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La liberté mène-t-elle nécessairement au bonheur ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’homme a créé diverses institutions et règles pour régir le vivre en commun avec ses semblables, mais il a également établi des rangs sociaux qui définissent les droits auxquels chacun peut s’attribuer. Un environnement sain assure en effet de l’épanouissement de l’individu, que ce soit pour ses possibilités à fonder une famille ou dans le développement de ses capacités professionnelles. Une fois cette base fondée, il fera certainement l’expérience de la liberté, et peut donner un sens à sa vie. Toutefois, l’homme hésite à se proclamer heureux, même s’il est financièrement nanti et estimé par son entourage. « L’un se précipite hors de sa riche demeure, parce qu’il s’ennuie d’y vivre, et un moment après il y rentre, car ailleurs il ne s’est pas trouvé mieux », constate Lucrèce dans son ouvrage De la nature. Il est d’une évidence telle que la liberté ne procurera aucune satisfaction si elle ne s’accompagne pas des moyens élémentaires pour assurer sa subsistance. Tout au plus, cette liberté devrait permettre à ses capacités de se déployer pleinement et, pourquoi pas, à se rendre compte par lui-même que la liberté est un bien primordial qui précède le bonheur. Le passage de la liberté au bonheur se reconnaît-il à travers la pensée, et devra-t-il s’observer dans les actions ? Cette problématique sera élucidée en trois paragraphes distincts où, dans une première partie, nous expliquerons que le concept de liberté découle naturellement de la raison ; dans une seconde partie, nous étayerons le fait que la liberté offerte par la société est conditionnée par divers paramètres ; et dans une troisième partie, nous conclurons par l’affirmation selon laquelle la promiscuité entre la liberté et le bonheur n’est possible qu’en sachant apprécier soi-même et les choses en leurs justes valeurs.

I) La conscience de la liberté donne sens à l’existence humaine

Étant une notion centrale dans la réflexion philosophique, la liberté caractérise principalement le potentiel de la raison, et cette dernière transfère également cette force à l’agir humain pour pouvoir la légitimer. Même si le sujet est pourvu de conscience, et a conscience de sa misérable condition, il ne peut s’élever en tant que pourvoyeur de connaissance s’il n’est pas libre de penser et libre dans sa pensée. Certes, on ne peut pas observer la liberté de manière indépendante, nous n’avons affaire qu’à des objets en mouvement, à des humains mettant en œuvre leur projet. L’Esprit des lois de Montesquieu fait cette remarque : « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes) dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté ». En guise d’illustration, si je suis emprisonné dans une cage en fer, mais je crois dans mon for intérieur que je suis étalé sur le sable chaud au bord de la mer, je ne peux pas affirmer qu’effectivement je suis libre. Ma libération n’est alors qu’une illusion, sauf si les barreaux s’ouvrent réellement pour que je m’y échappe. La conscience de la liberté se reflète également à travers une situation où je suis soumis volontairement à quelqu’un ou à quelque chose, sans que je sois offensé ou que j’aie perdu ma dignité. J’ai conscience que la situation en apparence contraignante est le résultat d’un choix libre et éclairé, et que j’ai opéré par ma volonté de m’y astreindre. C’est pourquoi Descartes affirmait dans Les Passions de l’âme : « La volonté est tellement libre de sa nature, qu’elle ne peut jamais être contrainte ». Intimement liées, la volonté et la liberté sont complices dans un passage du désir à son accomplissement. Autrement dit, la liberté conçue par la pensée donne une force légitime à la volonté pour réaliser une action. Ainsi, c’est la pensée qui conçoit préalablement que je suis libre de penser et que je suis libre d’agir. La volonté, pour sa part, est l’exercice même de cette liberté, quels que soient les obstacles qui entravent sa réalisation. Certes, l’homme a conscience des nécessités que la nature lui impose, ce qui détermine ses limites et ses probabilités de réussite. Mais sans cette lutte qui est effectuée par sa volonté, la liberté n’aurait plus de sens, car être libre c’est pouvoir agir malgré les contraintes. Et le fait de vouloir, c’est avant tout la liberté de vouloir. Schopenhauer décrit la volonté dans Le monde comme volonté et comme représentation selon ces termes : « Le concept de volonté est le seul, parmi tous les concepts possibles, qui n’ait son origine dans le phénomène, dans une simple représentation intuitive, mais vienne du fond même, de la conscience immédiate de l’individu, dans laquelle il se reconnaisse lui-même, dans son essence, immédiatement ».

La liberté humaine est la source de sa volonté, et les actions qu’il réalise n’ont de consistance que s’il est opéré dans la conscience de la liberté. Cependant, les œuvres de l’homme, aussi géniales qu’elles soient, procurent une sensation de frustration qui ternit la conception de sa liberté.

II) La liberté offerte par la société est seulement en apparence

Régis par le droit et le devoir, les rapports entre les hommes au sein d’une communauté ne peuvent s’établir en termes d’égalité. L’inégalité n’est pas un problème en soi, toutefois l’individu aura tôt ou tard conscience qu’il est soumis dans un système aliénant, qui le fait plonger dans des conditions auxquelles il est obligé de se soumettre. Cela se constate notamment dans l’organisation économique de la société, ce qui est gouverné par le système capitaliste. On peut même remonter l’explication à ses origines, notamment dans la division du travail. Adam Smith explique dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations : « C’est du travail d’autrui qu’il lui faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi, il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il sera en état d’acheter ». En d’autres termes, l’homme est obligé de travailler, parce qu’il ne peut pas créer par lui seul toutes les richesses dont il a besoin. Or, la division du travail appliquée par la société ne met pas les travailleurs sur un même pied d’égalité : certaines tâches sont mieux payées en termes de valeur de marchandise, et d’autres procurant une valeur bien moindre. Ainsi, la volonté du travailleur à s’atteler à son labeur, qui est intérieurement alimenté par son désir de s’enrichir, se trouve alors assombrie par cette fatalité. Le salaire que perçoit le travailleur se réduit seulement à sa subsistance, mais il est contraint de travailler pour survivre. Karl Marx souligne dans Le Capital : « Le domaine de la liberté commence seulement là où cesse le travail qui est déterminé par la nécessité et la finalité extérieure ; d’après sa nature, ce domaine se situe donc, au-delà de la sphère de la production à proprement parler matérielle ». Une fois que le travailleur a conscience qu’il n’est pas libre, que son travail n’est plus le fruit d’une invention par ses mains ou par son esprit, mais la course pour atteindre une certaine quantité de production, alors sa volonté de travailler cessera. Et puisqu’il ne se sent pas libre, il aura conscience que ses actions n’ont aucun sens. C’est à travers le monde du travail que l’expérience de la liberté devient plus concrète, pour pouvoir penser véritablement s’il est possible d’être libre tout en étant un élément fidèle de la société. En effet, il est très facile de penser librement, notamment en nageant à contre-courant des idéologies dominantes. Cependant, transformer cette liberté de penser en liberté d’agir est quasiment une utopie. Voici un passage du Qu’est-ce que la propriété de Pierre-Joseph Proudhon qui illustre l’impossibilité pour le travailleur de changer sa condition : « Le salaire du travailleur ne dépasse guère sa consommation courante et ne lui assure pas le salaire du lendemain ; tandis que le capitalisme trouve dans l’instrument produit par le travailleur un gage d’indépendance et de sécurité pour l’avenir ».

Tel qu’il est observé dans les faits, le travail n’a plus de sens car il supprime la liberté du travailleur à vouloir s’affranchir du système exploitant du capitalisme. Il n’y a jamais eu de bonheur en se sentant esclave, ce qui signifie que le bonheur s’acquiert uniquement à travers l’épanouissement personnel.

III) Il est difficile d’acquérir la liberté, et encore moins le bonheur

En parlant de liberté, nous faisons référence à un sujet doté de conscience, placé parmi d’autres consciences qui lui sont analogues. Sachant que la liberté se comprend toujours par rapport à quelqu’un ou à quelque chose, nous avons tort de penser que la solitude pourrait nous offrir la liberté. Dans un cas plus concret, la société est le seul milieu où l’individu peut se procurer sa subsistance, tout en tenant compte des rapports de force conditionnant le travail. Sachant que le travailleur mène une existence sans liberté, il ne peut non plus y trouver son bonheur. Dans L’idéologie allemande de Marx et Engels, il est écrit : « C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif qui amène l’intérêt collectif à prendre, en qualité d’Etat, une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire ». Ainsi, les règles établies par la société, quels qu’en soient les domaines de son application, ne sont pas profitables pour les classes inférieures. L’individu n’est alors jamais assez libre pour être heureux, tant qu’il espère quelque chose de la part de la société. La forme de bonheur possible se conçoit par conséquent dans le cadre l’art, la religion ou encore la philosophie. Ces activités ont pour caractère commun l’expression d’un esprit libre, pouvant se dévier des formes ordinaires et communément admises par la société. Pour la religion en particulier, l’individu reçoit la révélation divine comme étant une explication suffisante pour pouvoir guider sa vie. Cet extrait de Questions I écrit par Heidegger traduit fidèlement la spécificité de la philosophie face aux préoccupations accablant ce monde : « La philosophie de son côté ne peut réfuter le sens commun puisque ce dernier est sourd à son langage. Bien plus, elle ne saurait même avoir l’intention de le réfuter car le sens commun est aveugle à tout ce qu’elle propose de regarder comme essentiel ». Le bonheur offert par la méditation philosophique et la création artistique n’est pas un bonheur apparent : au contraire, il nous élève vers notre véritable condition humaine, c’est-à-dire la liberté de se préoccuper des choses non vitales. En recourant à ces disciplines, nous retrouvons pleinement le sens de la définition de la liberté, qui est de s’appliquer à des activités s’accordant avec notre volonté, dénuée des préoccupations sociales. Il existe alors une sorte de bonheur qui est tout à fait compatible avec notre nature raisonnable, bien que celui-ci consiste à se résigner que le bonheur est impossible à atteindre. La philosophie et l’art ne sont pas une échappatoire contre les maux de l’existence, ils servent plutôt à éclairer notre entendement sur la véritable nature du bonheur et de la liberté. Cet extrait de L’utilitarisme de John Stuart Mill l’illustre clairement : « Un être d’aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu’il peut viser, quel qu’il soit le monde étant fait comme il l’est, est un bonheur imparfait ».

Conclusion

Pour conclure, c’est la liberté qui fait que l’homme possède un statut de sujet et non d’objet. Néanmoins, cette pensée de la liberté ne peut pas demeurer dans le seul cadre de l’imagination, mais devrait être effective dans la réalité. En se focalisant dans le domaine socio-économique où s’opère réellement la notion de liberté, l’on constate que la répartition des richesses dans chaque type de société est caractérisée par la division du travail. Dans un sens général, la liberté est une condition nécessaire pour atteindre le bonheur, et pourtant il n’existe pas de liberté qui soit totalement affranchie des poids sociaux. Par conséquent, seule la liberté fournie par la philosophie, la religion et l’art, peuvent nous guider vers un type de bonheur spécifique. Pour leur part, les hommes du commun se satisfont à combler des désirs illimités. A-t-on le droit de se mentir à soi-même pour être heureux ?

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