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Le beau est-il nécessairement désirable ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Dans l’opinion publique, le désir incarne à la fois le vice et la séduction, et se tient également comme le pilier de la réflexion morale. Mais en effectuant une réflexion philosophique, l’on se rend compte que certaines circonstances favorisent le désir et donnent la permission à l’homme de suivre ce penchant. C’est la raison pour laquelle la répression des élans du désir est devenue une nécessité pour les individus qui ont fait le vœu de vivre de manière ascétique, qui se privent des artifices afin de ne pas créer le désir. Dans le cas contraire, pour ceux qui glorifient le luxe et l’opulence, ils vont s’entourer de mille choses qui leur rappelleront constamment que la vie tient sur la libre satisfaction du désir. La position de Pascal est claire dans ses Pensées : « Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ». Cela veut dire que s’il n’y avait pas ce monde, tel qu’il se présente à nous ici et maintenant, il n’y aurait pas de désir. Autrement dit, ce sont les attributs propres à ce monde qui nous incitent à désirer, et nous-mêmes faisons partie de ce monde. Mais selon une réflexion plus profonde, il est inconcevable par la pensée que tout ce qui existe soit désirable. Le contraste entre le beau et le laid suffit-il pour éclairer le problème du désir ? Cette question mérite d’être traitée en trois paragraphes distincts : primo, le désir fait partie des fonctions physiologiques de l’homme ; secundo, le beau est une notion rattachée au goût et à la culture ; et tertio, il est dans l’essence même du beau d’être désirable.

I) Il est tout à fait naturel à l’homme d’éprouver du désir

Les comparaisons entre l’homme et l’animal tournent autour des caractères biologiques et le degré d’intelligence. Les biologistes peuvent très bien se référer à des similitudes pour classer les êtres vivants selon diverses dénominations, cependant il n’est aucun des animaux qui puissent se prévaloir de ressentir du désir. Certes, la nutrition et l’adaptation à l’environnement requièrent certains besoins physiques bien précis, mais qui sont limités dans l’instantanée et se renouvellent uniquement selon l’ordre biologique. Quant au désir, il s’agit d’une notion purement humaine, se rattachant d’une part sur divers organes du corps, mais peut d’autre part être stimulé par la présence ou la pensée d’un objet extérieur. Comme le disait Freud dans son Introduction à la psychanalyse : « La sexualité est en effet la seule fonction de l’organisme vivant qui dépasse l’individu et assure son rattachement à l’espèce ». Ce passage signifie que l’objet est désiré parce qu’il soulage le corps, non pas en tant que simple besoin, mais peut être provoqué et stimulé indéfiniment dans le temps. Soulignons que l’accomplissement du désir provoque nécessairement un résultat bon ou mauvais, cependant les causes du désir demeurent floues au moment où l’homme le ressent. Autrement dit, nous poursuivons un désir sans tenir compte des effets et sans faire un effort de comprendre son origine : ce qui nous importe est son accomplissement pur et simple. Et une fois que nous avons atteint ce stade final, nous éprouvons une satisfaction qui ne vise pas nécessairement la survie, bien qu’il soit rattaché au corps. Il en est de même pour les choses qui sont désirées par l’esprit, ce qui prend cette fois-ci le nom de passion. « L’inclinaison que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine est la passion », déclare Kant dans Anthropologie du point de vue pragmatique. Notre esprit, dans ce cas, se fait complice avec le corps en mettant en veille l’appel de la raison. Ne pas écouter la voix de la raison est justement un caractère purement humain, ce qui provient de sa volonté et de sa liberté. Cette complicité se traduit par le fait de nourrir le désir par des pensées remises en surface depuis l’inconscient, notamment selon un aspect déguisé. Cultiver le désir via diverses apparences est un autre caractère qu’on ne retrouve sur aucun animal, et cela requiert tout un art. S’il s’agissant d’un simple réveil des instincts biologiques, il serait facile pour nous de les satisfaire. Pourtant, cet éternel renouvellement, entretenu par notre mode de vie quotidienne, est le propre du désir. C’est en ce sens que Schopenhauer déclare dans Le monde comme volonté et comme représentation : « Trop heureux celui qui garde encore un désir et une aspiration ; il pourra continuer ce passage éternel du désir à sa réalisation, et de cette réalisation à un nouveau désir ».

Chez l’homme, le foyer du désir repose dans divers fonctionnements de son corps, ainsi que dans la disposition de l’âme à se faire un avec son appel. Ses facultés cognitives possèdent également cette capacité de distinguer ce qui est désirable de ce qui ne l’est point, via le concept de beauté.

II) Le Beau porte une grande influence sur l’esprit

Le Beau puise son origine dans le domaine de l’esthétique, c’est-à-dire en tant que terme abstrait mais intelligible. La plèbe, pour sa part, utilise les termes qui lui sont dérivés pour désigner directement les objets lui étant attribués. En empruntant quelques notions de la philosophie de l’art, nous concevrons le Beau comme ce qui répond à une harmonie telle qu’il se conçoit par la pensée. Cette conception se rapporte également à ce qui se donne à notre sensibilité, c’est-à-dire les données offertes par nos organes de sens. En effet, la pensée raisonne en termes d’universalité, tandis que notre sensibilité déploie une multiplicité de phénomènes, mais qui sont qualifiés ensemble par cette notion de beauté. Et les objets du monde, auxquels nous avons affaire concrètement, sont caractérisés par la diversité et la multiplicité. Hegel ira plus loin en affirmant dans son ouvrage Esthétique : « Cette apparence, propre à l’art, peut, avons-nous dit, être considérée comme trompeuse, en comparaison du monde extérieur, tel que nous le voyons de notre point de vue utilitaire, ou en comparaison de notre monde sensible ou interne ». Autrement dit, le Beau créé par l’artiste relève du domaine de l’imaginaire, bien qu’il réponde parfaitement à la définition de la notion. Toutefois, il est des choses de la nature ou des objets du quotidien que nous qualifions de beau, sans nous référer à la création artistique. Il peut même s’agir d’un objet produit en série, mais que nous admirons sincèrement grâce à des attributs qui ne relèvent pas nécessairement de l’esthétique. La simplicité, la performance, l’ergonomie, le raffinement, ou encore le confort : ces qualités s’ajoutent à son visuel pour lui donner une plus grande estime à notre esprit. Il n’est de situation plus décevante que d’avoir affaire à un objet seulement qui est beau en apparence, à savoir qui s’abîme facilement pour être destiné bientôt à la poubelle. Comme le disait Marc-Aurèle : « Ce qui n’est pas utile à la ruche n’est non plus utile à l’abeille ».Certes, la définition originelle du Beau se rapporte à l’inutilité, néanmoins, nous désignons quelque chose comme beau parce que c’est le sentiment que nous ressentons intérieurement face à celui-ci. Cela signifie que le terme beau a un sens, même par rapport à des objets en dehors de l’art, c’est-à-dire un objet utile. Il s’agit donc d’une concrétisation de l’idée du beau, même si cette réplique est seulement de manière partielle et imparfaite. Une fois appliqué dans la réalité, hormis les objets artistiques, le Beau ne peut résider seulement dans l’apparence, il doit s’accompagner d’autres attributs qui pallient cette lacune. Cet extrait de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote illustre cette idée : « Nous supposons que le propre de l’homme est un certain genre de vie, que ce genre de vie est l’activité de l’âme, accompagnée d’actions raisonnables et que chez l’homme accompli tout se fait selon le Bien et le Beau, chacun de ces actes s’exécutant à la perfection selon la vertu qui lui est propre ».

Il existe quelques nuances entre le Beau défini dans la philosophie de l’art, et le Beau tel qu’il est vécu dans notre réalité quotidienne. Reliés au problème du désir, nous en déduisons que l’attrait à un objet n’est pas quelque chose de neutre, mais grâce à la constatation de sa beauté.

III) Le désir est alimenté par la pensée des choses belles

Le désir n’est pas un mal en soi, il est rapporté à l’objet auquel il est question et au statut de la personne auquel il est rattaché. Nous ne pouvons pas donner tort à quelqu’un qui désire une chose jugée bonne aux yeux de la société, au contraire celui-ci sera estimé chanceux s’il atteint ce dont il désire. Par ailleurs, chacun dispose d’un droit et d’une liberté qui sont limités par ceux d’autrui : par conséquent, poursuivre un désir qui ne nuit à personne est tout à fait légitime. Toutefois, il est une chose sur laquelle tous les hommes sont d’accord, à savoir le Beau est universellement acceptable. Voici un extrait d’Eléments de philosophie d’Alain qui souligne l’importance de la beauté dans toutes ses formes : « Je la veux sage et inaccessible, si ce n’est pour moi, et encore de bon vouloir et même avec bonheur. Rien ne plaît mieux que les signes de la vertu et du jugement, chez une femme jeune et belle ». Le Beau et le Bien sont donc deux notions voisines qui se concordent aisément dans l’esprit de l’homme. Rappelons que le désir tend vers l’action, et cette action renferme une idée du Bien ou la recherche du Bien. En possédant une belle chose, nous sommes portés à faire le Bien, car le Beau tel qu’il se traduit dans le quotidien renferme à la fois l’utilité et l’esthétique. Soulignons également que le désir est compris comme quelque chose de violent et non maîtrisé par la raison. Cependant, cette violence apparaît seulement comme l’immédiateté de la tension, sans chercher à l’expliquer car la beauté de l’objet est perçue comme en évidence. Le désir est alors jugé comme étant un vice lorsque l’homme s’est mépris d’un objet qui est beau en apparence. C‘est en ce sens que Spinoza se prononce dans son ouvrage Éthique : « Au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons ». La situation selon laquelle le désir précède le jugement, est très fréquente dans la réalité, d’où les erreurs irréversibles dans nos actions. Toutefois, il est des cas où nous sommes parfaitement conscients de la beauté d’une chose ou d’une personne, mais nous refusons de la désirer. C’est notre volonté, se penchant vers la raison au détriment du désir, qui nous interrompt dans notre course, et non la beauté proprement dite. Toutefois, que ce soit à travers une conscience éclairée ou dans l’urgence pressante de nos pulsions, il est clair que le Beau se fait un avec le désir. Hume, dans Traité de la nature humaine, confirme : « Si une passion ne se fonde pas sur une fausse supposition et si elle ne choisit pas des moyens impropres à atteindre la fin, l’entendement ne peut ni la justifier ni la condamner ». 

Conclusion

Trouvant son foyer dans certains organes du corps humain, notamment sur ceux qui se rapportent à la sensation, le désir se distingue du simple appétit animal qui est facile à satisfaire avec son objet naturel. Le côté humain se dévoile cependant en prenant conscience que la beauté se distingue nettement de la laideur, et ce, lorsque l’objet beau se présente à nos sens et à notre esprit. Face à un objet banal et sans intérêt, nous n’éprouverons aucun désir pour le posséder, alors que face à la beauté, nous sommes tout à fait convaincus de tout notre être que celui-ci est tout à fait désirable. S’il est des cas où nous nous prononçons que le beau n’est pas nécessairement désirable, c’est parce que nous avons préalablement pesé le pour et le contre des conséquences de nos actes. La force du désir se déploie dans la mesure où nous donnons libre cours à notre esprit de poursuivre son objet. La passion peut-elle avoir des effets positifs sur l’existence ?

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Toute La Philo

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