Dissertations

Le bonheur est-il limité par le temps ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Les contenus des contes de fées et des scénarios de Hollywood laissent miroiter le bonheur à travers des personnages riches, beaux, courageux et pourvus de talents exceptionnels. Inspiré d’histoires vraies, mais également issu d’une imagination très créative, ce qui est raconté dans les livres et diffusé sur le petit écran reflète également l’inconscient de tout un chacun concernant l’idée du bonheur. Cependant, ce concept en apparence évident a fait couler beaucoup d’encres à travers l’histoire de la philosophie, et continue de nourrir la réflexion chez les apprentis philosophes. Ce passage du Fondement de la métaphysique des mœurs de Kant, au lieu de clore la discussion, suscite l’étonnement : « Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que malgré ce désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut ». Ceci est une remarque très pertinente, car le bonheur est à la fois difficile à ériger en concept aussi bien qu’à réaliser au quotidien. Toutefois, chacun a déjà expérimenté dans sa courte vie une part de bonheur qui lui est particulièrement mémorable. Cela dit, il n’est pas impossible de vivre heureux, mais le facteur temps s’impose pour rendre imparfaits ces instants. Et pourtant, la raison conçoit le bonheur comme étant une perfection sans entraves. Formulée en interrogation, la problématique s’exprime ainsi : le bonheur est-il synonyme d’éternité ? Pour étayer de long en large ce thème, adoptons un plan à trois parties : d’une part, les phénomènes qui se rapportent l’existence humaine sont en perpétuel écoulement ; d’autre part, l’essence du bonheur est de l’ordre de la métaphysique et dépassant le cadre temporel ; et pour terminer, il n’est jamais trop tard pour l’homme d’accéder au bonheur.

I) La vie de l’homme fait alterner la joie et la tristesse

L’homme est maître de sa destinée, il est responsable de ses actes et possède une certaine emprise sur le milieu naturel où il demeure. Cependant, il n’a aucune emprise sur le temps et la dégénérescence causée par celle-ci sur son corps et les objets de ce monde. Considéré comme un concept inné de la pensée, le temps devient toutefois une unité de mesure officielle qui conditionne le cours et l’évolution des phénomènes. De nature invisible, le temps suscite en nous des pensées angoissantes quant à notre devenir. Bien que la mort ne soit pas encore, l’homme pressent déjà ce grand vide à travers la souffrance mentale qu’il a déjà expérimenté dans le présent et dans le passé. Heidegger, dans L’être et le temps, décrit cette volonté de l’homme à masquer sa crainte de l’inévitable : « Cette mort qui, sans suppléance possible, est essentiellement la mienne, la voici convertie en un évènement qui relève du domaine public ; c’est à « On » qu’elle arrive ». En guise d’interprétation, ce ne sont pas uniquement les suicidaires qui pensent à la mort, mais également les hommes ordinaires, à l’intérieur de leurs préoccupations quotidiennes. Effectivement, la mort est le malheur suprême qui puisse arriver à l’homme. D’un côté, la volonté de limiter les plaisirs est donc intimement reliée à la conscience du temps, à savoir à la probabilité qu’un malheur peut survenir à tout moment. D’un autre côté, les moyens déployés par l’homme pour échapper à ces maux quotidiens, c’est-à-dire la fuite vers des plaisirs éphémères, sont également inefficaces. Cette idée est argumentée clairement à travers ce passage écrit par Lucrèce dans son ouvrage De la nature : « La brûlure des fièvres ne délivre pas plus vite notre corps, que nous nous agitions sur des tapis brodés, sur la pourpre écarlate, ou qu’il nous faille coucher sur un lit plébéien ». Certes, l’homme peut créer mille luxes et artifices, tels que ses moyens le lui permettent, pour agrémenter son quotidien. Il trouve également du plaisir à entretenir des liens amicaux avec ses semblables, or tout cela ne prévient pas la venue de la maladie, de l’infortune, de la guerre qui affectent sa vie psychologique et affective. Par conséquent, le degré de plaisir et d’émotion que nous ressentons ne sont pas destinés pour durer, et ce caractère fugace est le peu que celui-ci puisse qualifier de bonheur. Il n’y a pas d’autre signification assignée à la recherche du plaisir que celui de trouver le bonheur, bien que cette dernière soit marquée par le sceau de la finitude, tout comme le corps auquel il se rapporte. C’est pourquoi Sigmund Freud propose cette définition simple dans son Malaise dans la civilisation : « Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique ».

Que cela provienne de la nature propre à chaque objet du monde, ou bien comprise seulement dans la ligne continue du temps, on constate que le bonheur humain ne peut durer indéfiniment. Mais selon sa conception la plus originelle, la pensée accepte le fait que le bonheur est un sentiment dont les dimensions s’apparentent à l’éternité.

II) Le bonheur tend à envahir naturellement dans notre pensée

L’homme est le seul être qui a la capacité de concevoir le monde de manière intelligible, ce qui permet de donner du sens à son expérience vécue, et ce, même si l’objet auquel il pense n’est pas présent. Sans la pensée, l’homme serait plongé en tout anonymat et dans la pure facticité dans ce monde. En d’autres termes, il peut créer son propre monde à travers sa pensée, et coordonne également les phénomènes qui l’entourent en parallèle avec les concepts. En ce qui concerne le bonheur, cette notion n’est pas une pure invention du langage, mais traduit plutôt une réalité vécue, qui sera par la suite signifiée selon l’ordre de la pensée. « La possibilité est le principe de l’essence, la perfection est le principe de l’existence », disait d’ailleurs Leibniz dans De l’origine radicale des choses. Certains objecteraient qu’il y a une nette différence entre penser le bonheur et le vivre réellement, de sorte que les générations successives s’étaient attelées à la trouver, mais en vain. Il serait également précipité de notre part d’affirmer que les philosophes seraient les seuls hommes capables d’être heureux dans ce monde, parce qu’ils sont les seuls excellents dans l’exercice de la pensée. En cherchant l’essence du bonheur, nous sommes circonscrits dans le monde de la pensée. Ici, il n’est pas question de le délimiter a priori par le temps, car dans le monde des possibles, nous avons la liberté de concevoir que l’idéal du bonheur s’étend à l’infini. Ludwig Feuerbach souligne cette thèse dans son Principe de la philosophie de l’avenir : « Dans la pensée, je suis un sujet absolu ; je considère toute chose exclusivement comme objet ou prédicat de l’être pensant que je suis ; je suis intolérant ». Rappelons qu’il n’existe pas de bonheur tel qu’il existe matériellement un arbre ou une maison, car le bonheur est un état d’âme ressenti intérieurement par l’homme. Il se manifeste à travers des sensations corporelles et diverses situations, mais ne peut être assimilé totalement à celles-ci. En conséquence, ce sont ces choses existantes qui sont limitées dans et par le temps, quant au bonheur conçu en idée, il est clair que c’est dans son éternité que le concept s’impose à la pensée. Étant le bien suprême auquel l’homme aspire, rien ne peut le dépasser en termes de perfection. Et cette idée du bonheur n’est pas calquée sur des phénomènes rencontrés au hasard, mais émane de la pensée conceptuelle, à travers laquelle nous validons sa vérité. Comme disait Gilles Deleuze : « Le concept, c’est ce qui empêche la pensée d’être une simple opinion, un avis, une discussion, un bavardage ».

Une fois érigé en concept, le bonheur est ôté de son caractère ambivalent qui met en surface sa limitation dans le temps, pour lui donner un statut d’intemporalité. Il importe désormais d’ériger une synthèse entre cette idée du bonheur avec sa réalité au quotidien.

III) Le bonheur est plus réel lorsqu’il est en rapport avec le monde

On a longuement analysé les qualités à travers lesquelles on reconnaît le bonheur dans les faits, pour y consentir que nous ne puissions jouir de ces plaisirs que dans un temps limité. Bien qu’il nous soit impossible d’être éternellement heureux, cela ne nous empêche pas de poursuivre la quête du bonheur avec espoir. Par ailleurs, il existe également un plaisir durable qui ne se fie pas aux corps et aux passions, mais plutôt à la vertu, ce type de bonheur étant dépouillé de paramètres extérieurs au sujet pour être réalisé. En tout cas, tant que cette disposition procure une grande satisfaction de l’âme, on peut très bien la désigner comme une forme particulière de bonheur. « Quelle différence entre dire : « cela va mal pour moi, je n’ai rien à faire, je suis livré à mes livres comme un cadavre », ou dire : « cela va mal pour moi, je n’ai pas le loisir de lire ? » Tout comme salutations et charges se rangent parmi les objets extérieurs et indépendants de nous, également les livres ». Le bonheur ne dépend donc pas du temps, ce dernier étant simplement un corollaire de chaque être jeté dans le monde. Malgré cette enveloppe temporelle, cela n’empêche pas l’homme de bien vouloir le faire advenir le bonheur à la réalité. Et sachant qu’un concept vide, aussi parfait que soit son élaboration, ne peut servir à l’homme et à ce monde, il est donc nécessaire et légitime de faire son bonheur à l’intérieur de l’existence. Autrement, on tomberait dans un abus qui identifie l’être et la pensée, c’est-à-dire concevoir l’idée du bonheur comme étant génératrice de sa réalité. Cet extrait de L’air et les songes de Gaston Bachelard souligne également le passage du simple concept vers l’existence véritable : « Bientôt, au lieu de nous faire rêver et parler, cela nous fait agir. Autant dire qu’une image stable et achevée coupe les ailes à l’imagination ». À proprement parler, le bonheur vécu est le vrai bonheur, qu’il s’étale dans une durée à court ou à long terme. L’idée selon laquelle seul ce qui demeure mérite d’être considéré comme ce qui est, est une excuse pour fuir l’existence, afin de tout nier par la pensée. Or, ni la pensée ni le temps ne peuvent réduire à néant ce qui est, et encore moins le bonheur. Même si l’homme a besoin du concours de la mémoire pour imprimer les instants importants de sa vie, et même si les émotions ont perdu de leurs intensités une fois remémorées, ces instants vécus dans le passé seront toujours écrits comme étant du bonheur pur et simple. C’est ainsi que Jean-Jacques Rousseau décrit ses expériences dans ses Confessions : « Je ne vois plus rien dans l’avenir qui me tente ; les seuls retours du passé peuvent me flatter, et ces retours si vifs et si vrais dans l’époque dont je parle me font souvent vivre heureux malgré mes malheurs ».

Conclusion

Le changement caractérise principalement les objets soumis à la temporalité, un changement qui nous fait rappeler constamment le néant qui nous attend après la mort. Et même si la vie nous fait goûter à certains plaisirs du corps et à divers émotions qui transportent intensément notre être, la pensée de la mort, c’est-à-dire de la finitude, estompe ce moment de bonheur pour nous orienter vers la préparation de sa venue. En tout cas, penser le bonheur signifie qu’il est tout à fait possible de l’acquérir, bien que son effectivité dépende encore de divers paramètres. Penser le bonheur ne signifie pas que toutes les choses ont été créées pour former un monde enchanté. Mais en disposant de sa raison et de sa liberté, l’homme aura conscience que le temps est un simple voile qui ne change rien à la quête et à la réalité du bonheur. En analysant de près l’afflux des problèmes psychologiques, nous pouvons dire que la déception et la solitude en sont les principales causes. Peut-on être heureux en étant seul ?

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Toute La Philo

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