sur l’origine de l’inégalité : « Il faut secouer le joug des préjugés nationaux, apprendre à connaître les hommes par leurs conformités et leurs différences, et acquérir ces connaissances universelles qui ne sont point celles d’un siècle ou d’un pays exclusivement, mais qui, étant de tous les temps et de tous les lieux, sont pour ainsi dire la science commune des sages ». On peut même affirmer que c’est le commerce qui apprend à faire son chemin à travers la différence culturelle. Cela se constate aisément par les difficultés à faire accepter un nouveau produit dans un intervalle de temps très prolongé, et ce, même pour une pratique ou pour un objet des plus vitaux. Nombreux se demandent pourquoi deux pays ayant initialement le même niveau de développement dévoilent après quelques décennies un décalage phénoménal. La réponse repose certainement dans la différence culturelle, et non point dans un manque de financement ou de ressources. En guise d’illustration, utiliser des sanitaires à l’intérieur de la maison est un problème irrésolu pour certaines tribus. Merleau-Ponty confirme cette idée dans son ouvrage Signes : « Il ne s’agit pas pour une anthropologie d’avoir raison du primitif ou de lui donner raison contre nous, il s’agit de s’installer sur un terrain où nous soyons l’un et l’autre intelligibles, sans réduction ni transposition téméraire ».
Conclusion
Afin que le commerce se perpétue et dépasse les frontières nationales, il est indispensable de multiplier les produits, en qualité et en quantité, et ce, au-delà même de ce qui est nécessaire. Afin que cela puisse être possible, le travailleur se résigne dans un cercle vicieux, sans pouvoir changer le système, pour se résigner en fin de compte sous la soumission aux ordres de son employeur. Remarquons cependant que dans ses débuts, le recours au commerce a été inspiré par l’héritage culturel, la recherche de profit étant un résultat nécessaire du processus. Par conséquent, le commerce ne peut pas engloutir la différence culturelle, il peut certes rythmer le quotidien et le travail des hommes, mais pas leur ôter leur identité. Au contraire, c’est en se familiarisant avec des étrangers que nous prenons réellement conscience de la particularité de notre culture. Est-il possible pour un peuple de renoncer au commerce pour préserver sa culture ?