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La conscience peut-elle se douter d’elle-même ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Être conscient consiste à prendre acte du mouvement de l’esprit sur ses contenus abstraits. En ce sens, la conscience est dite une puissance de représentation. On se représente un monde et soi-même en se distinguant de celui-ci. Dans cette saisie, il nous arrive de nous arrêter sur certains points à la suite de l’intuition que l’enchaînement de nos propositions ne va pas de soi ou que quelque chose n’est pas très clair. Cette suspension est ce qu’on nomme le doute. On semble faire preuve d’une conscience qui n’est pas transparente à elle-même. Dès lors, est-ce suggérer que la conscience peut se douter d’elle-même ? Avant de sauter à une conclusion, remarquons que le doute est un sentiment qui s’impose. A priori, on ne décide pas de douter, car c’est d’abord une intuition qui surgit. Il semble qu’on ne peut pas dire que son origine soit la conscience, puisqu’il vient d’un ailleurs qui n’est pas saisi par la conscience. Il est alors intéressant de se pencher sur cet ailleurs avant de trancher sur la question. L’enjeu de la question est de savoir si on peut faire confiance à la conscience, car si la conscience peut douter d’elle-même, l’idée de prendre conscience ne serait donc plus le signe d’un dévoilement. Pour résoudre ce problème, il nous faut le développement d’un plan progressif. Ainsi, nous verrons premièrement comment la conscience permet encore le doute. Deuxièmement, nous verrons que le doute ne peut douter du phénomène de la conscience même. Enfin, nous considérerons l’idée que ni la conscience ni le doute à eux seuls ne permettent une totale transparence de l’esprit à lui-même.

I) La conscience n’est pas toujours transparente à elle-même

A. La conscience n’est pas à l’épreuve des illusions

Demandons-nous d’abord pourquoi ce qui se présente à notre conscience, soit ce qui paraît clair à l’esprit, peut parfois nous tromper. Pourquoi l’évidence peut-elle encore présenter une erreur ? En fait, ce qui se présente à la conscience n’est pas une donnée pure, mais un produit de l’esprit qui organise nos sensations en une unité déjà significative. Cette unité est le phénomène de la perception. La perception dans ce qui semble être une saisie immédiate nous porte à croire que les choses sont présentes à notre esprit telles qu’elles sont en elles-mêmes. Or, après une remarque produite par un examen ou par un accident, on pense distinguer ce qui n’est qu’une perspective subjective de l’objet de cette perspective. Le doute surgit vite dès qu’on fait preuve de certaines circonstances qui donnent à contredire nos premières perceptions. On se rend compte alors que la conscience ne prend acte que de points de vue, soit des différences de nos propres circonstances vis-à-vis de l’observation de l’objet. L’exemple classique est l’illusion de l’interprétation des sens. On s’aperçoit que le tour carré parfait rond à une certaine distance, qu’un objet droit paraît courbe à travers l’eau, etc. On peut aussi noter celles que produit souvent l’habitude. A travers elle, on s’est formé des représentations types qui se manifestent dans nos perceptions. Par conséquent, on interprète les choses qui sont pourtant originales en elles-mêmes à partir du familier sans le remarquer.

B. Le doute implique que la conscience d’une chose n’en est pas la connaissance

Ce qui nous amène à suggérer l’idée suivante que la conscience de quelque chose ne peut donc être la connaissance de celle-ci. En effet, soulignons que si la conscience est dans la perception, la saisie d’une représentation et non de la réalité intrinsèque d’un objet, elle ne peut se porter garante d’aucune certitude. Les moments de doute l’attestent et il semble que l’esprit n’est donc pas satisfait. Le doute est cette impression que quelque chose ne va pas de soi, il se ressent comme un certain inconfort intellectuel vis-à-vis d’une proposition de pensée, soit de l’organisation d’un jugement. Le doute fait notamment preuve de la remarque d’une incohérence, soit des propositions contradictoires selon un certain ordre, ou encore d’un point obscur, soit d’un manque d’intelligibilité vis-à-vis d’une proposition floue. A l’égard de ces possibilités, on ne peut pas accorder une confiance absolue à la conscience.

La conscience n’est donc pas transparente à elle-même du fait qu’elle peut revenir sur l’évidence de ses contenus. Cependant, on se demandera où alors ira le doute ?

II) La conscience ne peut se douter de son émergence

A. La conscience ne peut pas se douter du sujet conscient

Le doute est certainement l’œuvre de la conscience puisqu’il s’agit en d’autres termes de prendre conscience de quelque chose qui ne va pas de soi. Toutefois, le doute a ses limites face aux évidences, soit selon les termes de Spinoza, à ces vérités qui sont à elles-mêmes ses propres signes, verum index sui. D’ailleurs la pensée aussi approfondie soit elle doit toujours s’arrêter quelque part, c’est une nécessité logique. Une démonstration pour éviter le paradoxe des boucles doit s’arrêter sur des axiomes. Des principes qui soutiennent la cohérence d’une structure rationnelle. Toute la mathématique est fondée sur ces points de départ indémontrables. Descartes va d’ailleurs pousser le doute aussi loin que possible jusqu’à toucher l’indubitable cogito, le sujet qui fait nécessairement preuve de sa conscience. Descartes peut remettre en question tout contenu de la conscience, mais ne peut dépasser à proprement parler la conscience elle-même. Il nous fait l’illustration qu’un malin génie peut nous donner l’illusion d’un monde, tel dans le rêve, mais nous ne pouvons pas douter qu’il faut qu’il y ait un sujet se saisissant faisant l’expérience de cette machination.

B. Sans conscience il n’y a pas d’élan vers la certitude

Ce qui suppose que la conscience est donc une puissance qui nous ouvre la voie de la certitude. A partir des « évidences premières » (Descartes), nous pouvons déduire d’autres évidences. Il y a nécessairement une suite logique dans la démonstration déductive. En prenant compte qu’une proposition est indubitable, une autre qui en découle l’est aussi nécessairement. L’intérêt est que l’esprit conscient étant capable de saisir ses pas, peut avancer petit à petit avec prudence à la différence du sceptique qui est figé par l’idée d’une représentation du monde absolument douteux. Pourtant d’un, l’idée aussi qu’il y a un monde à douter suggère déjà qu’il y a un monde objectif en-deçà. De deux, le fait d’être capable de douter, de suspendre la validité rationnelle de nos représentations nous présente la possibilité de faire évoluer notre conscience.

Le doute de la conscience bute finalement sur la propre certitude de cette dernière. Cependant, cet élan de la conscience vers la certitude de ses contenus est-il vraiment l’œuvre de la conscience ? Elle qui est plutôt une donnée passive et non un mouvement actif ?

III) La conscience et le doute sont à travailler

A. Ni la conscience ni le doute ne sont des actes volontaires de l’esprit

Considérons l’expérience propre de la conscience et du doute. On considère que ces phénomènes sont les conditions de la certitude du fait qu’ils sont la saisie de l’esprit sur elle-même. Toutefois, il faut rester prudent, car dans leur expérience, il faut remarquer qu’on ne saisit à priori qu’une donnée qui s’impose simplement et non le produit d’une pensée laborieusement éclairée. La conscience tout comme le doute sont d’abord ce qui se présente passivement. Ils se manifestent comme le réveil de l’esprit qui se met à distance de lui-même. On dit bien qu’on prend conscience de quelque chose et qu’on a le sentiment d’un doute. Il n’est dès lors pas surprenant que l’un invite l’autre tant leur émergence est de même nature. La seule différence entre le phénomène de la conscience et celle du doute est que la conscience semble être un état d’éveil, alors que le doute surgit comme des moments de remarque sur cet état. On peut dire alors que le doute est une conscience qui prend le dessus sur la conscience ordinaire.

B. La conscience doit être dirigée par le bon usage de la raison

Ce qui finalement nous amène à considérer qu’il faut donc adjoindre à la conscience et au doute la puissance de la réflexion. Tout comme la conscience et le doute, la réflexion est le phénomène d’un retour de l’esprit sur lui-même. Toutefois, il y a une différence significative.  La conscience et le doute, comme nous l’avons précédemment observé, sont passifs. Or, remarquons maintenant que la réflexion est active, elle s’éprouve dans l’effort rigoureux de l’autonomie de l’esprit dans l’examen de ses objets. Ainsi, Descartes dans son Discours de la méthode nous enjoint non à simplement considérer la raison à l’œuvre, mais surtout à en faire bon usage, il nous précise que « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ». Le fait est que l’esprit est facilement passif devant ses états de conscience et ses doutes. Dans le premier cas, il croit dans le sentiment de l’évidence, une présence qui semble logique. Dans le second, dans le sentiment du doute, il pense avoir une supériorité transcendante sur un jugement erroné ou creux. Toutefois, le problème de la conscience et du doute est que tous les deux ne peuvent asseoir une certitude, car dans leur manifestation, il ne s’agit que d’opposer des perceptions intuitives. La conscience est une puissance de représentation, mais ces représentations comme nous l’avons vu, peuvent être des interprétations erronées. Quant au doute, il est certes la remarque d’une intuition sur quelque chose qui ne va pas de soi, mais demandons-nous aussi où se fonde cette intuition. En tant qu’elle est d’abord un sentiment ne peut-elle être illusoire en étant le cheval de Troie de nos affections subjectives ? Tant dans la perception passive de la conscience que celle du doute, il y a un entendement qui « croit » avant toute réflexion saisir les choses. A ces égards, il faut donc profiter de la puissance de la conscience et l’ouverture du doute pour explorer rationnellement leurs contenus. Et ceci ne peut se faire sans une méthode rationnelle, soit une conduite organisée et rigoureuse de sa raison. A chaque jugement, la conscience doit être dirigée par des interrogations sur les fondements de l’interprétation. Elle doit avoir pour intention de dévoiler les prémisses les plus profondes de nos raisonnements pour éviter que la finalité intuitive d’une conclusion prenne déjà une certaine avance. Le doute quant à lui doit ne pas rester sur les remarques, il doit aussi s’interroger sur le pourquoi de son émergence afin d’éviter de participer à la confusion plus qu’à l’éclaircissement. Le principe de ces considérations est que la conscience et le doute pour rendre grâce à leur nature de saisie de l’esprit doivent ultimement exiger leur autonomie.

Conclusion

Comment penser la conscience à travers le doute qui émane, pourtant d’elle et qui à la fois s’y oppose ? La conscience semble pouvoir douter d’elle-même, puisqu’il arrive qu’on fasse preuve d’erreur et d’illusions, parce qu’elle se présente comme une perception, qui est cette organisation involontaire de nos sens. La conscience, étant donné qu’elle ne présente à priori que cette dernière, ne suffit donc pas à garantir la certitude. Pourtant, il faut considérer que le doute s’applique aux contenus de la conscience et non à la conscience elle-même. On ne peut douter qu’on peut faire preuve de conscience. Ce que le cogito suggère aussi à démontrer. Si je ne peux pas douter que j’ai à la conscience un doute, je ne peux donc pas douter que j’ai nécessairement une conscience qui supporte le doute ou la certitude. Il s’ensuit que dans la manifestation de la possibilité de l’indubitable on peut suggérer le développement d’une série d’évidences à partir de la déduction. Toutefois, il ne s’agit pas d’accueillir passivement ce qui paraît évident. Comme la conscience n’étant qu’une représentation et que le doute soit une perception opposée et non un donné certain, il faut donc toujours rester méfiant. Que la conscience présente l’intuition d’une certitude ou d’un doute, il faut lui adjoindre l’examen d’une raison méthodique. Finalement, la conscience qui doute n’est que le retour passif de la conscience sur elle-même, elle n’est pas la conquête d’une véritable conscience qui elle devrait être le produit du bon usage de la raison.

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