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Le désir d’éternité est-il légitime ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’homme possède une capacité d’imagination qui régit son adaptabilité avec son milieu, la compensation à ses manques et son rêve de devenir meilleur que ce qu’il était. Les conséquences en sont très appréciables, car il devance largement le monde animal en termes d’inventivité. Toutefois, cette capacité a été poussée par diverses passions et tend également à amplifier celles-ci, à un point tel qu’il ne se suffit plus à s’épanouir dans sa condition, mais à surpasser sa nature d’homme. Vouloir réaliser l’impossible, qui ne l’apporte qu’un supplément de gloire, devient alors le projet ultime aspiré par l’homme. Le désir d’éternité se dévoile par divers déguisements, tels qu’il est stipulé par cette citation de Kierkegaard tiré de Crainte et tremblement : « La foi est la plus haute passion de tout homme. Il y a peut-être beaucoup d’hommes de chaque génération qui n’arrivent pas jusqu’à elle, mais aucun ne va au-delà d’elle ». Ce qui se cache derrière la foi est en effet l’estime d’un monde bienheureux, accessible à travers les bonnes œuvres faites ici-bas. La notion d’éternité nous fait penser immédiatement à la mort, une limite que nous voudrions faire reculer indéfiniment, ou alors le passage par lequel nous accédons vers l’infini. Certaines aspirations de l’homme sont-elles destinées à demeurer utopiques ? Cette problématique ouvre vers une réflexion faite en trois phases, où la première partie expliquera pourquoi l’homme désire-t-il ; la deuxième partie s’étalera sur l’illusion largement ancrée chez l’homme, le poussant à se dénaturer ; et la troisième partie est une synthèse parlant du possible et du réel, séparant la sphère de la pensée et celle de l’existant.

I) L’homme est le substrat de désirs multiples

Le monde propose une symbiose avec le corps de l’homme, tandis que l’homme ressent constamment un vide qui fait appel à un objet qui le complètera. Ainsi, il a le devoir d’entretenir le monde où il vit, mais il doit également rester à l’écoute de son corps en vue de susciter le désir de quelque chose, renfermant le désir de vivre. Changeant avec le lieu et le temps, le désir se présente en premier lieu comme une nécessité vitale, incluant l’entretien du corps en parfaite santé et la sécurisation des biens de façon durable. En second lieu, le désir recherche un accomplissement par plaisir, afin de vouloir le réaliser indéfiniment même lorsque le besoin n’est pas aussi pressant. Suscitée par les attributs de l’objet, cette sensation est également ancrée dans la nature humaine, selon l’idée renfermée dans cette citation de Schopenhauer : « Le système génital ne fait qu’un avec le plus violent de tous les désirs : aussi l’ai-je nommé le foyer du vouloir ». Mais étant donné que le désir existe bel et bien, cela signifie qu’il recèle un sens et une utilité, bien que cela ne soit pas réellement manifeste à première vue. D’une part, le désir persiste dans le corps humain pour prouver que ses fonctions vitales sont actives, sachant détecter ce qui leur convient de ce qui ne leur sont pas. D’autre part, nous sommes poussés à réaliser coûte que coûte ce désir, afin de développer en nous le sentiment selon lequel nous avons réussi nos entreprises. Cette pulsion est d’autant plus grande lorsque la tâche est difficile, ou alors lorsque les effets escomptés sont de grande envergure. Se résigner à notre sort signifie donc une défaite qui nous conduit à un destin fatal, offrant un goût insipide à notre existence. Cette citation de Bergson définit clairement les attentes de l’homme : « Pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même ». Le désir humain présente également une contradiction interne, à savoir son caractère éphémère qui tend en même temps à vouloir durer indéfiniment. La raison est qu’il est rapporté au corps, ce qui signifie que le corps mesure son degré d’intensité et de satiété. En réalité, le désir n’est pas en soi conditionné par la temporalité, mais plutôt par la finitude de son objet et de notre être. Par la suite, la conscience de cette finitude suscite un dépassement, car il n’est rien de plus décevant pour l’esprit humain que la fin basculant à jamais vers le néant. Pour cela, l’homme ne dispose que de sa mémoire pour figer le plaisir dans le temps, comme cet extrait des Confessions de Rousseau : « Moments précieux et si regrettés, ah ! Recommencez pour moi votre aimable cours ; coulez plus lentement dans mon souvenir s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession ».

Se concentrant pour l’essentiel sur les besoins corporels, le désir est le signe de la vitalité du corps humain, ainsi que la capacité de son esprit à se dépasser. L’inconscient nourri par des idées de fantasme non réalisées, laisse également des traces sur le comportement de l’homme.

II) La liberté de l’imagination affecte la nature de notre désir

Il existe une différence de nature entre le fait de désirer et de rêver, dans le sens où le premier renvoie à une extériorisation des pulsions jusqu’à atteindre un stade de plénitude, tandis que le second, surtout s’il est conscient, dénote une censure de l’objet du désir face aux règles imposées par la société. Certes, c’ est la première étape par laquelle le désir se manifeste, mais nombreux sont les cas où nous ne pouvons dévoiler notre désir, pour demeurer à jamais un rêve. De peur de ne pas être reconnu par les autres et par soi-même, nous refoulons cette idée pour nous extérioriser inconsciemment dans nos paroles et nos comportements. En effet, l’incohérence entre les attentes de la société et l’objet de notre désir possède une explication pertinente, notamment parce que d’une part, cet objet n’existe pas, et d’autre part, en voulant la faire advenir à l’existence, cela trouble l’ordre préétabli. Kant disait d’ailleurs dans son Critique du jugement : « Mais c’est une question de téléologie anthropologique de savoir pourquoi a été mise dans notre nature la tendance à former des désirs que nous savons vains ».  D’après ce passage, il est commun à tous les hommes d’avoir des illusions qu’ils chérissent et entretiennent. La société elle-même a été organisée sur une base de croyance qui reflète cet inconscient ramené au stade collectif. Il s’agit en effet d’une recherche de sécurité qui offre un équilibre au niveau mental, ce qui se transforme par la suite en un système de signification pour son existence. Et curieusement, ces désirs vains apportent une satisfaction à l’homme, dans le sens où ils deviennent une échappatoire à la monotonie du quotidien. Cette vanité se dévoile en effet par une impossibilité de réalisation, dont le plus manifeste est le désir d’éternité. Le livre de philosophe de Nietzsche déclare : « La vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités ». L’entendement humain est tout à fait capable de comprendre la notion d’éternité, sans qu’il ait besoin de la confronter à un contenu réel. Par la suite, il voudrait s’attribuer cette qualité et l’inculquer dans son monde, tout en sachant que cela n’est pas de l’ordre de sa nature. Entre les deux voies possibles, où l’une considère la mort comme une extension encore plus belle de la vie, et l’autre en tant que passage de l’être vers le néant, l’homme a le choix. Mais en le relatant avec le désir, il est évident que nous nous débarrasserons de ce côté sombre de la mort. Désirer la mort est donc une affirmation prise dans un sens positif, c’est-à-dire orienté vers l’éternité, même s’il s’agit de l’éternité des ténèbres, car rien ne peut me contredire en choisissant les ténèbres face à la lumière. Freud, dans son livre L’avenir d’une illusion, souligne : « Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, une illusion n’est pas non plus nécessairement une erreur ».

La mort est la ligne à franchir pour accéder à la vie éternelle, toutefois cette vie de l’au-delà, personne ne peut certifier sa certitude, mais nous y croyons quand même. La religion est donc l’illustration parfaite du désir d’éternité.

III) L’homme est libre d’imaginer et de désirer ce qu’il souhaite

En revenant à notre question fondamentale, ce n’est pas parce que l’objet du désir est à notre portée que nous la désirons. L’homme est capable d’effectuer des choses qui dépassent ses capacités pour des questions de devoir. Il s’invente des moyens et des arguments pour justifier sa conduite, et notamment pour prouver que ressentir un tel désir est légitime. Pour le cas de l’éternité, c’est un attribut réservé aux divinités mais que les hommes convoitent secrètement. A travers ses inventions, l’homme voudrait marquer le souvenir de son nom sur les générations à venir, car aucun effort ne peut maintenir sa vie éternellement. Devenir un être immortel est le sujet principalement évoqué dans les légendes et les contes, et c’est ce que les scientifiques voudraient perpétuer inconsciemment dans leurs recherches. Cependant, Pascal rappelle dans ses Pensées cette idée de défaite : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ». En se basant sur la vie sur ce bas monde, cette destinée est incontournable. Seule la religion nous promet une continuation de la vie après la mort, à condition que nous ayons mené une existence pleine de moralité. Taxée d’être une illusion, l’espérance que nous fournit le cadre de la religion est pourtant légitime. D’ailleurs, nous n’avons pas besoin de démontrer l’utilité de la religion pour l’accepter, c’est un édifice créé par chaque culture et société, afin de témoigner de la dimension spirituelle de l’homme. Et nous avons le devoir de reconnaître notre humanité, quelle qu’en soit la forme par laquelle nous la représentons. « La religion est cela même : la croyance en un sens du sens, au-delà des signes, au-delà des paroles, en les légitimant de sa vérité », disait André Comte-Sponville dans Vivre, Traité du désespoir et de la béatitude. Selon cette citation, la religion ne se limite pas à rendre un culte à un Dieu invisible ; elle porte sur toutes les croyances, et le désir d’éternité fait partie de ces croyances, validé par les athées, les scientifiques ou encore les sages. Quant à la façon de réaliser ce désir, c’est là que les opinions divergent, car certaines sont jugées comme acceptables, tandis que d’autres ne le sont pas. Une femme qui prend soin de son apparence afin de ne pas vieillir prématurément ne sera pas considérée au même niveau qu’une femme voilée qui observe à la lettre les Ecritures saintes. Et pourtant, le même inconscient les dirige : le désir d’éternité. Sur ce point, nous sommes du même avis que Alain qui écrit dans Eléments de philosophie : « La variété des erreurs et des croyances suffit à nous rappeler que l’erreur est notre état naturel, l’erreur, ou plutôt la confusion, l’incohérence, la mobilité des pensées ».

Conclusion

Le problème du désir se pose en effet dans le sens où il est impossible de le nier totalement, alors que son accomplissement entraîne une dépendance et une perte de valeur en tant qu’homme. A vrai dire, le désir n’existe pas indépendamment du corps, il s’agit essentiellement d’un désir ressenti par celui-ci. Si le désir s’estompe, c’est grâce aux attentes de notre corps, et s’il persiste c’est toujours à travers l’accord de notre esprit et de notre corps. Un autre problème consiste en effet à vouloir quelque chose de vain, et de persister à l’idée selon laquelle nous avons besoin de cette vanité. Comme tout autre désir, le désir d’éternité présente des avantages, car il ôte les pensées négatives de notre esprit. Même si l’homme sait d’avance qu’il n’aboutira pas à son dessein, il se satisfait déjà par le fait que ses efforts sont dignes de l’humanité. Les échecs et les erreurs peuvent-ils atténuer ou orienter autrement notre désir ?

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