Dissertation de philosophie (corrigé)
Introduction
Pour penser la liberté, nous ne faisons pas référence au cas d’un individu isolé dans le désert ou bien enfermé dans son monde solipsiste. L’homme pose le problème de la liberté, d’une part parce qu’il entretient des rapports avec ses semblables, et d’autre part parce que cette notion semble être le moyen et la fin tant recherchés pour pouvoir s’épanouir. En effet, l’homme connaît par intuition ce que signifie la liberté, or jusqu’à maintenant il ne peut encore prétendre être véritablement libre. Mais surtout, il existe un réel décalage entre la liberté conçue en idée et celle qui est vécue dans l’expérience. Friedrich Von Schelling l’a précisé dans son ouvrage Recherches sur la liberté humaine : « Ce concept, l’indécision originaire de l’être humain l’a certes pour soi en idée, mais, appliqué aux actions particulières, il conduit aux plus grandes absurdités ». En matière de politique, ce concept sert de fondement pour asseoir le pouvoir sur le peuple, mais devient également un motif de riposte contre l’élu lorsque ce dernier a perdu sa popularité. Par ailleurs, l’homme dispose de cette nature qui lui est propre, à savoir déroger à ce qu’il s’est proposé comme règle de conduite, une manière très spécifique de faire valoir sa liberté. La liberté est –il un simple idéal de la pensée qui ne se réfère à aucune réalité concrète ? Cette problématique sera élucidée à travers trois parties distinctes : premièrement, la liberté de pensée est fondamentale dans l’instauration de la démocratie ; deuxièmement, l’expérience nous enseigne que l’homme en société fait face à plusieurs contraintes ; et troisièmement, il incombe à chaque peuple de réaliser l’expérience de la liberté à travers les lois qu’il s’est attribuées.
I) La démocratie est le principal régime qui prône la liberté de pensée.
Sachant qu’une communauté ethnique ou une Nation ne forme pas naturellement un Etat, il importe alors de créer un gouvernement qui a été structuré selon la demande du peuple. En optant pour un régime démocratique, le peuple élira son dirigeant en vue de faire valoir son droit à penser par lui-même ce qui est de son bien et comment l’acquérir. Cette souveraineté du peuple à octroyer le pouvoir à un élu doit pourtant s’accompagner d’une liberté de pensée, c’est-à-dire le droit de penser autrement que ce que pense le dirigeant. Comme disait Simone Weil dans Oppression et liberté : « Il est bien injuste de dire par exemple que le fascisme anéantit la pensée libre ; en réalité, c’est l’absence de pensée libre qui rend possible d’imposer par la force des doctrines entièrement dépourvues de signification ». L’Etat connaît donc ses principales fonctions, mais il lui incombe de dresser une politique qui lui est propre, qui sont des outils stratégiques pour parvenir à cette finalité. Certes, le chef d’Etat réfléchit sur la manière d’administrer les choses publiques, et c’est d’ailleurs sa principale fonction, mais il ne peut pas imposer une idéologie unique au peuple, au risque de tomber dans un régime totalitaire. Ainsi, le peuple peut très bien avoir une vision des choses autre que celle du dirigeant, sans que cela soit considéré un crime. En effet, c’est à travers même la liberté de pensée que le chef d’Etat a été placé au pouvoir, où la voix des urnes est une manière d’exprimer que c’est le peuple qui a pensé au mode de gouvernement qui lui convient. Dans le Traité politique de Spinoza, il est écrit : « La fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre ». L’exercice de la liberté de pensée se fait alors lors de l’élaboration du contrat social, et par la suite dans sa mise en application une fois l’Etat institué. A proprement parler, la démocratie prend son sens dans le fait que le peuple sache véritablement en quoi consiste le bonheur de la société et comment l’atteindre. Or, cet objectif est basé essentiellement sur la disposition saine de la raison de la part du peuple. La liberté de pensée est alors admise à condition que ceux qui en font usage soient gouvernés par la raison. Et il n’est pas contraire à la raison non plus que chaque citoyen ait une opinion différente les uns des autres concernant les choses publiques. On peut emprunter cette citation de Jean-Jacques Rousseau pour illustrer cette ambivalence du gouvernement démocratique : « Je dis seulement les raisons pourquoi les peuples modernes qui se croient libres ont des représentants, et pourquoi les peuples anciens n’en avaient pas ».
Un régime qui exclut la liberté de pensée s’appelle totalitarisme, ôtant à ses sujets l’usage de la raison et la faculté de penser pour pouvoir se guider par eux-mêmes. Mais cette liberté qui est considérée comme étant la première et la plus essentielle n’entraîne en rien le pouvoir de l’exercer dans la pratique.
II) L’expérience de la liberté dépend du droit dont chacun dispose
Toujours dans le cadre de la société, le gouvernement de ses membres consiste à mettre en place des lois sous lesquelles chacun devrait se soumettre, afin de régir l’ordre et l’harmonie. Ce que la loi propose à ses citoyens, c’est la protection de la dignité de la personne ainsi que de la sûreté de ses biens ; mais la loi n’autorise pas les individus à agir comme il veut à l’égard de l’Etat et des autres concitoyens. Il importe alors de définir ce qu’est la liberté dans le cadre de l’expérience, tel qu’il est stipulé par cet extrait du livre Le citoyen ou les fondements de la politique de Hobbes : « La liberté civile est de cette nature et paraît d’autant plus grande que les mouvements peuvent être divers, c’est-à-dire qu’on a plus de moyens d’exécuter sa volonté ». Cela signifie que l’Etat pourvoit une liberté qui est basée sur l’instauration et l’application des lois ; cependant, ces lois qui sont édictées uniformément aux sujets, notamment par l’énoncé du droit, ne procurent pas le même impact selon la nature de chacun. Par conséquent, la transformation de ce droit en pouvoir d’agir n’est pas la même pour tous. Ce que la loi peut véritablement exercer, c’est l’impartialité dans la punition des criminels et de tous ceux qui osent dévier la loi. Mais selon ce passage de La question juive de Karl Marx : « On distingue les droits de l’homme des droits du citoyen. Quel est cet homme distinct du citoyen ? Personne d’autre que le membre de la société bourgeoise ». Du coup, l’expérience de la liberté se heurte déjà au problème de l’égalité, car nous ne pouvons exercer la liberté que si chaque individu devient égal à son prochain. D’ailleurs, la raison pour laquelle l’Etat instaure des services publics et non payants, c’est pour prouver la répartition égale des ressources et afin que chacun jouisse d’un égal traitement. Cependant, l’égalité se limite à la consommation de ces biens et services fournis et ne change pas le statut de l’homme pauvre en homme riche. Ce dernier dispose davantage de droits à agir, et cette action ne nuit d’ailleurs à personne car il use des biens de qualité supérieure dont il dispose. Ainsi, le droit positif qui se comprend comme le fait d’agir sans nuire à d’autres est une expérience particulière de la liberté. C’est pourquoi Malebranche déclare dans son Traité de la nature et de la grâce : « Il n’y a pas deux personnes également libres à l’égard des mêmes objets ».
L’expérience de la liberté se base sur ce que la loi permet de faire, une autorisation que ne se transforme pas nécessairement en une capacité d’agir tant que l’individu ne possède pas les ressources requises. La liberté de pensée, qui est donc le fait de penser par soi-même ce qui est le bien pour moi et pour la société, n’est point similaire à la liberté dans les faits.
III) La pensée et l’expérience présentent un écart dans le domaine de la politique
La difficulté concernant la liberté repose essentiellement sur le fait que ce concept offre une perspective très large dans la pensée qu’il est tellement difficile de la réaliser dans la pratique. Pour le domaine concret de la politique, elle est considérée comme étant le pilier du rapport entre le dirigeant et le peuple. Toutefois, la liberté de pensée consiste essentiellement dans le pouvoir de créer des partis multiples, ce qui reflète la capacité d’avoir une opinion personnelle sur la vie étatique et de l’exprimer librement. Ce passage de l’Esprit des lois de Montesquieu nous rappelle d’ailleurs la nécessité pour que le peuple puisse ressentir en permanence cette liberté en étant membre de la société : « Ce n’est pas assez d’avoir traité de la liberté politique dans son rapport avec la constitution ; il faut la faire voir dans le rapport qu’elle a avec le citoyen ». L’on constate alors que cette liberté politique insinue une certaine expérience de la liberté, telle qu’elle est vécue par le peuple, ce qui est concrètement les effets de l’exercice du pouvoir des dirigeants sur la vie citoyenne. Il importe alors de bien cerner la compréhension de l’expérience de la liberté, qui n’est en rien la conséquence de la liberté de penser. Sachant qu’il y a une autolimite de la liberté entre les citoyens, c’est donc la seule possibilité par laquelle la liberté puisse se manifester dans l’expérience. En effet, transformer la liberté de penser en une expérience de la liberté signifie appliquer coûte que coûte mon opinion personnelle dans la gestion des choses publiques. Cela laisse réfléchir à la grève : les syndicats ont le droit de faire la grève, mais avec certaines limites. Comme le disait Georges Sorel dans Réflexions sur la violence : « La révolution sociale est une expression de cette guerre dont chaque grande grève constitue une épisode ». Or, l’existence d’une grève est le signe d’un mauvais fonctionnement de l’appareil étatique, et à la limite l’explosion d’une crise politique. En ce qui concerne l’expérience de la liberté, l’Etat a le devoir de faire valoir en même temps l’égalité et la liberté chez ses citoyens, chose qui est difficile à réaliser même dans les démocraties les plus avancées. D’une part, l’égalité requiert une égalité de droits, donc une liberté égale pour tous avec des ressources identiques ; et d’autre part, la liberté exige des avantages pour les privilégiés, car il ne serait point utile de croître en liberté si tout le monde acquérait les mêmes avantages que soi. Cette thèse a été inspirée de ce passage de La quête inachevée de Karl Popper : « Si la conjoncture du socialisme et de la liberté individuelle était réalisable, je serais socialiste aujourd’hui encore ».
Conclusion
Le maintien de la paix et du bien-vivre dans une société s’obtient par un gouvernement soucieux de la sécurité de la personne et des biens de chaque membre. Toutefois, la légitimité du pouvoir étatique et de l’exercice de ses fonctions reposent sur le fait que le peuple a cette liberté de penser, car c’est le seul droit qu’il ne peut pas déléguer au dirigeant. D’ailleurs, les intérêts particuliers sont aussi nombreux qu’il y a d’individus dans la communauté, il est manifeste que ces lois ne profitent pas toujours à l’ensemble, ou du moins à un degré différent. En effet, la loi annonce l’uniformité du droit, mais le droit lui-même ne peut être pallié par des énoncés verbaux ou écrits, car si le droit était de nature égale pour tous, tout le monde serait déjà égal dans les faits. Ainsi, le droit de penser n’est pas synonyme de faire advenir ses opinions politiques à la réalité, car le pouvoir d’agir et de décider revient aux dirigeants légalement élus. Cela dit, à travers la signification diamétralement opposée entre liberté de pensée et expérience de la liberté, ces deux conceptions ne s’engendrent point l’une l’autre. Le droit doit-il se transformer en pouvoir ?