Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
L’histoire de l’art retrace les moments forts et les clivages qui ont fait naître divers courants artistiques et différentes représentations de la beauté. Ainsi, l’art, par ses formes variées et unifiées dans un concept unique, suscite une réflexion de la part des sociologues, des historiens, des psychologues et bien évidemment des philosophes. Reconnu essentiellement par sa beauté remarquable, l’art est à la fois intéressant par sa part d’attraction et de mystère, et désintéressé par le fait que sa finalité n’est pas de plaire au public. Et ce n’est pas seulement la beauté de ces œuvres qui frappe l’esprit, mais également le talent et le savoir-faire dont la maîtrise dépasse largement l’apprentissage dans les écoles ou instituts. Comme disait Aristote dans l’Ethique de Nicomaque : « Tout art a pour caractère de faire naître une œuvre et recherche les moyens techniques et théoriques de créer une chose appartenant à la catégorie des possibles et dont le principe réside dans la personne qui exécute et non dans l’œuvre exécutée ». Cela dit, l’évaluation d’une œuvre d’art fait intervenir quelques critères objectifs, c’est-à-dire la manière de modeler la matière pour avoir une forme, tout en sachant que cette forme s’improvise au fur et à mesure que l’action progresse. La technicité participe-t-elle dans la constitution de la beauté d’une œuvre ? La résolution de cette problématique se fera en trois temps : premièrement, nous allons définir les critères qui font la beauté d’une œuvre d’art ; deuxièmement, nous expliquerons que la matière est soumise aux impératifs de l’outil en vue d’achever la création ; et troisièmement, l’art et la technique sont deux disciplines sœurs qui concrétisent la beauté de l’œuvre.
1. La forme imprévisible de l’œuvre est à l’origine de sa beauté
Le concept de beauté s’adresse d’ordinaire dans les faits du quotidien, mais son sens quand on l’applique dans le cadre de l’esthétique prend une autre facette. Affectant notre sensibilité, une œuvre se donne à notre appréciation via son apparence concrète, tel que nos sens peuvent la saisir. L’association de formes et de couleurs nous plaît parce qu’elle est agréable à regarder, et les sons de diverses tonalités parce qu’il existe une certaine harmonie entre eux. Ce que nous pouvons en déduire, c’est que le beau est intimement lié au plaisir des sens, sans que nous nous référions au préalable à la définition du beau en tant que concept. Des fois aussi, les créations non matérielles comme la littérature ou les pièces de théâtre nous apparaissent comme étant d’une beauté remarquable, par sa façon de représenter et d’imiter le monde réel. « Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce de représenter ce qui est tel qu’il est ou ce qui paraît tel qu’il paraît ? Est-ce l’imitation de l’apparence ou de la réalité ? _De l’apparence, dit-il ». Cet extrait de La République de Platon souligne l’essence même de l’art, dans le sens où il laisse transparaître sa beauté à travers son apparence. Par conséquent, la beauté est ce qui surprend à la fois les sens et l’esprit, tout en s’affiliant dans l’arène de l’esthétique. Cette surprise perçue par l’esprit se situe également dans le réalisme de l’œuvre, c’est-à-dire une représentation très proche du modèle qui pourrait même tromper les observateurs. Mais également, il se peut que la beauté se découvre au fur et à mesure que nous observons l’œuvre, à savoir la façon très élégante de feindre afin de ne pas se montrer provocant. C’est en ce sens que Heidegger, dans son livre Chemins qui mènent nulle part, déclare : « Nous n’avons rien fait que de nous mettre en présence du tableau de Van Gogh. C’est lui qui a parlé. Dans la proximité de l’œuvre, nous avons soudainement été ailleurs que là où nous avons coutume d’être ». Cela signifie que la beauté ne se découvre qu’une fois que nous avons pénétré l’esprit de l’artiste et que nous nous laissons transporter dans ses inspirations. En effet, certains se méprennent en jugeant qu’une œuvre d’art est laide et n’évoque aucune idée qui soit digne d’être appréciée, ce qui pourrait être partiellement vrai si on se référait uniquement à son apparence un peu simpliste. Cela dit, comme c’est le cas de l’art contemporain, le critère de beauté a littéralement changé et laisse entrevoir des œuvres les plus inattendues, ou bien baptise un objet du quotidien comme étant son œuvre personnelle. C’est pourquoi Karl Popper, dans La quête inachevée, souligne ceci : « La théorie moderne est une espèce de théorie sans Dieu. La nature ou l’essence cachée de l’artiste prenant la place des dieux, l’artiste s’inspire lui-même ».
L’art se caractérise essentiellement par la beauté, bien que ce critère reflète actuellement diverses formes et représentations. Mais sachant que la création nécessite une réalisation dans la matière, cela requiert du savoir-faire et de l’apprentissage pour réussir par la suite dans le cadre de l’invention.
2. La technique renferme à la fois l’habileté et l’imagination
Par une extension de sens, l’usage de la langue a fait que nous employons le terme art pour désigner la technique, une analogie qui puise d’ailleurs sa validité à travers l’origine de l’art dans les temps anciens. Pour commencer, analysons la technique telle qu’elle se manifeste dans notre quotidien : la technique consiste en un savoir-faire visant la résolution d’un problème matériel et qui fait intervenir un outil. Selon la difficulté du cas à traiter, c’est le technicien lui-même qui choisit ou qui invente l’outil, en tant qu’il imagine pouvoir atteindre la finalité avec efficience. Ainsi, la raison intervient largement dans le déploiement de la technique, et dont le rôle est de faire valoir les normes acceptables pour le produit qui en découle. Cela dit, la part d’inventivité dans le cadre de la technique présente une limite, de sorte qu’il faut avant tout viser cette finalité. On peut alors considérer cette définition offerte par Auguste Comte dans Cours de philosophie positive : « Les domaines rationnels de la science et de l’art sont, en général, parfaitement distincts, quoique philosophiquement liés : à l’une, il appartient de connaître, et par suite de prévoir ; à l’autre, de pouvoir, et par suite d’agir ». S’il y a donc un apprentissage dans le domaine de l’art, producteur du beau, c’est l’apprentissage de sa technique, ce qui est une sorte de moule commun à travers lequel on peut reconnaître la discipline elle-même. Un artiste commence donc à incorporer les règles propres à son art, puis sa maîtrise lui permet de faire varier les formes telles que son imagination lui dicte de faire. Un artiste qui n’est pas en mesure de suivre les techniques ne peut pas encore être considéré comme un artiste. Il aura le loisir de ne pas les appliquer, ou bien de créer d’autres règles, à condition qu’il sache d’abord comment appliquer celles qui sont effectives dans la discipline. Dans ce passage du livre Vingt leçons sur les Beaux-Arts d’Alain, il est écrit : « C’est parce que l’imagination est incapable de créer dans l’esprit seulement, c’est pour cela qu’il y a des Beaux-Arts. L’imagination ne peut créer qu’en changeant réellement le monde, par le mouvement, par le travail des mains, par la voix ». L’imagination possède alors un rôle central dans l’art, en ce sens qu’elle permet à la fois d’exploiter à bon escient les techniques et de donner une forme originale à la création. Autrement dit, c’est dans la pratique que l’imagination s’effectue, de manière telle que nos outils et notre corps adaptent et rendent possible ce que notre esprit a préalablement conçu. Par conséquent, une création ne peut être belle que dans la mesure où la technique a été respectée, et que dans certaines formes inventées cette maîtrise est toujours palpable. C’est en ce sens que le jugement esthétique sous son aspect universel, que ce soit pour les œuvres d’art ou bien dans les choses du quotidien, fait intervenir des critères objectifs tel qu’il est consenti par la raison. Cette définition de Saint Thomas tiré de sa Somme théologique le prouve : « La beauté consiste en un certain éclat et en une juste proportion. Ces deux éléments ont leur racine dans la raison, dont la fonction est d’apporter la lumière et d’établir entre les choses une juste proportion ».
En tant qu’insertion d’une forme à l’intérieur d’une matière, l’art se comprend essentiellement en tant que technique, mais est différent l’un l’autre à ceci près que l’art exige la beauté. Tout compte fait, l’art va toujours de pair avec la technique afin de pouvoir se réaliser.
3. La beauté de l’art est le résultat d’une technique personnalisée
En matière d’art, il existe diverses catégories d’observateurs, à savoir la plèbe qui est surtout impressionnée par l’originalité de l’œuvre, et les spécialistes qui jugent selon la connaissance des règles et des techniques. Toutefois, l’art ne bascule pas totalement dans la technique pure qui cherche uniquement l’efficacité. Dans le domaine de la technique appliqué dans l’usage quotidien, il existe une cause et une finalité à cet agir, donc susceptible de répétition lors d’un autre cas analogue. Pourtant, il n’en est rien pour l’art : ce qui sera produit n’est pas dicté par une cause préalable, et sa présence une fois créée est en elle-même sa propre finalité. « Ce que l’on n’a pas l’habileté d’exécuter de suite, alors même qu’on en possède complètement la science, voilà seulement ce qui dans cette mesure est de l’art ». Ce passage du Critique du jugement de Kant souligne que d’une part, la technique utilisée dans le domaine artistique ne produit pas un résultat fixe, et d’autre part le savoir-faire qu’elle transporte est toujours conditionné par la nouveauté de l’inspiration de l’artiste. Cela signifie également que la beauté qui en découle n’est pas prévue à l’avance, car ce qui a été imaginé change au fur et à mesure que l’artiste le soumet à la technique. Dans ce cas, la technique laisse de côté cette partie dictée par la raison et qui vise la performance, pour se tourner exclusivement dans sa partie ingénieuse avec un potentiel illimité. C’est pourquoi Nietzsche affirme dans Humain, trop humain que : « L’art achevé de l’expression écarte toute idée de devenir ; il s’impose tyranniquement comme une perfection actuelle ». Puisque l’art et la technique forment un pair inséparable, c’est pour souligner l’idée selon laquelle le technicien est un créateur au même titre que l’artiste. Un bon technicien est celui qui sait créer ses propres outils, et un bon artiste s’en inspire également pour faire valoir son œuvre. En somme, l’évolution de la technique artistique est fonction de la création et de l’imagination de l’artiste. Parallèlement, le génie du technicien ne peut se comprendre qu’en comparaison avec le génie de l’artiste. Cela dit, le technicien a également besoin de ce côté ingénieux, c’est-à-dire ce pouvoir créateur que la science ne peut enseigner. Dans Le monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer déclare : « La contemplation, qui s’abstrait du principe de raison, est le propre du génie ; elle n’a de valeur et d’utilité que dans l’art ».
Conclusion
Le plaisir des sens doit s’accompagner d’un esprit éclairé afin de pouvoir déceler une certaine beauté dans ces formes d’art. On applaudit alors l’artiste par son ingéniosité pour rendre beau ce qui ne l’était pas, ne serait-ce qu’en écartant un instant la forme usuelle de l’objet pour le définir désormais en tant que création et support de sens. Par ailleurs, le sens du terme art renvoie précisément à la technique, et la technique est ce qui rend possible l’art en tant que création d’œuvre désintéressée. Contrairement à la science, les règles de l’art n’est pas une connaissance théorique, mais pratique ; et même s’il y a théorie de l’art, il n’y aura de connaissance que seulement s’il y a réussite effective dans la pratique. Rappelons que l’art, bien qu’il se caractérise par une infinité de styles variés, recèle un minimum de règles qui le différencie d’une autre discipline analogue. La technique est donc au service de l’art, sans pour autant occulter cette dernière, en tant qu’elle participe à la création du beau. Les règles de l’art sont-elles éternelles ?