Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
Notre époque est marquée par la floraison de la technologie, un essor sans précédent qui a transformé le paysage économique, mais également l’orientation de la réflexion philosophique. Longtemps considérée comme le salut de l’Humanité, la technologie est désormais assimilée à la science d’après l’opinion de la plèbe. Ainsi, elle perd petit à petit son essence véritable, et dont l’origine est notamment la technique, prise dans sa forme la plus élémentaire. En effet, la technique a toujours été au service de l’homme dans son quotidien, donc elle n’est pas véritablement de l’ordre de ces entités métaphysiques qui nourrissent des débats entre penseurs. Mais sachant qu’elle conditionne désormais notre vie domestique et professionnelle, elle tend à occulter les autres domaines du savoir. « Par une telle ambiguïté, la réalité-humaine, eu égard au pouvoir-être spécifique qui appartient au Soi absolument propre, se met en état de se perdre dans le « On » », affirme Heidegger dans son livre L’Être et le Temps. Dans la même foulée, la technique participe à cette banalité du quotidien, et fait miroiter un rêve caché qui paraît à portée de la main. Et une fois le monde plongé dans cette inconscience généralisée, la technique qui était un simple outil devient alors une fin à parfaire constamment. Peut-on accepter que la technique surpasse l’homme ? Dans une première partie, nous détaillerons l’idée selon laquelle l’homme est le créateur de ce dont il a besoin ; dans une seconde partie, nous expliquerons que la technique surpasse actuellement sa fonction originelle ; et la troisième et dernière partie synthétisera que la technique ne pense pas et ne sait pas où elle mènera l’humanité.
I) L’existence de l’homme se déploie à travers la vie et la pensée
Avant même qu’il n’ait le temps et la conscience de réfléchir sur ce qu’il est, l’homme réalise dans le concret ses conditions de vie. Avant même qu’il ne conçoive des rêves et des projets d’avenir, il est déjà absorbé par le présent, en effectuant tout ce qui est nécessaire dans l’entretien de son corps et de sa famille. L’existence consiste en effet à prendre en main sa vie, c’est-à-dire fuir la mort dans un délai aussi long que possible. Et ce n’est pas en méditant sur la mort que nous sommes exemptés de ce danger inévitable : le peu que nous puissions faire est de se procurer des biens matériels et de multiplier notre descendance. Ces impératifs se développent dans le cadre de l’usage de la raison, dirigeant les activités pratiques et intellectuelles. Comme le disait Nietzsche dans La gai savoir : « La jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle pas la jubilation même du sentiment de sécurité recouvré ? » La recherche de sens qui est regardée de travers par les techniciens est pourtant ce qui anime la demande en biens et en richesses, car si les hommes étaient tombés dans une dépression générale en se disant que la vie ne valait rien, ils ressentiraient un dégoût pour tout ce qui est sous le ciel. Ainsi, la joie de vivre s’obtient à travers ces activités qui donnent sens à l’existence, et les arts et métiers ne font que compléter et servir l’homme dans ses besoins. Certains retrouvent d’ailleurs le sens de la vie à travers l’accumulation de richesse, qui est souligné par ce passage des Manuscrits de 1844 de Karl Marx : « Ce que je ne puis en tant qu’homme, donc ce que ne peuvent toutes mes forces essentielles d’individu, je le puis grâce à l’argent ». Rappelons toutefois que c’est l’homme qui a créé le concept de la monnaie, mais par la suite, il le considère comme le tout-puissant. Là réside donc le pouvoir de l’homme, qui est d’inventer par lui-même les conditions de son existence, ce qui signifie en même temps : créer du sens. Par conséquent, le sens se manifeste particulièrement dans le concret, et l’homme s’inspire de ce qui est pour pouvoir donner sens. Et puisque les inventions humaines concourent ensemble au bonheur de l’homme, elles forment un système qui relie le concret et l’abstrait. C’est pourquoi Aristote, dans L’Ethique de Nicomaque, donne cet enseignement : « S’il en est ainsi, nous supposons que le propre de l’homme est un certain genre de vie, que ce genre de vie est l’activité de l’âme, accompagnée d’actions raisonnables et que chez l’homme accompli tout se fait selon le Bien et le Beau ».
Le sens de l’existence se dévoile à travers les différentes créations de l’homme, ainsi que les institutions sociales dans lesquelles il jouit en toute sécurité de ces inventions. Mais arrive à un point où l’homme est saturé par ses créations, et qu’il a besoin d’évacuer cette abondance qui tend à l’asphyxier peu à peu.
II) L’apogée de la technique ôte le sens à notre existence
L’homme est un être très compliqué, car il ne sait pas comment maintenir un rythme de vie stable, sain et organisé. A l’époque où toute une population tremblait par l’avènement d’une épidémie et des guerres contre les peuples voisins, l’Humanité soupirait sur un monde paisible, exempt de maux et de douleurs. A présent que les vaccins sont accessibles gratuitement et que les pays s’entraident pour lutter contre le terrorisme, l’homme trouve toujours de quoi se plaindre. En effet, l’évolution de la technique qui est appuyée par les recherches scientifiques est la sécurité retrouvée pour toutes les générations à venir. Non seulement il a trouvé du sens à ce qu’il fait, mais il excelle de jour en jour à faire de la technique une œuvre plus qu’extraordinaire. Dans son livre L’Evolution créatrice, Bergson écrit : « Telle est la direction où marche notre action. Notre spéculation ne peut s’empêcher d’en faire autant, et, naturellement, elle passe du sens relatif au sens absolu, puisqu’elle s’exerce sur les choses mêmes et non pas sur l’utilité qu’elles ont pour nous ». Le minimum nécessaire pour avoir un style de vie décent est déjà accessible au grand nombre, ce qui est d’ailleurs favorisé par la redistribution des revenus entre les différentes classes sociales. En d’autres termes, la technique est parvenue à son objectif, et il ne lui reste plus que de viser un autre plus brillant, ou bien de disparaître. Cela dit, elle n’est pas un simple outil entre les mains de l’homme, mais devenue désormais une entité pleine de signification. Bien que ma vie paraît comblée par le minimum nécessaire et que je suis libéré de toute angoisse existentielle, mon entourage me fait peser un fardeau qui se manifeste tel un phénomène de mode. C’est pourquoi Schopenhauer explique dans son livre Aphorisme sur la sagesse dans la vie : « Tout au plus cette maxime peut-elle être considérée comme une hyperbole au fond de laquelle se trouve cette prosaïque vérité que, pour avancer et se maintenir parmi les hommes, l’honneur, c’est-à-dire leur opinion à notre égard, est souvent d’une utilité indispensable ». Ainsi, l’usage de la technique devient alors une question d’honneur, et cela se manifeste par le fait que les métiers scientifiques et techniques sont plus appréciés par le grand nombre, au détriment des professions littéraires. Et pourtant, personne ne peut se prononcer objectivement sur l’origine de cette opinion, ou tout au plus nous répondrons que les professions scientifiques sont nettement mieux payées. Mais cela n’explique pas tout. En vérité, la plèbe est émerveillée par les exploits ingénieux de la technologie, or elle ne comprend pas ses mécanismes, ce qui fait ériger les chercheurs scientifiques en véritables petits génies. Autrement dit, c’est la connaissance vague concernant la technologie qui fait que tout le monde soit émerveillé par elle. Cette idée rejoint celle de Kant, qui est extrait de son livre Anthropologie du point de vue pragmatique : « De même, on réussit souvent, par une obscurité étudiée, à donner l’illusion de la profondeur et du fondamental ».
La fonction originelle de la technique était d’assurer la survie de l’Humanité, désormais elle n’a plus de rôle particulier parce qu’elle a déjà atteint ce but. Toutefois, la technique ne sera jamais le substitut de l’homme et ne peut signifier à sa place.
III) L’homme doit être conscient des dangers de la technique
A première vue, la technique est un serviteur docile qui a su faire plaisir à son maître, mais par la suite elle a suscité la convoitise de tout le monde, même ceux qui ne la maîtrisent pas. En effet, les génies de la technologie ont inventé des produits qui fascinent autant par la forme que par le fond, qui sont remis, prêts à l’emploi, entre les mains de toutes les catégories de personnes. A vrai dire, le savoir perd sa valeur véritable une fois que chacun se prétend être en vogue et dans son temps, en possédant l’outil dernier cri. On oublie aussitôt l’investissement intellectuel qui a été introduit dans ce produit, et les capitalistes l’omettent également en ordonnant ses équipes de chercheurs à impressionner davantage la masse. L’ouvrage Le droit à la paresse de Paul Lafargue est une illustration pertinente concernant le sens du travail dans le monde capitaliste, qui s’exprime comme suit : « Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que leur Dieu ; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que Dieu avait maudit ». Devenue une icône de référence, elle ouvre également un danger, à savoir la poursuite incessante de performance qui épuise prématurément l’homme, ou bien le fait plonger dans une oisiveté morbide. La technique se déploie à travers une forme matérielle, c’est-à-dire que son résultat s’observe via un objet, et en plus un objet sans vie. Cela dit, il est inacceptable que l’objet technique puisse gouverner l’homme, et par la suite le monde de l’homme, tout en ignorant que celui-ci est désormais subjugué par sa propre invention. Pascal a d’ailleurs affirmé dans ses Pensées que : « Nous courons sans souci dans le précipice, après que nous ayons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir ». En tout cas, le désordre général causé par la montée croissante de la technologie est une sonnette d’alarme. Cependant, le but n’est pas de retourner dans les cavernes comme dans l’Âge des pierres, mais de ressaisir le sens de l’existence avec un retour sur les choses essentielles. L’artifice humain se manifeste par différentes formes, et parfois les idéologies brillantes comme la liberté ou l’égalité cachent des revers tellement nuisibles une fois mis en pratique. Ainsi, il existe des idées qui sont inessentielles pour l’homme dont il faudrait se débarrasser, afin que la technique puisse retrouver son rôle originel. Ce passage de la Philosophie politique d’Eric Weil montre à quel point nous devrions rester maître de nous-mêmes et libérés des choses extérieurs à nous : « Et esclave formellement affranchi, mais incapable de découvrir un sens à son existence et, par conséquent, malheureux, il cherchera et trouvera un maître, qui, d’ordinaire, sera mauvais, puisque l’esclave, ne sachant distinguer celui qui l’asservit et celui qui l’éduque à la liberté, penchera vers le premier ».
Conclusion
L’homme n’agit pas d’une manière purement désintéressée : la science, la religion, l’art ou encore la philosophie, c’est-à-dire des disciplines théoriques, renvoient indirectement au service de la vie. C’est à travers l’urgence de la vie matérielle que l’homme a inventé la technique, mais il a voulu la perfectionner en comprenant qu’il importe de conserver la vie avec des moyens tout à fait confortables. Mais en observant le rythme galopant avec lequel la technologie évolue, nous nous demandons alors s’il est vraiment nécessaire d’investir autant d’argent et de temps à ces recherches. L’existence consiste alors à faire valoir la technique : si je ne la maîtrise pas, je perdrai ma valeur aux yeux des autres. L’éloge de la technologie est certes frappant de nos jours, mais rappelons qu’elle ne dispose point de volonté et de conscience au même titre que l’homme qui l’a créée. Et l’objet technique ne sera jamais conscient de la manière selon laquelle le monde s’est transformé via sa mission. Peut-on améliorer le monde sans recourir à la technique ?