Dissertations

Une oeuvre d’art peut-elle être laide ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Une œuvre d’art est communément admise comme l’expression de la beauté. D’emblée, la réponse qui semble la plus évidente est donc un non, car la laideur s’oppose à la beauté, or la fin de l’art n’est-elle pas cette dernière ? Pourtant, comment parler objectivement du beau si l’œuvre d’art se doit d’être appréciée par la sensibilité et non la raison ? D’ailleurs, l’expression « à chacun ses goûts » n’est-elle pas souvent plus partagée que les critères d’une représentation particulière du beau ?  Le classicisme prône la grâce et l’élégance, mais qu’en est-il des figures viscérales de Francis Bacon qui ont un public significatif ou encore des scènes qui sont, à première vue, absurdes du surréalisme ? Si c’est le cas, il s’ensuit que ce qui est beau pour certains peut paraître laid pour d’autres. Mais demandons-nous si l’art avait son propre sens si le laid et le beau ne sont que relatifs ? À quoi servirait-il de distinguer de l’art à toute chose si l’œuvre d’art ne renvoyait plus au sentiment partagé du beau ? Pour répondre à ce problème, nous verrons premièrement en détail pourquoi le beau paraît être une question de goût. Deuxièmement, nous verrons aussi pourquoi le beau est un droit universel et non relatif. Puis finalement, nous considérerons en fait que l’art peut transcender le beau et le laid.

I) Le beau paraît être une question de goût

A. A chacun ses gouts

Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Cette expression nous fait penser au premier degré que chacun a ses propres goûts et qu’il est futile de juger les goûts des uns et des autres. L’expérience ordinaire montre que chacun apprécie des œuvres si diversifiées qu’on ne pourrait encadrer les œuvres d’art dans des concepts fidèles à leurs sentiments.  Ce qui semble justifié, car si le bon sens est la chose la mieux partagée du monde, soit le bon usage de la raison, on ne pourrait établir des critères rationnels à l’art. Cette ambition serait de penser l’objet dans son objectivité. Or, l’œuvre d’art n’est pas un objet de la connaissance, mais de la sensibilité. Ce qui ravit le regard est contemplé et non analysé. Puis  puisque qu’il s’agit d’un sentiment, soit d’une impression qui ne peut être vérifié universellement, on ne peut disputer l’idée que certaines œuvres qui paraissent belles pour certains, paraissent laides pour d’autre.

B. Le sentiment du beau n’est pas exempt de conditions sociales

Puis en réfléchissant au rapport possible entre art et culture, nous pouvons vite constater que le goût forme des sociétés et que ces sociétés à leur tour font l’influence de leur perspective par l’intégration de l’individu dans leur moule sociale.Une œuvre d’art crée des adorateurs qui partagent le sentiment qu’elle éveille. Les premiers adorateurs se rassemblent en une communauté où un état d’esprit général est défini. L’individu qui est initié au culte de l’œuvre est gratifié des privilèges que la communauté lui offre. Il est alors hypnotisé par cette dernière et convaincu de la supériorité de son objet de culte sur d’autres. Puis, d’une manière plus fondamentale, il ne faut pas oublier que si l’artiste est avant tout un esprit qui porte une culture, c’est qu’il appartient à un ordre métaphysique propre à sa société. Ainsi, pourquoi les arts dits primitifs semblent tous signifier un rapport de culte avec le monde. Ces arts symbolisent le mystique, un monde spirituel qui organise les forces de la nature. C’est pourquoi leurs formes ne plaisent pas à tout le monde puisqu’ils n’ont pour fins ni l’élégance ni la grâce, soit ce qui plaît à la sensibilité. On retrouve les objets de culte préhistorique qui n’ont rien à envier à l’ordre harmonieux du classicisme de la période hellénistique et la renaissance en représentant grossièrement le monde spirituel. Pourtant, ces objets sont bien des œuvres d’art et ils font preuve de la vision originale d’un artiste. Ils donnent à voir la créativité originale de l’imagination qui se représente le monde invisible de la métaphysique.

Que le goût soit personnel, socialement motivé ou culturellement imprimé, cela ne devrait pas neutraliser le sentiment de ce qui plaît universellement.

II) Le beau est universelle

A. Ce qui est agréable n’est pas le beau. Le beau est ce qui plaît et non ce qui plaît à soi.

Le beau est certainement le sentiment d’un sujet. Le sujet fait face à l’expérience de sa subjectivité lorsqu’il dépouille l’objet qui lui plaît de son objectivité. Néanmoins, le sujet donne dans son jugement une valeur à reconnaître dans l’œuvre même et non le sentiment de ce qui lui est seulement agréable. Il y a ici une différence de direction. Le sujet en affirmant que « c’est une belle œuvre » déclare une valeur qui semble appartenir à l’objet. Il prétend que le beau fait effet sur le sujet, or dans le cas du sentiment de l’agréable, le sujet projette ses affections sur l’objet. Selon Kant : « il ne juge pas seulement pour lui, mais pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des choses. ». En fait, ce côté subjectif est plus précisément le ressenti de l’expérience du beau, le vécu de la sensibilité et non de la perception qui elle est la représentation qu’on se fait de nous-mêmes de l’objet. Cette représentation peut-être liée à la nostalgie, à son émotion actuelle, ou à ses  normes culturelles. Voilà pourquoi pour Kant, l’agréable est ce qui plaît particulièrement à soi, tandis que le beau est ce qui tout juste « plait », en tant qu’il est universel, soit indépendant de mes affections personnelles.

B. L’art est à lui-même son propre fin

Au regard du culte de l’œuvre d’art et de sa relativité sociale, l’art et la culture se dépassent entre eux. Ce qui est apprécié en communauté peut être bien une œuvre d’art , car le beau est universel et les goûts sont donc partagés. Toutefois, ce qui fait de l’œuvre un art s’arrête au sentiment esthétique. Aussi, ce qui relève de la sélectivité, voire de l’élitisme, appartient à la valeur sociale d’une communauté qui se définit des normes à respecter. En fait, la culture d’un art peut vite oublier que celui-ci ne sert ni un concept ni un intérêt. L’art n’a pas pour priorité de se faire comprendre rationnellement. Ce qui est intelligible par la raison sont les règles d’un savoir-faire, mais elles sont estimées comme des moyens et non prioritaires, comme une fin. Les connaître par cœur ne fait pas d’une personne un artiste. Ce dernier se soumet à eux dans un souci technique, mais c’est le génie qui guide l’ouvrage. Au niveau des intérêts, certainement l’artiste sert des valeurs de son temps. Par contre, l’art qu’il produit se donne à être apprécié par toute âme. On le constate dans le fait qu’il n’est pas rare que l’appréciation d’une œuvre d’art dépasse la frontière des cultures. On remarque des chrétiens qui font preuve d’une grande appréciation en contemplant la beauté de l’architecture musulmane et pareillement des musulmans qui apprécient les œuvres de Bach véhiculant la grandeur du christianisme. Ce n’est donc que dans l’appréciation dépassant toute représentation déjà faite et tout intérêt qu’on reconnaît ce qui est beau.

Si l’art est universel, comment alors penser le jugement du goût ? Comment définitivement distinguer le beau du laid ? Par ailleurs, le beau est-il encore actuellement la visée de l’art ? Si l’inspiration voudrait se présenter dans la forme qui lui est la plus adéquate au mépris d’un critère du beau, peut-on tout de suite refuser à cette forme le titre d’œuvre d’art ?

III) L’art dépasse le beau

A. Le beau est subordonné à l’éveil du regard

Une œuvre d’art, comme nous l’avons observé, peut avoir été réalisée dans la priorité de véhiculer efficacement des valeurs. Ce service aux valeurs suggère que l’art est le réceptacle original d’un message. Mais ce qui fait l’art, c’est notamment sa transmission d’une manière captivante. Souvent, la belle forme d’une œuvre est seconde à l’effet recherché. Ainsi, dans l’art dit contemporain, de nombreux artistes veulent transmettre un message que l’esprit de l’ordinaire, se disent-ils, a besoin de remarquer. L’artiste invite le regard ordinaire à s’étonner dans la transposition d’un objet familier dans une présentation inédite. La fontaine de Duchamp présentant un urinoir où les objets populaires de Warhol sont présentés dans des situations inédites, attire la curiosité du grand public. L’intention est ici de bouleverser l’habitude de la perception pour attirer le regard sur un problème philosophique. Le public est curieux puis réfléchit et éventuellement remet en question certaines valeurs. Cela ne signifie pas que l’art est subordonné au message. Le message, lui aussi, est second à la créativité de son expression. L’art de la photographie s’en remet à des choses parfois réelles et veut parfois même faire propagande, laissant à penser que certains artistes pourraient être engagés par un intérêt.  Mais seulement vis-à-vis du message. En fait, l’art de l’artiste est le choix d’une composition personnelle fidèle à son inspiration et donne un nouveau regard à une scène.

B. L’art sert la créativité d’un regard

Le problème réside dans le fait que la communauté peut servir derrière le rideau de ses normes esthétiques, la conservation d’un culte de l’identité. Une identité qui veut se maintenir dans des traditions et qui renvoie hors d’elle les libertés qui sortent de ses canons en les qualifiant parfois de subversives. Ce qui s’apparente au totalitarisme, celui du goût. L’esprit de l’art est pour autant contraire à cette tendance de fermeture, car l’art malgré les canons, a toujours été l’expérimentation du « regarder autrement ». En effet, l’art est ce qui défie les codes, il prend le risque de provoquer, de bouleverser, voire d’offenser. L’histoire de l’art, si elle semble figer les phénomènes artistiques dans des concepts distinctifs, n’a de but que l’organisation. Il s’agit d’organiser en des registres pratiques la filiation de l’héritage des différents styles, mais aussi des réformes et des schismes. Ces concepts ne prétendent aucunement définir définitivement ce qui est de l’art et ce qui ne l’est pas. Au contraire, ils font état de la nature de l’art à se redéfinir à travers des expériences inédites. L’esprit de l’audace vis-à-vis des traditions, montre que l’art ne sert que l’expression de la créativité de la représentation. Il s’ensuit que l’art qui pense absolument servir un quelconque sentiment du beau ne peut que se contredire parce que l’artiste ne peut plus laisser libre expression à sa créativité.

Conclusion

Que penser de l’art s’il peut ne pas être la représentation du beau ? Il semble que l’art est une affaire de goût et il parle à notre sensibilité et non à notre raison. On ne peut donc pas nier que certains trouvent laides certaines œuvres emblématiques. L’appréciation de l’art n’est pas exempte de l’influence de valeurs culturelles. L’œuvre peut être appréciée à travers les normes d’une communauté qui stigmatise. Puis, l’artiste peut-être au service d’un culte dont les représentations de son monde métaphysique ne plaît pas à tout le monde. Toutefois, parle-t-on bien de l’art dans ce relativisme quand celui-ci par définition se veut être une sensibilité universelle ? La subjectivité n’est en fait que l’expérience de la sensibilité et non son contenu, qui lui, est l’effet de la valeur appartenant à l’objet. L’appréciation discriminante de la fermeture culturelle est illusoire, car l’art ne répond à aucune fin que lui-même. On ne peut faire l’épreuve du beau que quand on ne pense à aucun concept ni à aucun intérêt. Au-delà, on ne pourrait finalement limiter l’art à l’expression du beau. L’art ne sert pas le beau, celui-ci lui est contingent, puisque le génie de la créativité le transcende. L’art est en fait une expression qui ne sert que la créativité.

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