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La différence culturelle est-elle synonyme de violence ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La nature sociale de l’homme se constate aisément dans les faits, et se fait souvent entendre à travers la littérature philosophique, les études sociologiques et même dans la Bible. Cette évidence est pourtant entachée de difficultés, car les scènes de ménage, les conflits entre les voisins, voire même les guerres tribales sont autant de preuves que vivre avec son prochain est une chose compliquée. En faisant intervenir la notion de culture, la situation devient plus critique, puisqu’il existe une différence de pratiques et de croyances qui dépasse parfois l’entendement. Et pourtant, il n’y a de chose qui soit plus variée que les cultures entre chaque groupe d’hommes. Mais les querelles se manifestent même entre les frères de sang, ce qui nous fait penser comme Eugène Delacroix qui disait : « L’homme est un animal sociable qui déteste ses semblables ». La différence culturelle est une notion très difficile à appréhender, même à travers les outils des sciences sociales, car chaque culture offre une représentation très spécifique du monde qui ne peut occulter une autre qui possède également une certaine originalité. Dans la vie quotidienne, nous avons en urgence de résoudre les violences issues directement des chocs de culture, en réfléchissant tout d’abord sur la nature de cette différence, mais aussi sur la véritable origine de la violence chez l’homme. Pour rétablir l’harmonie dans le vivre en commun, devrait-on penser à un concept unique du genre humain ? Afin d’élucider ce questionnement, nous adopterons un plan à trois parties : premièrement, la différence culturelle est le signe de la liberté de l’homme à signifier son monde à sa guise ; deuxièmement, la violence est une sorte de faiblesse déguisée ; et troisièmement, il est tout à fait possible d’instaurer la paix même en présence d’une différence culturelle.

I) Chaque communauté est libre de croire et de penser selon leur propre identité

Les règles coutumières et les lois écrites sont le résultat d’une convention entre les membres de la société. Néanmoins, elles ont été précédées d’une vision commune concernant la représentation du monde et la signification de chaque élément dans ce monde, y compris la place et le rôle des hommes et des femmes. En effet, l’environnement naturel où vit une société influence la conception du monde propre à une culture, et propose la manière de disposer des richesses en fonction de la hiérarchie des individus. Par ailleurs, la croyance en des divinités reflète un symbolisme attaché à ces objets naturels et à ces fétiches considérés comme les effigies de cette culture. Comme disait Emile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie : « Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer des rites qui en sont solidaires ». Tous ces éléments contribuent à différencier une culture d’une autre, bien qu’il y eût, dans l’histoire des civilisations, un embrassement de différents peuples qui procure une influence et une évolution sur différentes pratiques de l’un et de l’autre. Cette incorporation n’est pas pour autant une simple imitation, car il s’agit plutôt de l’effet de l’adaptation face à une nécessité. Comme toute réalité qui existe dans ce monde, une culture ne peut pas s’isoler définitivement au risque de périr. Afin de survivre et de maintenir le commerce avec les autres, un peuple est tenu de métamorphoser certaines pratiques selon les dispositions offertes par le nouveau milieu et l’évolution du temps. Cette illustration tirée de Conjonctures sur les débuts de l’histoire humaine de Kant explique la possibilité de fonder une famille selon les circonstances actuelles : « L’état civilisé au contraire requiert pour cette dernière tâche beaucoup d’industrie, aussi bien l’habileté que des circonstances extérieures favorables, de sorte que cette époque, civiquement du moins, est retardé en moyenne de dix ans ». Ainsi, on ne peut pas considérer la culture comme un simple moyen de survie, car il existe autant de moyens à exploiter les ressources pour avoir des résultats plus efficients. Et pour preuve, la différence entre les cultures offre des trajectoires de développement très éloignées entre deux peuples, même en présence de territoires et d’atouts naturels diamétralement opposés. Cela dit, une culture donnée fournit un degré de connaissances et une aptitude à valoriser le savoir, tout en étant délimité par la hiérarchie de nécessités imposée par les croyances. La différence culturelle est alors signifiée par un certain décalage entre l’évolution des connaissances, l’héritage artistique, ce qui se reflète à la fin sur la puissance économique. L’ouvrage L’homme et la technique d’Oswald Spengler atteste : « L’homme est devenu le créateur de sa tactique vitale : là est sa grandeur et là est sa perte. Et la forme intime de sa créativité est appelée culture : être cultivé, cultiver, pâtir de la culture ».

La différence est inscrite même dans la définition de la culture, à savoir différence par rapport à d’autres groupements d’hommes et différence par rapport aux animaux. Mais puisque l’homme ne peut vivre indéfiniment en autarcie, viennent alors les querelles qui prennent la forme de violence.

II) La violence est l’expression tacite de la négation d’autrui

La violence n’est la même chose que la guerre : si cette dernière se présente comme une déclaration officielle à nuire à un clan adverse, appuyé par des motifs qui rendent raison à cette attaque, la violence est tout autre. Se manifestant la plupart du temps de manière indirecte, elle se révèle par des actes de ségrégation, des paroles désobligeantes ou même des atteintes au corps et aux biens d’autrui. A proprement parler, c’est la non reconnaissance de la différence d’autrui qui génère la violence. Pour la guerre, par contre, il s’agit d’exhiber ses forces face à une adversaire de puissance égale. Cet extrait du livre Le citoyen contre les pouvoirs d’Alain laisse penser que la guerre ne renferme aucune émotion, contrairement à la violence : « La guerre n’est nullement violence. La violence y survient comme épisode ; mais c’est justement ce qui répugne le plus à ceux qui font la guerre ». Par conséquent, la différence culturelle, une fois qu’elle laisse penser à des considérations hiérarchiques entre les deux groupes, engendre la violence. Dans ce cas, il n’y a pas de guerre à déclarer parce que les motifs n’en sont en aucun cas légitimes : couleur de peau, différence de genre, position professionnelle et bien d’autres faits mettent en évidence des différences de traitement selon la culture. Et pourtant, le fait de vouloir établir la justice en fonction de la prétendue différence de nature ne relève d’aucun droit, car le droit stipule l’égalité de tous. C’est pourquoi la violence est difficile à réprimander par la loi et par les forces répressives, car ce sont les formes extérieures qui sont sanctionnées, tandis que l’origine profonde, à savoir le refus d’autrui qui est différent de soi, reste intacte. Descartes disait d’ailleurs dans sa Lettre à Mersenne : « Je ne connais rien de violent dans la nature, sinon au respect de l’entendement humain, qui nomme violent ce qui n’est pas selon sa volonté, ou selon ce qu’il juge devoir être ». Sauf pour les pratiques qui mutilent la vie et la santé du corps, il n’y a rien de violent dans une culture, une fois que l’on a posé et interprété chaque signe à l’intérieur d’un comportement donné. Vue de l’extérieure, cette culture paraît violente car elle n’est pas comprise, et les individus qui n’en font pas partie interprètent de manière fausse, c’est-à-dire selon leur propre vision, cette pratique étrangère. La marginalisation est la forme la plus courante de violence entre les individus de différente culture, et il existe même dans certains pays où elle est institutionnalisée pour souligner que le pouvoir public légalise l’inégalité des traitements. Dans Soi et les autres, Ronald Laing explique : « L’individu ressent non pas l’absence de la présence de l’autre, mais l’absence de sa propre présence en tant qu’autre pour l’autre ».

La violence surgit entre les hommes lorsque ces derniers voient que leurs semblables n’adoptent pas les mêmes valeurs que les leurs, et refusent par la suite qu’ils jouissent des mêmes privilèges qu’eux. Néanmoins, il est tout à fait possible d’établir le bien vivre au sein d’une différence culturelle, en faisant preuve d’humanité.

III) La tolérance est la volonté de pallier la différence

Parmi tous les êtres vivants, l’homme est le plus capable de s’adapter à son milieu, et encore plus à modeler ses semblables que ce soit par les émotions ou par la raison. La société des hommes a été instaurée essentiellement pour la survie de l’espèce, mais les rapports entre les individus revêtent également des sentiments qui se communiquent. En matière de commerce, la recherche de profit dicte les rapports entre les partis, cependant ces contrats reposent également sur des bases diplomatiques et des affinités entre les pays. En effet, la sympathie entre les hommes n’est possible qu’en faisant preuve de tolérance, même en faisant affaire avec des parties les plus prestigieuses. Hobbes, dans De Cive, déclare : « Il en faut donc venir là, que nous ne cherchons pas de compagnons par quelque instinct de la nature ; mais bien pour l’honneur et l’utilité qu’il nous apporte ; nous ne désirons des personnes avec qui nous conversons, qu’à cause de ces deux avantages qui nous en reviennent ». Cela prouve que les hommes, pour leur propre intérêt, savent s’arranger entre eux en vue de perpétuer le vivre en commun, sans querelle et sans violence. Et c’est en présence de la différence culturelle qu’il est plus que nécessaire d’établir l’harmonie, par le biais de la compréhension et de la tolérance. Par l’usage de la raison, l’homme réalisera qu’il est de son avantage de vivre harmonieusement avec son prochain, et que la violence est seulement le signe d’une impuissance face à une situation désobligeante. La sympathie est également un sentiment qui rapproche les hommes, surtout lorsqu’il existe une différence de statut et d’opinion entre eux. « Ainsi l’âme humaine, riche d’un amour élu, anime les grandes choses avant les petites. Elle tutoie l’univers dès qu’elle a senti l’ivresse humaine du tu », se prononce Bachelard dans la préface à Je et Tu de Martin Buber. En somme, qu’il s’agisse d’un calcul d’intérêt ou d’une expression de sentiment partagé, l’homme peut très bien, avec de la volonté, renoncer à la violence. La différence culturelle n’est pas forcément une source de hiérarchie entre les hommes, au contraire elle symbolise la richesse de l’esprit à donner du sens et à pouvoir habiter en harmonie dans le monde. D’ailleurs, s’il n’y avait pas de différence, aucun échange ne serait possible. L’équité dans le commerce provient de l’acceptation de cette différence, de sorte que les biens ou même la monnaie ne seront valorisés que par convention. C’est pourquoi Marcel Mauss écrit dans Essai sur le don, Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques : « Les peuples, les classes, les familles, les individus pourront s’enrichir, ils ne seront heureux que quand ils sauront s’asseoir, tel des chevaliers, autour de la richesse commune. Il est inutile d’aller chercher bien loin quel est le bien et le bonheur ».

Conclusion

La culture englobe en effet des savoir-faire qui ne visent pas seulement l’efficacité, mais offre également un sens à la vie en communauté, ainsi qu’une valeur symbolique aux objets inclus dans ce milieu. Parallèlement, la violence a lieu lorsque deux individus ou groupes d’individus se considèrent entre eux comme ayant des statuts différents, et n’acceptent pas que l’autre puisse jouir des mêmes avantages que soi. Mais à vrai dire, la violence n’est pas inhérente à la différence culturelle, elle est le résultat inévitable de l’ethnocentrisme en acte, c’est-à-dire le jugement des valeurs des autres en fonction de sa propre culture. Sachant que les tensions et les frustrations ne sont aucunement profitables pour la société, chaque individu peut très bien faire preuve d’indulgence face à la différence. La mobilité géographique est de plus en plus poussée ces dernières décennies, ce qui engendre des interactions entre les individus d’origine différente. Les échanges culturels tendent-ils nécessairement à ériger une culture unique et universelle ?

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