Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Pour le commun des mortels, la vie se présente comme une évidence, mais pour les philosophes, penser la vie est quelque chose de très délicat. Soit nous clamons haut et fort que rien ne vaut la vie, soit nous nous basculons dans une attitude sceptique en disant que la vie ne vaut rien. Si la science s’intéresse à la vie, elle laissera de côté cet aspect existentiel pour se focaliser uniquement sur les mécanismes qui engendrent la naissance, la croissance, la multiplication et le dépérissement des êtres vivants. Mais en faisant intervenir la science pour comprendre la vie, nous avançons encore d’un pas hésitant, car la science devrait alors adopter une démarche hors du commun, ou bien se contenter de celle qui a été utilisée dans les sciences physiques, c’est-à-dire pour les choses inertes. « On proclame d’un air de triomphe que « la science commence à se rendre maîtresse de la vie ». Il se peut qu’elle y arrive, mais il est certain que la vie ainsi dominée n’a plus grande valeur », constate Nietzsche. Quand on parle de vie, nous nous référons toujours à un corps, à quelque chose d’observable et de tangible, auquel est attachée cette réalité. La vie est donc cette force qui anime intérieurement le vivant, une force qui tient une place prépondérante dans les écrits théologiques, et intéresse également la pensée métaphysique. Une fois la pensée cognitive a stipulé une théorie sur ce qu’est ou sur ce que devrait être la vie, l’homme tentera de la gouverner à sa guise. La connaissance de la vie offre-t-elle un droit pour la dénaturer ? Cette problématique sera résolue en trois parties distinctes : en premier lieu, rien n’empêche la pensée de connaître la vie selon ses capacités d’appréhension ; en second lieu, la vie détient un statut qui génère l’existence sans dépendre d’autres forces extérieures ; et pour terminer, les sciences de la vie procurent des lois qui gouvernent la nature, auxquelles il importe de laisser intact.
I) La liberté de l’esprit humain le propulse à connaître et à signifier
Parmi toutes les sciences qui ont été créées, nous dirons sans hésiter que la médecine est la plus prestigieuse. Elle dépasse même la biologie car cette dernière n’a pas pour but ultime de conserver la vie. Certes, les premiers médecins et les contemporains d’Hippocrate n’étaient pas allés aussi loin dans la formulation des lois gouvernant le corps humain, mais étaient certainement excellents dans l’application des remèdes empiriques. La médecine n’échappe donc pas à cette révolution intellectuelle apportée par la science physique, telle qu’il est expliqué dans la Critique de la Raison pure de Kant : « Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginé d’après ces principes ». Etant donné que la physique est la première science qui a obtenu le statut d’objectivité, sa démarche a été érigée comme le modèle par excellence de toutes les autres sciences. Cependant, un problème épistémologique se pose de manière pertinente dans le domaine des sciences de la nature, notamment avec les tentatives de classification. Mais la biologie a pu se démarquer en adoptant une démarche originale qui a su tenir compte de la nature particulière de son objet. C’est ainsi que l’esprit laisse apparaître toute sa force et sa liberté, en dépassant le désordre apparent de la nature. D’après cette citation de Hegel, stipulant : « La fin de toute science véritable consiste en ce que l’esprit se retrouve lui-même dans tout ce qui remplit le ciel et la terre. Il n’y a pour l’esprit d’autre objet que celui-là », la science recherche cette unité fusionnelle avec son objet, mais il serait encore prétentieux de notre part de déclarer ce but déjà atteint. Et même si l’esprit n’y parvient pas, même si les critiques fustigent de tout part pour dénoncer la partie subjective à l’intérieur des sciences naturelles, la raison peut très bien prendre sa défense en avançant la liberté de la pensée pour créer des modèles de compréhension du réel. En dehors de la raison, celle-ci étant présidée par la philosophie, il n’y a point instance supérieure qui puisse mieux la connaître et juger sa démarche. Rappelons que la théorie la plus objective s’édifie sur des évidences dont l’objectivité ne peut être prouvée. En tout cas, les sciences de la vie n’échappent pas à la falsification expérimentale, souligné par Karl Popper dans La logique de la découverte scientifique : « Nous choisissons la théorie qui se défend le mieux dans la compétition avec d’autres théories, celle qui, par la sélection naturelle, prouve qu’elle est la plus apte à survivre ».
La biologie remplit toutes les conditions qui font d’elle une science à part entière, malgré le statut très particulier de son objet. Avec tous les efforts que cette science a pu réaliser, il existe encore des difficultés conceptuelles qui débordent du cadre de l’expérience scientifique. Notre connaissance de la vie s’arrête donc à un seuil où notre interrogation ne peut franchir.
II) La vie est l’objet de science le plus étonnant
S’il s’agit de décrire la nature, l’artiste sera peut-être le mieux placé pour le faire, en nous emportant dans une vague d’émotions et de sentiments. Le biologiste en est également capable, mais tels que ses outils conceptuels le lui permettent. Sans insister sur les limites de la connaissance scientifique, nous orienterons la discussion sur la destination certaine de toute forme de vie, à savoir la mort. La mort ne peut pas être assimilée au néant, car ce qui reste après la mort, c’est la dégénérescence du corps : on peut dire alors qu’il y a toujours quelque chose. Et cette chose, c’est la même qui fut lorsqu’il y avait encore de la vie, c’est le même corps. Et pourtant, une fois la vie ôtée, cette matière cesse d’être l’objet de la science de la vie. Leibniz l’a fait remarquer dans Principes de la nature et de la grâce fondés en raison : « Comme les animaux généralement ne naissent point entièrement dans la conception ou génération, ils ne périssent pas entièrement non plus dans ce que nous appelons mort ». D’un point de vue épistémologique, il est difficile de circonscrire fidèlement l’objet d’étude de la biologie. Certes, la mission des médecins est tout à fait héroïque, dans le fait de vouloir préserver la santé, mais ils ne connaissent pas la vie. Les médecins savent décrire ce corps animé par une énergie intérieure, cependant ignorent l’essence même de cette énergie. Parallèlement le vivant possède tout le contrôle sur son être et ses mouvements tendent naturellement vers sa conservation, or, inséré dans un milieu favorable avec des ressources suffisantes, ses facultés s’épuisent au fur et à mesure pour mourir par la suite. Schopenhauer, dans Le monde comme volonté et comme représentation, souligne : « Sans doute, au sens de l’homme, par la naissance, sort du néant, il est ramené au néant par la mort. Mais apprendre à connaître dans sa nature propre ce néant, voilà ce qui serait intéressant ». Pour connaître la vie, il importe donc de se tourner vers la mort qui présente des dimensions tellement vastes qu’il faut l’aide de la philosophie pour l’étudier. Cela signifie que le biologiste ne doit pas être étranger à la notion de la mort, sans l’avoir expérimenté, car c’est le corrélat nécessaire de la vie. Cependant, en restant dans le cadre de la biologie, il est tout aussi impossible que insensé de continuer à étudier le vivant après sa mort. En effet, aucun esprit ne peut saisir ce grand vide infini, sauf de manière superficielle. En conséquence, nous ne pouvons parler de la connaissance de la vie, car cette dernière se comprend selon des dimensions plutôt philosophiques. Ce passage de l’ouvrage De la nature de Lucrèce l’atteste clairement : « Car c’est d’éternité qu’il est question, non pas d’une seule heure ; il s’agit de connaître ce qui attend les mortels dans cette durée sans fin qui s’étend au-delà de la mort ».
Malgré les avancées notables de la biologie et de la médecine, la cessation inévitable de la vie demeure une énigme qui intéresse particulièrement les philosophes. A cause de ces parties demeurant obscures concernant la vie, il requiert beaucoup de réflexion de notre part pour se prononcer avoir le droit de manipuler le vivant.
III) Agir ou ne pas agir sur le vivant est une affaire de choix éclairée par la raison
Comme toute science, la biologie aura toujours à rectifier ses théories grâce au perfectionnement de ses outils et à l’observation de phénomènes naturels qui ne concordent pas avec la théorie existante. Reculant pas à pas les limites de l’inconnu, l’homme connaît également les possibilités qui s’offrent à lui en possédant et en transformant la nature. Or, en termes d’efficacité, il est peu probable que l’homme aboutisse à ses desseins, car la nature n’est pas quelque chose d’inerte et de prévisible, mais réagit aux actions extérieures qu’elle subit. Cet extrait du Monde animaux et monde humain écrit par Jakob von Uexküll nous montre la pertinence du questionnement concernant la vie : « Le biologiste en revanche se rend compte que cet être vivant est un sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre (…) On ne peut donc le comparer à une machine mais au mécanicien qui dirige la machine ». Pour mieux interpréter ce passage, orientons notre réflexion sur les difficultés à résoudre les problèmes en bioéthique, qu’il s’agisse de l’humain ou des animaux. Si la discussion s’oriente essentiellement sur le droit, elle se base surtout sur des définitions les plus exactes possibles sur le vivant en question. Même pour le cas des humains où le droit est une affaire de convention collective, il est encore très délicat de délibérer et d’appliquer le respect de la vie humaine dans toutes ses formes. Même en insérant la notion de personne dans le débat, le droit de disposer de sa vie devient encore plus compliqué, il est des vies qui ne sont pas définies par la personne. Ayant la volonté de respecter la vie, les penseurs en bioéthique peuvent ne pas parvenir à un terrain d’entente. C’est en ce sens que Luc Ferry disait dans son ouvrage Pouvoirs : « Ce qui est clair, en toute hypothèse, c’est que la vie elle-même ne saurait nous fournir naturellement les critères qui permettraient de répondre à la question posée ». En tant qu’homme, nous aspirons naturellement vers la connaissance, ne serait-ce que par le pur plaisir de savoir. Mais la science, avec ses brillantes théories, ne nous apporte pas assez d’éclairage pour décider si nous devrions respecter la vie ou pas. Et pourtant, l’humain le moins instruit saura par intuition qu’il est en son avantage de respecter le vivant, que ce soit via sa propre personne qu’envers l’environnement naturel qu’il côtoie. Descartes disait d’ailleurs dans Méditations métaphysiques : « Et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté l’augmentent plutôt, et la fortifient ».
Conclusion
En introduisant la médecine dans l’arène des sciences, l’humanité a fait un pas de géant dans la transformation de la société, mais surtout en écartant les mythes et les croyances qui étaient jusqu’alors l’explication fournie sur le grand mystère du corps humain. Ainsi, la biologie et la médecine opèrent sur la nature selon le même raisonnement que celui de la physique, tout en sachant que son objet se déploie en des formes et des diversités inimaginables. En optant pour un autre angle de vue, la vie est ce qui détermine l’existence, et ouvre des problèmes que seule la métaphysique peut répondre, à savoir l’être et le non-être. La science et l’éthique n’évoluent pas dans un terrain commun, cependant ces deux disciplines peuvent inciter la volonté de l’homme à respecter la vie. La connaissance du vivant n’est pas nécessairement dans le but de vouloir la détruire, avec de la volonté elle peut coexister avec l’éthique. Peut-on attribuer sans limites le droit à la vie ?