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La technologie est-elle libératrice ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de philosophie (corrigé)

Introduction

Il est difficile de percer la frontière séparant la science et la technique, car l’homme du commun ne reconnaît plus la valeur de la science qu’à travers les objets techniques, ou plus précisément des objets technologiques. La réflexion sur la technologie nécessite alors un retour sur l’origine de la technique depuis les civilisations anciennes, mais également sur les débuts des sciences positives à l’époque moderne. Ayant acheminé des parcours différents, ces deux entités ont connu par la suite un succès brillant en se fusionnant à l’intérieur de la technologie. L’apport de cette dernière dans le quotidien est tellement frappant, au point où elle a apporté un changement dans le comportement individuel que dans la structure de la société. Le livre Réflexions sur les sciences des machines de Jacques Lafitte offre ce passage : « Qu’importe l’imperfection de nos langages si nous sentons et faisons sentir profondément l’infinie puissance d’une unique évolution qui nous emporte, nous et nos créations, qui sont comme une autre chair de notre chair ». A force d’insérer la technologie dans les moindres ustensiles dans notre entourage, nous sommes enclins à vouloir posséder des outils derniers cris et des plus performants. La technologie est donc synonyme de confort, de luxe et de prestige, toutefois elle nous soumet à son rythme d’évolution et de dépassement. La technologie est-elle un substitut parfait aux potentialités offertes par les ressources naturelles ? Dans une première partie, nous parlerons de la nature bipolaire de la technologie ; dans la seconde, nous nous étalerons sur son rôle dans le quotidien des hommes ; et pour la dernière et troisième partie, nous conclurons avec la nécessité d’utiliser la technologie avec raison et prudence.

I) La science et la technique composent la technologie

Les organes de sens sont les outils indispensables pour recevoir des flux d’information via notre entourage, et participent également au perfectionnement de la technique mais à un niveau inférieur. Le cerveau, qui est le moteur régissant ces informations et d’où émanent les ordres activant le mouvement des muscles, entre également en jeu dans la technique, mais uniquement selon un aspect physiologique. Toutefois, ni les organes de sens ni le système nerveux ne peuvent expliquer avec exactitude notre performance à réaliser la technique. Étant commun à tous les hommes, ces attributs du corps humain sont plus développés chez les uns, et le sont moins chez les autres. Xavier Bichat écrit dans son ouvrage Recherches physiologiques sur la vie et la mort : « L’oreille chez le musicien, le palais chez le cuisinier, le cerveau chez le philosophe, les muscles chez le danseur, le larynx chez le chanteur, etc., outre l’éducation générale de la vie extérieure, une éducation particulière, que le fréquent exercice perfectionne singulièrement ». Pour l’apprentissage et le perfectionnement dans ces arts et métiers, l’individu a également besoin d’une théorie, c’est-à-dire une généralité  universellement acceptée dans ce domaine. Cette théorie s’accompagne nécessairement d’une expérience afin de prouver qu’elle est réellement efficace dans le concret. Ainsi, un art ou un savoir-faire peut se comprendre de façon rationnelle à travers une science, c’est-à-dire un composé de théorie et d’expérience. Pour la technique en particulier, rassemblant les pratiques destinées à la construction de machine et d’outil, cette science prend le nom de la technologie. Cette thèse a été stipulée par Aristote dans son livre Ethique de Nicomaque : « Tout art a pour caractère de faire naître une œuvre et recherche les moyens techniques et théoriques de créer une chose appartenant à la catégorie des possibles et dont le principe réside dans la personne qui exécute et non dans l’œuvre exécutée ». Ainsi, la technologie peut être considérée comme un stade avancé de la technique. Toutefois on peut y déceler une différence de nature dans le sens où celui qui excelle dans la technique, en usant tout simplement de son intuition, peut déployer une ingéniosité qui ne peut être devancée par un individu diplômé en technologie. En tant que science, la technologie présente alors des normes qui s’appliquent dans le concret, et dont le résultat est mesurable et pouvant se perfectionner selon ces normes. Par ailleurs, un objet technologique est facile à utiliser ou, selon les termes plus précis, prêt à l’emploi, bien qu’il recèle un assemblage complexe d’éléments. L’objet technique, pour sa part, offre la plupart du temps un aspect plus rudimentaire, mais dont la manipulation exige une harmonie de mouvement entre le corps et l’outil, au risque de se blesser. Marcel Mauss explique dans son ouvrage Sociologie et anthropologie : « Dans ces conditions, il faut dire tout simplement : nous avons affaire à des techniques du corps. Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme ».

L’homme peut faire preuve de son intelligence en exploitant son intuition, mais il fait mieux lorsqu’il se réfère à des théories pour comprendre la technique. Voyons à présent comment il appréhende l’objet technologique dans son quotidien.

II) La technologie envahit tous les domaines d’investigation de l’homme

La problématique initiale que nous avons à traiter est de savoir ce qui manque à l’homme pour avoir investi tant d’énergie à parfaire la technologie. En effet, l’homme vit sur une planète dotée de ressources qui lui procurent le nécessaire pour sa survie et celle de ses descendances. Certainement par souci de sécurité, il anticipe la pérennité de ces biens dans le long terme, et estime que, laissé dans son état naturel, il ne lui est pas possible de jouir confortablement de ses bienfaits. Il se peut également que pour des raisons de caprice, un individu voudrait s’approprier à lui seul une majeure partie des richesses dans la nature : pour cela, il invente des techniques des plus ingénieuses afin de se les approprier. Étendue à une sphère plus large, Descartes fait cette remarque dans son ouvrage Discours de la méthode : « Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé ». Joignant l’utile et l’agréable, la technologie satisfait par la précision et la constance qu’elle offre en matière de connaissance et dans son application au quotidien. Par conséquent, en se servant de la technologie, l’homme ressent un sentiment de confort et de réconfort, car il croit en la vérité incluse dans cet objet, et il possède une grande assurance en l’utilisant même s’il ne connaît pas les détails de ces connaissances. Ainsi, le savant et l’inculte ont un accès égal à la technologie, car cette dernière est présente partout, et presque dans tous les objets commercialisés. Cet extrait du Livre du philosophe de Nietzsche atteste cette idée de vérité conçue par la plèbe : « Celui qui cherche de telles vérités ne cherche au fond que la métamorphose du monde en les hommes, il aspire à une compréhension du monde en tant que chose humaine et obtient, dans le meilleur des cas le sentiment d’une assimilation ». La forme la mieux élaborée de la technologie est l’informatique, appuyée par le pouvoir d’Internet, faisant circuler un amas d’informations concernant des choses même les plus insignifiantes. Du coup, nos choix se penchent majoritairement vers les pratiques qui sont préconisées par ce nouveau support de savoir, mais cette croyance en la technologie se transforme aussitôt en une opinion car ses adeptes ignorent le fondement conceptuel des contenus véhiculés par celle-ci. Par exemple, nombreux sont ceux qui ne croient plus en des remèdes traditionnels, mais une fois qu’on a assigné une étiquette scientifique à ces pratiques, ou qu’on les a vulgarisées sur les plateformes internet, ils redeviendront populaires. C’est en ce sens que Heidegger se prononce dans son livre Questions I : « Le sens commun a sa nécessité propre, il défend son droit en usant de la seule arme dont il dispose. Il se réclame du « cela va de soi » de ses prétentions et de ses critiques ».

La technologie fait miroiter devant nos yeux le salut de l’humanité, de telle sorte que toutes les inventions sont désormais soumises à la technologie, que ce soit en matière de fabrication ou de consommation. Dans ce cas, la technologie n’est pas véritablement une libération pour l’homme.

III) La technologie est seulement une invention parmi tant d’autres

Cette grande utilité de la technologie fait oublier sa dimension scientifique, ce qui recèle une vérité conceptuelle contenant en même temps ses propres limites. Il s’agit donc d’une théorie appliquée dans une invention, ce qui s’oriente précisément vers une fonction sociale. Rappelons que la libération qu’elle nous promet est la suppression des tâches pénibles face à l’hostilité de notre environnement. Les autres fonctions qu’elle nous propose sont de l’ordre du luxe et du superflu, ce qui nous entraîne cette fois-ci à une aliénation. Face aux possibilités immenses que nous procure l’avènement de la technologie, nous sommes tentés d’en multiplier les usages en vue d’une meilleure rentabilité. Cette citation de Jean-Jacques Rousseau nous fait davantage réfléchir sur cette thèse : « Ne rien faire est la première et la plus forte passion de l’homme après celle de se conserver. Si l’on y regardait bien l’on verrait que, même parmi nous, c’est pour parvenir au repos que chacun travaille, c’est encore la paresse qui nous rend laborieux ». En apparence, la technologie nous permet de travailler moins, mais en réalité nous avons investi un capital humain et financier immense pour développer ce secteur. Les spécialistes en technologie deviennent plus importants et plus recherchés que les autres intervenants dans les disciplines sœurs, du coup nous ne pouvons rien faire sans recourir à ces outils. Avec la technique traditionnelle, nous participons à la tâche tout en apportant une part de savoir-faire réunie à ceux des autres, alors que l’indépendance fournie par la technologie se transforme en un solipsisme excluant les autres. C’est ainsi que l’avènement de la technologie a considérablement transformé la structure sociale, décrit par Freud dans son ouvrage Malaise dans la civilisation : « La grande majorité des hommes ne travaille que sous la contrainte de la nécessité, et de cette aversion naturelle pour le travail naissent les problèmes sociaux les plus ardus ». Si la technologie est réellement libératrice, que ce soit d’un point de vue personnel ou professionnel, elle devrait nous apporter un épanouissement psychologique, tout en offrant cette sensation de pouvoir faire soi-même les choses. Certains diront qu’aucune génération précédente n’aurait pu s’ouvrir à divers horizons, que seulement avec l’ère d’internet, ce qui n’est pas totalement faux. La critique que nous émettons est celle-ci : puisque tout le monde peut se prétendre connaître et à pratiquer toute chose, grâce à la technologie d’internet, on trouve rarement un individu qui soit véritablement spécialiste sur un domaine. Il existe alors une sorte de pouvoir abstrait qui anime intérieurement les individus qui sont aliénés à la technologie. « C’est un désir singulier que de rechercher le pouvoir pour perdre la liberté, ou de rechercher le pouvoir sur autrui en perdant le pouvoir sur soi-même », constate Bacon dans Essais de Politique et de Morale.

Conclusion

La technique est le moyen par lequel nous appréhendons le monde physique à travers notre corps ainsi que par l’ensemble des fonctions qui lui est relatif. En s’initiant à un art ou un savoir-faire, nous faisons preuve d’intuition en imitant les gestes d’autrui, mais pour pouvoir évoluer dans le bon sens, nous nous référons à des théories concernant ce domaine. L’agriculture, la pêche ou encore la chasse sont ainsi des moyens les plus traditionnels pour avoir accès aux ressources de la nature, et requièrent une technique très pertinente. La finalité de la technologie est en effet la même que celle de la technique, sauf que cette dernière se déploie en tant qu’héritage culturel, mais reste toujours efficace. Il est vrai que l’homme ne connaît plus la valeur de la technique en tant que vécu au quotidien, car la technologie, qui est son substitut, la devance en termes d’efficience. Actuellement, notre travail consiste avant tout à bien maîtriser les outils technologiques, et les autres compétences seront également évaluées en parallèle avec cette nouvelle formule. La capacité technicienne de l’homme est-elle limitée par la nature ?

 

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