Dissertations

Faut-il faire l’éloge de la science ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Notre époque actuelle, considérée comme étant sous le règne de la modernité, a fait fleurir toute une panoplie d’inventions technologiques. Faisant intégralement partie de notre quotidien, ces outils conditionnent désormais notre façon de penser, de nous comporter les uns envers les autres ainsi que notre approche vis-à-vis de notre milieu. La science, un mot assez courant et compréhensible par tout un chacun, a pourtant perdu son sens originel à cause de son usage de plus en plus pragmatique. Pour penser la science, la philosophie n’a pas besoin de creuser loin dans des questions d’ordre moral, il suffit qu’elle fasse une comparaison à travers le temps, depuis l’apparition des premiers physiciens jusqu’à la vulgarisation actuelle de la digitalisation du monde. « La technique mécanisée reste jusqu’ici le prolongement le plus visible de l’essence de la technique moderne, laquelle est identique à l’essence de la métaphysique moderne », constate Heidegger dans L’époque des conceptions du monde. Cela signifie que derrière le développement de ces outils perfectionnés repose tout un mode de pensée qui a toujours accompagné la science, mais qui reste occulté. En posant la question s’il importe de mettre la science sur un piédestal, et de la tenir comme instance qui gouverne notre société, il faudrait revenir à cette essence de la science, et de se débarrasser de ces artifices qui se prétendent être ses attributs. Sur quelle base peut-on considérer la science comme étant un pilier de l’humanité ? La résolution de cette problématique exige une analyse en trois phases : premièrement, la science signifie un ensemble de théories sur le réel et basé sur des hypothèses vérifiées ; deuxièmement, la technologie résulte de la volonté de l’homme à accentuer son confort et son pouvoir sur la nature ; et troisièmement, on ne peut émettre des propos élogieux envers la science, en se basant sur le développement technologique.

I) Les premiers scientifiques ont établi des lois et des théories sur leur objet

Avant d’être reconnu par un large public, la science a déjà effectué de travaux notables, que ce soit chez les mathématiciens de l’Antiquité ou les physiciens de l’époque de Galilée. Pour le cas précis des sciences expérimentales, notamment qui rendent compte d’un objet observable, la méthode d’approche est restée fidèle dans un canevas précis, à savoir la création des outils d’expérimentation et l’utilisation du langage mathématique. Le but est alors de déduire une loi constante sur le phénomène, demeurant valide dans n’importe quel cadre spatio-temporel, et toujours avec la présence des mêmes conditions d’observation. C’est en ce sens que la formule célèbre de Claude Bernard, tiré de son ouvrage Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, prend toute sa signification : « Il faut croire à la science, c’est-à-dire au déterminisme, au rapport absolu et nécessaire des choses, aussi bien dans les phénomènes propres aux êtres vivants que dans tous les autres ; mais il faut en même temps être bien convaincu que nous n’avons ce rapport que d’une manière plus ou moins approximative ». Cela dit, la science est science parce qu’elle est capable de dire quelque chose de manière rationnelle à propos de son objet, c’est-à-dire compréhensible universellement par une pensée objective. En d’autres termes, il s’agit d’une connaissance du réel, distincte des mythes recelant des propos obscurs ou des affirmations gratuites déduites de l’opinion confuse. La valeur de la science repose donc dans sa vérité, vérifiable expérimentalement et énoncée clairement à travers les définitions et des propriétés. Cette connaissance scientifique implique également la possibilité de prévoir, de modeler et de transformer son objet. Rappelons que ce pouvoir sur la nature fait partie des avantages du progrès de la science, tel qu’il est énoncé par Descartes dans son Discours de la méthode : « Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles , on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent ». Ces pratiques que nous fait miroiter la science, en nous libérant du joug auquel nous soumettent les limites de notre force corporelle, sont une conséquence inévitable imposée par notre survie. Cependant, les questions fondamentales que se sont posées les premiers scientifiques ne sont point le fait de prolonger davantage notre espérance de vie, ou encore de pouvoir voler dans les airs ou respirer sous l’eau. Tout comme le philosophe, c’est l’étonnement pur et simple qui l’a poussé à creuser dans ses investigations. Autrement dit, c’est le désir de savoir, l’amour de la connaissance, qui prévaut dans l’esprit des scientifiques, ce qui les pousse jusqu’à maintenant à peaufiner les théories via des expérimentations d’outils plus perfectionnés. Karl Popper a clairement expliqué cette caractéristique propre à la science selon ces termes issus de la Logique de la découverte scientifique : «  La théorie commande le travail expérimental de sa conception aux derniers maniements en laboratoire ».

D’après le précédent paragraphe, le domaine de la science est réservé à des investigations théoriques, les avantages pratiques qui en découlent proviennent seulement de la volonté de l’homme à exploiter ces résultats en ce sens. Pour le cas de la technologie, elle occulte actuellement la science en termes de prestige et de praticité.

II) Le concours du progrès scientifique et du profit capitaliste a fait fleurir la technologie

Nombreux sont ceux qui connaissent la science uniquement à travers l’existence des outils technologiques, ce qui est une erreur devant être rectifiée. Certes, nul ne peut ignorer les avancées des recherches scientifiques qui sont à la base de ces inventions, mais qui ont été privilégiées par rapport à d’autres parce qu’elles apportent un profit considérable. Ces mobiles sont donc essentiellement de nature économique et non intellectuelle et encore moins pour faire valoir la dignité humaine. Il suffit de se pencher sur les enseignements de Karl Marx dans le Capital pour s’en rendre compte : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité ». Cette illustration fait référence à des cas les plus élémentaires, à savoir la création de machines-outils, le développement des engrais fertilisants et des semences les mieux élaborées. Et pourtant, les produits reviennent aux capitalistes qui y ont investi, et non aux savants, aux artisans et encore moins à la plèbe. Si cet exemple renvoie à l’agriculture, un domaine vital pour la survie même de l’humanité, on peut également allonger la liste sur d’autres secteurs où la technologie a fait ses preuves, comme l’industrie pharmaceutique ou le transport. On remercie la technologie pour son côté confortable, et cette gratitude se projette également envers la science qui l’alimente, au point de concevoir ces deux notions en une seule. À proprement parler, la technologie est un dérivé de la technique, cette dernière qui a toujours été au service de l’homme indépendamment de la science. Oswald Spengler, dans L’homme et la technique, souligne : « La vie librement mouvante, dans sa généralité, comprend les tendances qui existent, latentes, en tant que potentialité. L’homme n’accomplit rien qui ne soit à la portée de la vie en général ». Ce passage laisse comprendre que, d’une part, l’homme ne reste pas passif à l’égard de la nature, mais, d’autre part, agit en tant qu’élément faisant partie intégrante de cet ensemble, sans jamais le contredire. Ces activités se déploient à travers la technique, qu’il s’agisse de la technique du corps ou de la création des outils qui sont le prolongement de son corps. La technique peut donc bel et bien servir l’homme sans recourir à la science, autrement dit sans connaître préalablement les lois qui gouvernent la nature et sans énoncer des formules mathématiques pour leurs prédictions. Alain a tout à fait raison de se prononcer en ces termes dans son ouvrage Les idées et les âges : « La technique des parquets ou des marqueteries n’a nul besoin de la preuve d’Euclide. Mais c’est l’esprit qui en a besoin ».

Il est vrai que la technologie doit son succès actuel aux progrès scientifiques qui sont eux-mêmes poussés par des motifs d’ordre économique. Cependant, on constate que la science inclut une valeur intrinsèque qui ne se reconnaît nullement via des artifices extérieurs de la technologie.

III) La science est un pur savoir, la technique se base plutôt sur l’expérience

À travers les précédentes comparaisons entre la science et la technique, cette dernière qui a évolué en technologie, nous pouvons faire la synthèse selon laquelle l’éloge porté à la science se confond généralement avec celle attribuée à la technologie. Mais pour ne parler proprement que de la science, il faudrait d’abord trouver sa valeur en l’épurant de ses relations avec la technologie. En retournant à la source, référons-nous à cette forme abstraite à laquelle la science a pu embrasser la multiplicité des phénomènes : « Un critère universel de la vérité serait celui qu’on pourrait appliquer à toutes les connaissances sans distinction de leurs objets ». Ce passage de la Critique de la raison pure de Kant renvoie à la logique et à la mathématique, qui sont les outils incontournables par lesquels opère la science. Étant purement des sciences de l’esprit, elles marquent le caractère de scientificité d’un énoncé. En ce qui concerne le rapport entre la mathématique et les sciences de la nature, ces dernières tirent leur valeur par le fait que les phénomènes sont décrits dans un langage mathématique. Par conséquent, une science se distingue par ce critère de vérité qu’elle contient, et qui prévaut en l’analysant rien qu’avec la pensée, sans recourir à la présence de l’objet. Edmund Husserl va plus loin en affirmant dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale : « C’est pourquoi il est erroné de la part des sciences de l’esprit d’entrer en compétition avec les sciences de la nature en vue d’obtenir une égale reconnaissance de droit ». En effet, s’il faut faire l’éloge de la science, ce sera à l’égard des sciences de l’esprit, c’est-à-dire à la logique et à la mathématique, car la pertinence des sciences expérimentales se base également sur la description des phénomènes via ce langage. S’il faut faire l’éloge de la science, il faudrait surtout éviter de se référer sur les exploits actuels de la technologie, car la science a toujours et déjà fourni ses preuves bien avant l’ère capitaliste. Sachons que la science est un savoir, et pour faire l’éloge d’un savoir, c’est dans la cohérence du langage et de son objet qu’il importe de se focaliser. Comme disait Robert Blanché dans L’axiomatique : « Un abstrait n’est dernier que provisoirement. Et il n’est jamais pensé seul, jamais présenté à l’esprit comme sur un tableau. Il n’apparaît que réalisé dans un modèle, fût-ce seulement le modèle symbolique ».

Conclusion

Ces deux derniers siècles ont été marqués par l’essor de la technologie, ce qui a occulté l’essence véritable de la science. Ayant fait ses preuves dans le domaine de l’industrie et le quotidien des hommes, la technologie est à proprement parler la technique appuyée par le progrès scientifique. La science, pour sa part, tire sa valeur par la pertinence de son langage logico-mathématique, tandis que la mise en application de ses découvertes résulte du choix et de la volonté de l’homme à changer son milieu. Sans la science, l’humanité serait restée dans une époque dominée par l’obscurantisme, sans avoir un guide certain pour connaître le monde et lui-même. Pour cela, faire l’éloge de la science est une chose tout à fait admirable, et ce, en tenant compte des perpétuelles rectifications opérées sur ses théories. Si la science est pointée du doigt pour les conséquences dégradantes de la technologie sur l’homme et le monde, ce sera plutôt à l’encontre de ceux qui font un mauvais usage de ses fruits. Peut-on exercer la science sans l’appliquer dans le domaine de la technologie ?

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Toute La Philo

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