Dissertations

La raison a-t-elle autorité sur le désir ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les sciences comportementales connaissent actuellement un essor sans précédent, qu’elles soient appliquées dans le cadre professionnel ou personnel. Le comportement de l’individu est en effet intimement relié au groupe auquel il appartient et à la place qu’il occupe à l’intérieur de celui-ci. La psychanalyse a également fourni des théories brillantes sur le fonctionnement du psychisme humain, mais cette compréhension ne résout que partiellement le problème. Ces maux peuvent toutefois se soigner à travers un certain recul, notamment par la méditation philosophique, car nul ne peut me connaître mieux que moi-même. On peut emprunter cet extrait de l’ouvrage De la Nature de Lucrèce pour introduire cette thèse : « Voilà comment chacun cherche à se fuir, mais, on le sait, l’homme est à soi-même un compagnon inséparable et auquel il reste attaché tout en le détestant ; l’homme est un malade qui ne sait pas la cause de son mal ». Le problème concernant le désir est l’un des principaux facteurs engendrant les sentiments de frustration chez l’homme, et celui-là pour donner d’autres affections qui peuvent nuire à son équilibre mental. Persuadé qu’il est dans l’incapacité d’atteindre ce qu’il désire, il se culpabilise et s’attaque au monde entier. Sans l’intervention de la raison, le désir peut s’étendre à des proportions telles que son existence sera livrée à une suite de déception et de désespoir. Le désir est-il d’une nature extrêmement intense qu’il puisse occulter la voix de la raison ? Afin d’élucider cette problématique, il nous importe de faire une analyse en trois phases : d’une part, le désir se transforme facilement en passion en l’absence de la raison ; d’autre part, suivre la voix de la raison est une garantie de la réussite et du bonheur ; et pour conclure, l’homme a le devoir d’écouter la raison afin de fuir la tyrannie du désir.

I) L’estime de sa propre personne stimule et amplifie le désir

Les choses de la nature ainsi que les créations humaines répondent parfaitement aux besoins de l’homme, ce qui se traduit par sa capacité à s’adapter à son environnement et à anticiper les phénomènes qui pourraient nuire à son existence. Cependant, ne serait-ce que pour les besoins les plus élémentaires, il se lasse facilement à l’idée de revoir la même chose avec monotonie, ce qui explique le luxe et l’opulence que se parent la façon de se nourrir, de se vêtir ou de se loger. Cette apparence ne vise pas uniquement la satisfaction personnelle, mais également le désir de créer l’envie, l’estime et l’honneur aux yeux des autres. Platon nous avertit dans La République contre l’illusion de ces désirs vains selon ces termes : « C’est vrai, dit-il ; chaque désir pris en lui-même ne convoite que son objet naturel pris en lui-même ; le désir de telle chose déterminé révèle des accidents qui s’y ajoutent ». Et pourtant, notre société actuelle est désormais forgée pour répondre à ces désirs illimités, tout en inculquant dans la conscience collective que chacun pourra atteindre son rêve s’il possède la volonté de le poursuivre. Côtoyer des gens distingués ou fréquenter des lieux à la mode sont par exemple un moyen de manifester son ambition. En effet, l’ambition est cette satisfaction de se dépasser soi-même, cette sensation d’être adulée parce qu’on a réussi un exploit jamais exécuté par les autres. Pascal, dans ses Pensées nous fait part de cette passion si particulière : « Qu’une vie est heureuse quand elle commence par l’amour et qu’elle finit par l’ambition ! Si j’avais à en choisir une, je prendrais celle-là ». La différence entre le désir et la passion se situe d’une part dans sa manifestation exclusivement corporelle pour le désir, et d’autre part dans son prolongement dans le temps, de sorte que la passion tend à réaliser un acte dont les causes et les conséquences ne sont pas clairement examinées. Le désir bascule vers la passion lorsque nous légitimons ce désir et y ajoutons quelques sentiments qui accentuent son intensité. En d’autres termes, ce sentiment a été considéré comme une chose suprême sur lequel repose toute la signification de notre existence : c’est la voie par laquelle nous la jugeons comme digne d’être poursuivie, ce qui se manifeste extérieurement par des actes corporels et divers artifices toujours reliés au corps. Alain, dans ses Eléments de philosophie, décrit : « Le désir de chair, si vif, sitôt oublié, si aisé aussi à satisfaire, peut bien donner lieu à une sorte de passion ; c’est à voir ; mais cette passion n’est pas l’amour ».

A travers la passion, le désir se libère de telle sorte que son accomplissement devient la raison d’être même de l’individu. Cependant, il existe une autre entité qui est capable de fournir une satisfaction dans l’agir de l’homme, à savoir la raison.

II) Les actions dictées par la raison sont à la source de notre bonheur

Les problèmes que rencontre l’homme dans sa courte vie sont essentiellement existentiels, tandis que ceux reliés à la technique ou à la conservation de l’espèce se résolvent de manière très claire et précise. Un problème existentiel consiste en effet à se rendre compte de la vacuité de son existence, et de chercher comment la combler. Derrière les actions ordinaires que l’homme effectue dans son quotidien, il y insère donc un sens afin qu’il retrouve le goût de les reproduire chaque jour. Et cette signification n’est pas de l’ordre de l’imitation de ce qui se passe autour de soi, mais plutôt d’une œuvre de la raison qui effectue une introspection par rapport à l’immédiat. « La pensée n’est rien d’autre que le décollement de l’homme et du monde qui permet le recul, l’interrogation, le doute (penser c’est peser, etc.) devant l’obstacle surgi », définit Canguilhem dans la connaissance de la vie. Sachons que la source de notre malheur provient de notre insatisfaction, même pour des choses minimes, qui nous rappelle que nous ne pouvons rien pour régler notre sort. Se réjouir de l’ordre des choses ne signifie pas que nous sommes inconscients des imperfections qui subsistent autour de nous, mais plutôt de se dire que ce mal est nécessaire et concourt à l’harmonie de l’ensemble. Une vie heureuse repose donc dans l’usage de la raison, en prenant conscience que tout peut ne pas arriver selon nos anticipations. C’est dans cet angle de vue que Descartes nous conseille dans cette lettre adressée à Alphonse de Pollot : « Enfin, Monsieur, toutes nos afflictions, quelles qu’elles soient, ne dépendent que fort peu des raisons auxquelles nous les attribuons, mais seulement de l’émotion et du trouble intérieur que la nature excite en nous-mêmes ». Le rôle de la raison est alors d’évaluer les choses et les phénomènes selon leur vérité, et de leur assigner une importance selon leur valeur respective. Mais surtout, la raison nous est d’une grande utilité pour faire le choix de nos actions en effectuant une hiérarchie des priorités : pour cela, la base de notre réflexion consiste à privilégier la conservation de la vie. Tant que nos actions contribuent à cette fin primordiale, nous en déduisons que notre vie possède un sens, et que l’idée de suicide ou autres pensées sombres ne traverseront jamais notre esprit. Cette citation de Kant extraite de son ouvrage Anthropologie l’illustre clairement : « La plus grande jouissance sensible, qui ne se mêle d’aucun dégoût, consiste, quand on est en pleine santé, à se reposer après le travail ».

Faire appel à la raison est le moyen le plus sûr pour diriger sa vie et pour connaître le vrai bonheur. Ce pouvoir de la raison suffit donc amplement pour freiner le désir et ses caprices trompeurs, bien que ces deux entités soient de nature très différente.

III) Le désir perd son autorité face à son impuissance à combler l’existence humaine

Les héros et les saints ont inscrit leurs noms dans l’histoire grâce à leurs actions courageuses en vue de défendre une cause jugée noble. D’autres personnages ont également marqué les esprits en se livrant à des tragédies, en mettant leur vie en péril pour des raisons qui sont de nature passionnelle. Ces deux catégories d’individus ont certes agi d’une manière téméraire, avec l’espoir de trouver la tranquillité de l’âme en faisant face à la mort. Les mobiles de ces actes dépassent largement les conseils de la raison, car leur conséquence est certainement l’entrée dans l’au-delà. Parmi toutes les passions qui puissent exister, les actes héroïques et saints sont les seules qui suscitent l’admiration. En effet, il n’y a de mal aussi terrifiant que de perdre volontairement la vie, alors qu’on a librement le choix de ne pas le faire. Nietzsche se prononce ainsi dans Le gai savoir : « Ce qui me rend heureux, c’est de voir que les hommes refusent absolument de penser la pensée de la mort ! Et je contribuerais volontiers à leur rendre la pensée de la vie cent fois plus valable encore ! » Chez le héros et le saint, nous ne pouvons pas délimiter avec certitude l’influence de la passion et celle de la raison. Mais pour l’homme du commun, le fait de mourir pour des idées, et plus précisément pour des idées que la plèbe ne reconnaît point, est une pure folie et se catégorise comme un acte passionnel. L’autorité du désir s’estompe face à l’imminence de la mort, et il en est de même pour la passion, même si pour cette dernière elle s’atténue plus lentement. En effet, ce n’est pas la mort proprement dit qui nous avertit, mais l’idée de la mort tel qu’il est établi par la raison, ou alors l’importance de la vie qui nous fait fuir la mort. L’autorité de la raison fait alors taire tous les caprices du désir une fois que celui-ci étale les méfaits d’une action donnée. Comme l’explique Spinoza dans son livre L’Éthique : « Une affection qui est une passion, cesse d’être une passion, sitôt que nous en formons une idée claire et distincte ». Cependant, les cas les plus fréquents sont le regret faute d’avoir répondu à l’appel du désir, au moment où il n’y a plus rien à espérer pour réparer le tort. Certes, ce sont des cas où l’homme succombe au désir, bien que la voix de la raison se fasse entendre, c’est-à-dire qu’il s’est laissé vaincre par le désir. Néanmoins, la raison possède des armes qui permettent de vaincre tous les maux et les afflictions, et elle connaît d’ailleurs toutes les faiblesses de son adversaire que sont le désir et la passion. Et même pour affronter une situation mortelle, il y a toujours une part de la raison qui nous encourage grâce à la nécessité de l’action. Or, ces armes demeureront infructueuses si nous ne les poussons pas par notre volonté de combattre. Ce passage de l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant l’atteste : « Dans l’une et l’autre, même degré de violence ; mais elles diffèrent en qualité : tant pour les prévenir que pour les guérir, un médecin aurait à employer des méthodes différentes ».

Conclusion

L’homme ne se suffit pas à combler l’appel des besoins, mais invente des artifices qui lui offrent plus d’agréments et un aspect de nouveauté à son quotidien. Une fois libéré des jugements des autres, l’individu réunit toutes ses forces pour faire valoir ses ambitions, qu’il s’agisse de la conquête du sexe opposé, ou bien de la place ascendante aux yeux de la société. Mais en donnant du sens à ce que l’on fait, nous éprouvons également de l’estime pour notre être, de sorte que notre place dans le monde n’est point le fruit de la contingence. En d’autres termes, le bonheur est l’absence de ce trouble qui amplifie les idées négatives dans notre esprit. La suprématie de la raison est prouvée par sa capacité à dissocier les actions bonnes de ce qui ne le sont pas et, au-delà du cercle de la morale, à peser leur côté pragmatique. Pour cela, elle possède toutes les capacités pour tempérer les désirs, bien qu’elle ne puisse les supprimer complètement. Une action dictée par le désir peut-elle se classer comme vertueuse ?

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Toute La Philo

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