Dissertations

Peut-on penser le réel en dehors de la science ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’homme et le monde présentent une relation intrinsèque à travers la pensée, mais également l’expérience au quotidien qui offre une familiarité ou une sensation d’évidence. Le ce qui est ne dépend pas de l’homme, c’est-à-dire du sujet connaissant, mais connaître ce qui est, c’est un acte qui relève entièrement de l’homme. Par ailleurs, être dans le monde n’implique pas nécessairement de connaître le monde, ce qui signifie que le processus de connaissance relève entièrement de la liberté du sujet connaissant. Georges Canguilhem a fait ce constat dans son ouvrage La connaissance de la vie : « La connaissance consiste concrètement dans la recherche de la sécurité par réduction des obstacles, dans la construction de théories d’assimilation. Elle est donc une méthode générale pour la résolution directe ou indirecte des tensions entre l’homme et le milieu ». En analysant ce passage de plus près, il stipule qu’il n’y a pas de processus de connaissance exécuté dans une pure neutralité, mais se rapporte toujours dans sa cause ou sa connaissance vers le côté matériel et vital de l’homme. Cela dit, la science est la forme de connaissance la plus pertinente qui soit créée par l’humanité, et dont la validation se mesure par un principe solide qui est l’universalité de la raison. Les autres formes de connaissances possèdent-elles la même vérité et la même utilité que la science ? Pour traiter de cette problématique, nous ferons une analyse en trois phases : en première partie, nous expliquerons en détail ce qui fait la particularité de la science ; en seconde partie, nous étudierons les autres approches non scientifiques et de leur véracité ; et pour terminer, nous conclurons par le constat selon lequel le monde peut être représenté de différentes manières, tant que le résultat servira à conserver la vie.

I) La science connaît le réel par les principes de la raison

Pour pouvoir affirmer qu’il y a science, il faut d’abord qu’il possède un objet d’étude bien défini. Cependant, il existe une autre catégorie réservée aux sciences de l’esprit, étudiant la nature propre à la pensée. Ce type de connaissance intervient particulièrement dans les sciences dites expérimentales, pour leur servir de langage et élaborer des modèles de compréhension du réel. Par conséquent, la science considère d’une part son objet, et d’autre part une méthode d’approche issue de la raison. C’est en ce sens que Kant explique la formation des concepts scientifiques : « Toute notre connaissance commence par les sens, passe de là à l’entendement et s’achève dans la raison, au-dessus de laquelle il n’y a rien en nous de plus élevé pour élaborer la matière de l’intuition et pour la ramener à l’unité la plus haute de la pensée ». Ainsi, l’objet est saisi à l’intérieur de la moule de la raison, selon ses catégories universelles qui peuvent s’appliquer à différents contenus particuliers. Puisque le processus a débuté par les sens, la connaissance qui en résulte présente donc une matière qui lui est propre, ainsi qu’une forme qui permet de le comprendre par le biais de la raison. Et sachant que l’usage de la raison relève entièrement de la volonté de l’homme, les intentions quant à l’usage de ces théories ne seront jamais épurées de son côté pragmatique. L’homme, en tant qu’être vivant et existant dans le monde, choisira donc volontiers à utiliser les fruits de la science dans le côté matériel. Descartes a dès le début discerné cet aspect avantageux  de la science dans son Discours de la méthode : « Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent ». Cette remarque ne concerne pas seulement la physique, mais également tous les domaines de recherche qui proposent des objets d’études concrètes. La rationalité de la science étant prouvé, il est sans contredit que son application dans la vie quotidienne a carrément transformé le cours de l’humanité. En effet, cette rationalité n’acquerrait pas autant de prestige si elle ne conduisait pas à une véritable utilité qui est plus qu’observable. Les scientifiques, mais surtout le commun des hommes, appliquent alors un jugement cohérent concernant la science, c’est-à-dire ne se limitant pas seulement à l’observer dans ses principes, mais scrute ses résultats dans l’objet lui-même. En effet, la pensée possède tout le pouvoir d’élaborer différents concepts, aussi rationnels et universels qu’ils soient, mais demeurant sans relation et sans effet avec le monde existant. C’est pourquoi Alain a souligné dans Les Idées et les Âges : « Il n’est pas vrai que deux et deux fassent cinq. Il n’est pas vrai que la somme des angles d’un triangle plan diffère de deux droits. Mais il faut aussi remarquer que ces idées, qui seraient fausses, ne sont rien du tout ».

La science se reconnaît dans sa scientificité, mais également dans ses apports non négligeables dans l’amélioration du quotidien des hommes. Force est de constater que la science coexiste avec d’autres formes de connaissance qui obtiennent valeur de vérité aux yeux de la masse, mais des fois aussi chez les individus bien instruits.

II) L’homme comprend le monde selon diverses formes d’appréhension

Il n’est pas vrai que depuis l’existence des premiers scientifiques, le monde se serait converti à la croyance totale à la raison. On constate que les troubles et conflits dans la société prennent en effet leur source dans le fait que les hommes ne sont pas tous et toujours raisonnables, mais aussi certains principes de la pensée rationnelle sont trop rigides pour pouvoir s’appliquer à la nature humaine. La question que nous traitons ici n’est pas d’ordre social, mais plutôt conceptuel, afin d’élucider le fait tel que l’homme accepte des propos concernant le monde qui dépassent les formes raisonnables de l’entendement. Cet extrait du Dictionnaire philosophique de Voltaire le formule clairement : « Peut-il exister un peuple libre de tous préjugés superstitieux ? C’est se demander : peut-il exister un peuple de philosophes ? ». Et pourtant, il est des hommes et des femmes qui adhèrent à cette vie religieuse par sa propre volonté, et trouvent la béatitude à travers ces principes qui leur édictent une vie ascétique et à cette dévotion au culte des divinités. En effet, toute religion est  représentation harmonieuse du monde, ce qui inculque une forme de sagesse soumettant l’homme aux forces des divinités. Bien que dépourvus de preuve rationnelle, ces propos sont incorporés parce qu’ils concordent avec les aspirations intérieures pour l’éternité et pour une qualité de vie pleine de moralité. Pascal disait d’ailleurs dans ses Pensées : « Les saints ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin de grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux : Dieu leur suffit ». Autre illustration très proche, la société impose un mode de vie communautaire, d’une part selon des règles et des lois écrites, et d’autre part par les valeurs et les croyances communément admises. Ces dernières n’ont pas besoin d’être validées par la raison pour être acceptées, elles ont déjà fait leurs preuves depuis des générations successives pour réguler et harmoniser la vie des membres de la société. Nous savons très bien, même s’il n’a pas encore été prouvé dans l’expérience, que l’homme solitaire ne peut survivre : la société, même dans ses plus petites imperfections, parvient à rendre l’homme utile et épanoui. « Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme », constate Jean Jacques Rousseau.

La société, la religion ou encore les mythes sont autant de représentations du monde qui ont valeur de crédit aux yeux des hommes, et que la science ne peut effacer ou occulter. En faisant une brève comparaison entre la science et les autres connaissances non rationnelles, ces deux entités ont toujours coexisté et continueront de modeler l’humanité à leur façon.

III) Il est possible de penser le réel en dehors de la rationalité

Les fruits de la science ont connu un franc succès ces dernières décennies, et ont carrément conditionné leur manière de penser et d’agir. Cela signifie que la pensée rationnelle n’est pas une pure abstraction, mais offre des preuves tangibles quant à leur efficacité dans la vie des hommes. Rappelons que la science est avant tout un modèle de compréhension du monde, ce qui signifie une conception qui est inspirée de la nature même de la pensée. En effet, les scientifiques, avant même de découvrir l’efficacité de leur processus, croient à la science, c’est-à-dire aux premiers postulats et à la cohérence des méthodes de vérification. C’est à travers cette vérité bien établie que la science acquiert avant tout une valeur universelle. Cette thèse est appuyée par Spinoza selon ces termes : « Je laisse chacun vivre selon sa complexion, et je consens que ceux qui le veulent meurent pour ce qu’ils croient être leur bien, pourvu qu’il me soit permis à moi de vivre pour la vérité ». Parallèlement, la pensée a le droit et la liberté de contrer la raison, de faire un critique envers sa nature, pour ériger la liberté de l’homme dans son agir, mais surtout celle de l’esprit. Ainsi, la pensée est orientée par deux mobiles, à savoir la vérité et la liberté. À travers ce choix, seule la volonté de l’homme l’emporte, et nul ne peut le juger même s’il ne considèrera point l’efficacité de ses actes. En effet, la pensée ne peut se valoir comme pensée que seulement si elle est libre, donc elle peut même se libérer de sa propre nature qui l’encercle dans les limites de la raison. Hormis la liberté, il y a la vie : comment pouvoir penser et persister dans la pensée, aussi belles que soient les maximes qu’elle débite, si la vie n’est pas conservée ? C’est pourquoi Nietzsche disait dans Le livre du philosophe : « La vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités ». Certains objecteront que la pensée n’aura aucune valeur si elle n’est porteuse de vérité. Cependant, la question de la vérité est une notion qui se rattache intimement avec le système à l’intérieur duquel elle a été conçue. Pour rester dans un terrain pragmatique, le jugement de la vérité d’un propos ne peut se faire qu’avec des preuves extérieures, exceptionnellement pour les sciences de l’esprit. Pourtant, le choix de penser autrement ne provient pas nécessairement du constat selon lequel une vérité n’a pas été prouvée, mais des facteurs souvent extérieurs à la pensée, mais pourtant validés. Comme l’atteste Sigmund Freud dans son ouvrage L’avenir d’une illusion : « Les idées religieuses qui professent d’être des dogmes, ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts les plus pressants de l’humanité ».

Conclusion

Ramifiée en divers domaines d’investigation, la science se définit à travers une méthode d’approche qui lui est propre, ce qui est étroitement corrélé à la nature de son objet. Ce qui fait la force de la science réside donc dans cette appréhension de la réalité, et ne demeurant point dans la pure spéculation. Et pourtant, la superstition est un fait courant dans nos sociétés modernes, ce qui est représenté par l’ensemble des croyances religieuses et des rituels qui édictent des pratiques qui nuisent à la liberté de l’individu, mais surtout elle va à l’encontre de la pensée raisonnable. Cela dit, l’homme ne se limite pas à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, il relève également de sa nature de dépasser l’urgence de la vie matérielle pour donner un sens à ce qu’il fait. En somme, l’homme peut penser le réel par la science ou en dehors de la science, il lui revient en conséquence de juger de la vérité de ses propos. La science a-t-elle le droit de se dénaturer pour servir les causes de l’humanité ?

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