Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Faire taire ses droits est-il juste ? Faire taire ses droits signifie ne plus les faire valoir. Faire taire ses droits en réponse à une idée de justice signifie donc que ces droits font obstacle à la justice. Or, cela semble absurde dans la mesure où c’est le droit qui définit la justice. Les mots droit et justice eux-mêmes sont liés par l’étymologie latine « jus » qui signifie littéralement « droit ». La sphère du juste et celle du légal ne sont-elles pas irréductibles entre elles ? La justice a un caractère moral or le légal peut être immoral. Car en effet, n’y a-t-il pas des dilemmes entre la conscience morale et la crainte du légale ? Ces deux notions sont-elles toujours harmonieuses en toute circonstance ? Il reste un problème dans le sens où la justice en ne s’appuyant que sur la conscience morale ne peut être objectivement effective. Il lui faut l’impératif du droit qu’est la loi pour qu’elle soit reconnue et respectée. D’où émerge une problématique : comment concevoir la justice en dehors du droit alors que cette dernière lui est nécessaire comme une présence formelle et objective ? En réponse à ce problème, nous allons développer les perspectives suivantes. Premièrement, il nous faut éclairer la perspective que la justice puisse dépasser le droit pour qu’elle puisse faire taire ce dernier. Deuxièmement, il nous faut aussi considérer que sans le droit, la justice ne peut être appliquée objectivement jusqu’à dire qu’il n’y aurait pas de justice sans droit. Finalement, il nous faut voir pourquoi le droit peut-être à la fois juste et injuste et aussi considérer de réconcilier justice et droit.
I) La justice dépasse le droit
1. Faire valoir ses droits peut entraîner des injustices morales
À première vue, on peut considérer que le fait de faire valoir en toute situation ses droits peut produire des injustices. Le fait est que le droit a une définition générale de la situation où il doit idéalement s’appliquer. Or, toute situation est particulière dans sa circonstance. On peut par exemple imaginer le cas du problème de la légitimité du droit foncier. Il peut arriver que le lointain héritier d’une propriété foncière puisse réclamer cette propriété sur un terrain agricole qui a longtemps été au soin de personnes qui n’ont jamais été informées du statut privé du terrain. Dès lors, le fait d’invoquer le droit d’évincer les personnes qui ont fait l’effort de maintenir la propriété en bon état depuis des années semble particulièrement injuste. Le droit ici prend la partie de la formalité de l’héritage à l’encontre de la légitimité concrète de l’effort. Il faut noter qu’il semble n’avoir aucune justice dans le fait de s’accaparer par la seule force la propriété des autres. Toutefois, la justice du partage des propriétés est simplement politique. Le colonialisme a bien longtemps évincé avec des moyens violents les indigènes de leur terre natale et s’est fixé des droits sur leur gain de guerre. Il se peut que ces indigènes se soient agressivement accaparé des terres de leur voisin sans une justification formelle ou morale.
2. Le droit peut formuler un système de décrets injuste
Il ne faut pas négliger la nature relative du droit. Le droit est ce qui est imposé par un conseil législatif. Ces conseils sont formés par des hommes qui ont leur vision du monde propre à leur culture. Or, la justice a un caractère universel où il n’y a pas lieu de dire qu’elle soit la juste mesure pour tout le monde comme la droite géométrique. Ainsi, il arrive que le droit fasse l’œuvre d’un système discriminateur en privilégiant une classe sociale, une idéologie ou une culture en générale à une autre. N’oublions pas que les esclaves bien qu’ils aient largement participé à l’essor d’une cité n’ont pas le statut de citoyens. C’est-à-dire qu’ils ne sont légalement considérés que du même rang que celui des bêtes. Mais encore entre les citoyens il se peut qu’il y ait ceux qui sont légalement privilégiés par leurs descendances. Ces situations attestent de l’irréductibilité de la justice à la seule règle du droit.
Faire valoir ses droits n’est pas donc juste en toute circonstance, car il peut renvoyer à des ordres injustes. Néanmoins, la justice saurait-elle advenir sans la formalité effective du droit ?
II) Il n’y a pas de justice sans droit
1. Le droit est ce qui rend la justice effective
Il faut souligner que le rôle du droit est de donner un aspect pratique à l’effectivité de la justice et ceci de deux manières. D’un, le droit est formel, il est signifié dans un langage clair et objectif. La visée de la formalité est l’impartialité par la reconnaissance et le référencement objectif. Par exemple, le droit permet avant toute affaire d’établir des termes et des conditions en conformité aux lois en vigueur pour éviter tout abus. Avant le droit formel, on faisait l’expérience du droit coutumier. Les règles de justice sont censées être reconnues par l’habitude des coutumes. Le problème est que le manque de formalité laisse une marge large à l’interprétation subjective. Chacun peut traduire les coutumes en vue de leur propre intérêt car ceux-ci ne sont pas écrits noir sur blanc. De deux, la justice par le droit est appuyée par l’impératif de la loi. La loi s’impose en stipulant des sanctions pour les récidivistes. Des forces concrètes sont chargées de faire respecter la justice. On ne peut en effet négliger le pouvoir de la crainte à faire respecter les choses. L’homme a toujours cette partie naturelle du vivant qu’est l’instinct de conservation. Un instinct qui peut prendre le dessus sur ses envies passionnelles.
2. Faire taire ses droits serait au contraire favoriser l’injustice
D’abord, refuser le droit en général peut être injuste envers la relation sociale avec autrui. Le droit est une responsabilité civile, il ne définit pas seulement ce qui nous est dû, mais aussi ce qui nous est obligé envers la société, soit envers tout un chacun. Le droit de vote par exemple relève d’une justice politique non négligeable. En ne prenant pas part au vote, on rend le résultat injuste. Le résultat du vote doit être la participation de tous pour qu’elle ait une véritable légitimité. Or, ne pas voter c’est donner un surplus de chance aux candidats. Ce qui est contraire à la vertu de la finalité d’une élection qui doit formuler une décision objective. Le système n’est légitimement plus impartial d’une manière objective. S’il s’agissait de voter blanc, ce serait quand même un avis qui demande d’être reconnu mais ne pas voter joue contre l’équilibre des statistiques. Le fait qu’il y ait un nombre conséquent de non-participation aux votes ne dit rien d’objectif concernant la raison de l’absence de ces participants. En fait, son droit s’articule avec réciprocité avec celui de l’autre. C’est pourquoi le droit est un système social. Plus exactement, il encadre objectivement la liberté de chacun pour que tout le monde soit libre. Si un individu refuse cet encadrement, il déséquilibre le système et favorise l’injustice.
On ne peut donc ignorer l’effectivité du droit à rendre justice et à maintenir la justice. Toutefois n’y a-t-il pas donc dans le droit positif une priorité politique plus que morale ? Si tel est le cas alors, comment concilier la nature positive du droit et la nature morale de la justice ?
III) Pour rendre justice, le droit doit être discuté et non se taire
1. Le droit en lui-même est amoral vis-à-vis de la justice
D’abord, remarquons que le droit en lui-même n’est ni juste ni injuste. Le droit est un outil politique pour gérer la sécurité et plus généralement l’ordre rationnel des éléments en jeu dans le vivre ensemble de la société. Le droit a donc moins la priorité de l’incarnation d’un idéal moral qui met en valeur l’humanisme que le pragmatisme des moyens en vue du bien-être de la société. Or, le pragmatisme en tant qu’il vise l’efficacité dépasse la seule morale. Le pragmatisme est amoral, car c’est un art des moyens pour un maximum de succès. Dès lors, il n’est pas rare qu’on puisse faire la preuve de ce pragmatisme à travers des moyens immoraux que la politique déploie. Les prisonniers de guerre rendus esclaves ont su profiter pleinement à l’essor de la Grèce antique et de l’empire romain que des pères de l’Ethique comme Aristote ou Sénèque ne se s’étaient pas plaint de leurs conditions humainement dégradantes. Plus généralement, la politique du droit est de répondre à des exigences de la situation particulière d’une société donnée. Que la société demande la légitimité morale des règles de leur droit ou qu’elle demande la paix et la sécurité aux dépens de la moralité de la liberté individuelle, le droit n’est que l’effectivité politique de la demande sociale.
2. Le droit doit respecter l’autonomie rationnelle des individus dans leur appréciation de la justice
Ensuite par respect pour l’autonomie humaine qui est à la fondation du droit et où ce dernier s’applique, il faut exiger du système du droit le respect de l’individu autonome. Le droit se doit être toujours de nature prescriptive et non purement impérative. Le système du droit doit moins demander l’assujettissement des individus que leur obligation, car la véritable justice ne s’apprécie pas dans la contrainte mais l’observation rationnelle. Rappelons par exemple que le droit a un aspect général, la justice de son application nécessite donc une appréciation rationnelle de ses implications pour mieux l’interpréter en vertu de la particularité des situations. On observe l’exemple du tribunal moderne qui fait intervenir des experts de la loi dans l’appréciation de la justice d’un cas. Ces experts interprètent la loi vis-à-vis de la circonstance particulière d’un cas pour donner un jugement équitable, soit une mesure proportionnellement objective vis-à-vis des partis en jeu.
En ce qui concerne la positivité du droit, son impérativité si elle peut être effective ne l’est jamais suffisamment assez à l’égard des esprits capables de bon sens. La pure dictature politique n’a jamais été un fait, elle a toujours été accompagnée d’un certain idéal de justice dont la propagande a fait preuve d’une formidable rhétorique. Le problème est que le fondement de ces rhétoriques contredit la justice rationnelle. On ne peut être rationnellement juste en discriminant les races. La couleur de la peau ou l’ethnicité ne justifie pas la différence de traitement dans le monde professionnel. Plus que faire taire ses droits dans le souci de justice, il nous faut plutôt donc discuter rationnellement de ses droits. Le droit n’est pas le problème en soi, car il n’est que la formalité effective d’une politique. Le vrai problème est le manque d’observation rationnelle du droit.
Conclusion
En résumé, l’articulation du droit et de la justice n’est pas évidente quand on considère que le droit peut ne pas être à la fois juste et injuste alors que la justice a besoin du droit pour être effective. On a en effet observé qu’il y a une hétérogénéité de l’ordre entre justice et droit. L’application du droit peut-être injuste de même que son système même. Or il nous semble aussi que la justice ne serait qu’un idéal en proie à la subjectivité sans son incarnation concrètement effective dans la formalité et l’objectivité du droit. Par l’impératif formel de la loi, le droit permet à la justice d’être reconnue et d’être respectée. Cependant, on a finalement observé que le droit en lui-même n’était qu’un instrument politique amoral d’où le fait qu’il peut être juste et injuste. Voilà pourquoi le faire taire ne participe pas plus à la justice qu’à l’injustice. Si le droit veut rendre compte de la justice, il faut que son système préserve l’autonomie rationnelle des individus à l’interpréter dans la mesure des cas. Le permettre une discussion rationnelle de ses fondements pour qu’il puisse être juste devant la raison.