Dissertations

Le temps est-il un simple produit de la raison ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de philosophie (corrigé)

Introdustion

Les œuvres de la raison conditionnent entièrement notre quotidien, plus que les contraintes physiques issues de notre milieu naturel. Étant donné que l’homme possède une certaine capacité d’abstraction, il comprend alors le monde à travers les formes conceptuelles qu’il construit à travers la science, la littérature ou encore la religion. Dans un monde de culture, il est alors difficile de cerner ce qui est naturel et ce qui artificiel, et notamment dans les créations et activités de la raison. Cela revient à se questionner si la disposition de la raison est un atout naturel ou une pure invention pour agrémenter notre quotidien. « La foule ne peut que croire et s’incliner devant une autorité, le raisonnement n’a pas de prise sur elle », fait d’ailleurs remarquer Schopenhauer dans son livre Le monde comme volonté et comme représentation. Le temps est un concept communément utilisé tel qu’il se manifeste à travers le langage, et pourtant c’est la notion qui provoque autant de force et de crainte chez les hommes. La raison, pour sa part, oscille entre cette dimension temporelle de la pensée, et la consolation selon laquelle le temps n’est qu’une fiction inoffensive. L’homme peut-il échapper à l’emprise du temps grâce à la raison ? Pour étayer cette problématique, nous adopterons un plan à trois parties, où le premier s’étalera sur le côté utilitaire du temps ; le deuxième offrira un aperçu sur l’emprise du temps sur notre existence ; et enfin, la troisième partie conclut par ceci que le temps est le produit de la conscience et non de la raison.

I) Le temps sert d’outil dans notre quotidien

Les repères chronologiques sont les signes de l’intelligence de l’homme, non seulement pour marquer par l’esprit l’ordre des événements, mais également pour représenter le monde d’une manière abstraite. Chaque culture dispose en effet d’un système calendaire, dont le comptage est inspiré le plus souvent de l’observation des mouvements des astres. En détail, les intervalles de temps plus courts sont repérés selon la durée des activités les plus banales. Ces dispositifs organisent le rythme du travail, les conventions entre les hommes ainsi que l’appréhension de notre milieu naturel. Voici un extrait du livre Le Capital de Marx pour illustrer la manière selon laquelle l’homme peut exploiter le temps à son profit : « Que l’entretien journalier de cette force ne coût qu’une demi-journée de travail, bien qu’elle puisse opérer ou travailler pendant la journée entière, c’est-à-dire que la valeur créée par son usage pendant un jour soit le double de sa propre valeur journalière ». Le travail ainsi que tous les autres rapports auxquels sont soumis les hommes sont régis par le temps, ce dernier étant devenu la mesure de la performance, de la qualité des choses et même de la santé du corps. Et si le travail, en gérant minutieusement le temps, requiert des résultats évalués sous forme de richesse, la science se montre également très rigoureuse en effectuant des essais et des expériences via la variable temps. La raison pose alors le temps comme étant une norme posée au préalable afin de savoir si un corps naturel, par exemple, suit un rythme de croissance adaptée, ou si un ouvrage demeure résistant pendant la durée qui lui a été prescrite. Kant, dans sa Critique de la raison pure, décrit le processus scientifique en tant que création d’outils et de concepts : « Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements ». Cela dit, le temps est cette notion principale à laquelle se base l’observation et la vérification expérimentale des scientifiques. Quant aux affaires humaines, cette entité abstraite trouve une place primordiale dans l’édification de l’histoire. Il est vrai que les événements marquants sont plus importants que les dates elles-mêmes, mais il suffit de constater à quel point nous nous exaltons en face d’un monument datant de plusieurs siècles. Cela signifie que l’homme accorde une valeur particulière à ce qui est âgé, à ce qui est vieux, même si la personne ou l’objet en question ne sont nullement de sa famille ou du patrimoine de sa ville natale. Un vestige du passé est précieux à nos yeux, non pas parce qu’il présente des signes de vétusté dans sa matière, mais parce qu’il nous montre qu’avant nous, il y avait une autre vie, une autre époque. Dans son livre Considérations inactuelles, Nietzsche explique : « Tout ce qui est menu, borné, vermoulu, acquiert une importance, du fait que l’âme conservatrice et pieuse de l’historien traditionaliste se transporte dans ces objets et s’y installe un nid douillet ».

Il existe une infinité d’usages du temps, dont le résultat transparaît à travers la valeur d’existence à des patrimoines ou encore la valeur marchande d’un produit. Étant un concept clair dans notre entendement, le temps produit toutefois des égarements qui sont le plus souvent irrationnels.

II) Nos comportements proviennent de l’angoisse causée par le temps

En anticipant l’avenir et en mémorisant le passé, nous construisons un monde physique et un univers social qui sera propice à conserver notre vie et celle de plusieurs générations. Or, ce projet ne concerne pas seulement ce qui nous est extérieur, mais également notre propre individualité. La mort est alors cette sensation qui est propre à l’homme, comprise antérieurement sans qu’il soit vécu, et occupe son esprit à travers diverses anticipations angoissantes. Si la mort est commune à tous les êtres vivants, en avoir la certitude comme étant une fatalité est une caractéristique typiquement humaine. Cette description tirée de L’Être et le temps de Heidegger conforte cette thèse : «  « La mort » se présente comme un événement bien connu qui se passe à l’intérieur du monde. Comme telle, la mort ne rompt pas cette absence d’imprévu qui caractérise l’ordre banal des événements quotidiens ». Et puisque la mort survient généralement de manière si soudaine, elle ne fait pas l’objet d’une attente, mais sa pensée nous emmène à signifier notre existence en conséquence. Personne ne peut l’attendre avec des préparations bien agencées, ou encore de se morfondre de la disparition certaine, mais à une date inconnue, de son corps. Et pour preuve, nous ne sommes point accablés par la nature mortelle de notre corps, mais nous accusons seulement le temps comme trop fugitif, sur lequel nous n’avons aucune emprise. Et pourtant, ces propos sont issus d’un esprit sain, et dont le contenu est dépourvu de rationalité. « Mais l’expérience enseigne plus que suffisamment qu’il n‘est pas plus en notre pouvoir d’avoir une âme saine qu’un corps sain ». Le temps, étant le signe de la mesure et de la cohérence, produit alors chez l’homme des pensées obscures et dont l’objet est même absent. Il est vrai que la conservation de la vie est la chose la plus légitime qui soit, que nous fassions entrer en jeu ou pas la conscience de la mort. Mais plus encore, nous assignons un sens particulier au fait d’engendrer une progéniture, de sorte que c’est la continuité de la vie qui est en moi, et qu’après ma mort c’est comme si mon existence n’a pas encore péri à travers ma descendance. Ainsi, nous voudrions faire l’expérience de l’éternité, chose qui est d’ailleurs absurde, mais qui est alimentée par notre compréhension du temps. Hume, dans son livre Enquête sur l’entendement humain, exprime un autre désir irrationnel qui lui est similaire : « Un prisonnier sans argent ni intérêt découvre que son évasion est impossible quand il considère l’inflexibilité de son geôlier que les murs et les barreaux qui l’entourent ».

Ce que l’homme ne voit pas, ce qu’il conçoit uniquement en pensée détient une grande emprise sur son comportement au quotidien. Le temps, qui est certes une notion représentée mathématiquement, dévoile une facette plus concrète à travers la conscience.

III) La conscience est à l’origine de la notion de temps

Le temps ne s’aperçoit pas au même titre que les objets réels, c’est à travers le mouvement ou le changement sur ces derniers que nous avons conscience de la réalité du temps. Il en est de même pour la raison, dont le pouvoir ne surgit pas via la matière, mais plutôt à travers les créations et la transformation agencées par l’homme sur son corps et la Nature. Nous ne pouvons pas nier le fait que la raison ait inculqué une conception scientifique au temps, cependant l’origine véritable de cette notion n’est pas la raison. En effet, c’est parce que nous sommes conscients que nous sommes en même temps conscients du temps, et si nous tombons dans une sorte d’évanouissement, nous ne parvenons pas à calculer l’intervalle de temps pendant lequel nous étions inconscients. Cette description de William James, de son livre Précis de psychologie, nous dévoile comment la conscience se manifeste en nous : « La conscience ne m’apparaît donc pas à elle-même comme hachée en menus morceaux. Les mots de « chaîne » et de « suite » expriment encore fort mal sa réalité perçue à même ; on n’y saurait marquer de jointure : elle coule ». A travers cette forme d’écoulement, la raison n’y fait aucune intervention, c’est la nature même de notre conscience qui apparaît ainsi. Au contraire, nous pouvons très bien faire la supposition selon laquelle la représentation du temps en ligne droite s’étalant à l’infini serait inspirée de cette sensation d’écoulement dans notre conscience. Mais bien que cette forme fictive du temps procure une compréhension très claire, sa définition en tant que conscience est la plus pertinente, car plus proche de notre sensation. Le temps, qui est le dérivé de la conscience, offre alors un cadre pour l’appréhension du monde et de mon corps, comme cette affirmation de Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception : « La conscience du monde n’est pas fondée sur la conscience de soi, mais elles sont rigoureusement contemporaines ». C’est donc la mémoire qui est la preuve tangible pour affirmer que le temps est de même nature que la conscience. En effet, cette faculté surgit une fois que nous faisons l’effort d’avoir conscience de ce qui se passait auparavant, et ce souvenir demeure très clair sur notre conscience tant que nous y maintenons cet effort. Bien que la mémoire fasse intervenir la force des impressions reçues par le cerveau depuis les organes de sens, ces fonctions physiologiques n’expliquent que partiellement cette réaction de la conscience. Bergson explique cette thèse dans L’Énergie spirituelle : « La mémoire peut manquer d’ampleur ; elle peut n’embrasser qu’une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est pas ».

Conclusion

Il suffit de penser à ce que signifie le terme « être en retard » pour comprendre l’ampleur de la dimension temporelle de la vie des hommes. En effet, l’évolution des phénomènes, qu’ils soient issus des circonstances naturelles ou créés à l’intérieur d’un laboratoire, est observée dans un intervalle de temps donné. Mais aussi, nous nous préoccupons de ce que deviendra notre corps, en sachant que le temps s’écoule et emporte avec lui cette forme actuelle que je voudrais maintenir. En effet, la pensée de la mort est corollaire à la dimension temporelle qui s’exerce sur notre esprit, de sorte qu’il y aura nécessairement un futur, et dans ce futur se réalisera une fin qui est la mort. Nous souhaitions alors conserver la vie à travers la continuité du temps, et surtout parce que nous avons l’intuition que le temps s’étale à l’infini. Si le temps était le produit de la raison, ce serait uniquement au moment où elle l’a conceptualisé en tant qu’unité de mesure, ponctuée en divers instants t. Pour preuve, l’acte de la mémoire n’est pas celle de la raison, mais plutôt la mise en liaison entre cet instant du passé et celui du présent s’effectuant par la conscience. La raison a-t-elle autorité sur cette dimension affective du temps ?

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