Dissertation de Philosophie (corrigé)
L’humain se caractérise essentiellement par son agir, la pensée demeurant une simple possibilité, une puissance, si elle n’est pas réalisée en acte. Ce qui apparaît dans l’agir humain est, d’une part, l’immédiateté de sa survie, et d’autre part, le reflet de sa conception et de sa connaissance du monde. Par ailleurs, l’homme possède la faculté pour juger de manière impartiale la moralité de son agir, et ce, indépendamment de ce que dictent les lois de la nature ou les théories scientifiques. Faire preuve d’humanité signifie dans le langage courant insérer un contenu moral à ses actes. Einstein a d’ailleurs compris ceci : « Les fondements de la morale ne devraient pas être dépendants d’un mythe ou liés à une quelconque autorité, de peur qu’un doute concernant ce mythe ou ayant trait à la légitimité de cette autorité ne mettent en péril les bases d’une action ou d’un jugement sains ». Quant à la science, elle dispose également d’un statut indépendant qui pousse ses adeptes à croire en ses postulats et ses théories. Parallèlement, les apports de la science dans l’édifice de l’humanité ne sont point négligeables, notamment pour ses découvertes, ses inventions et ses nombreux apports en matière de confort et de qualité de vie. Autrement dit, les fruits de la science conditionnent désormais le quotidien des hommes. Les impératifs de la science sont-ils alors plus importants que les préceptes de la morale ? Pour étayer ce sujet, nous adopterons un plan à trois parties : premièrement, l’on parlera de l’influence de la science sur l’agir et la pensée de l’homme ; deuxièmement, nous soulignerons le fait selon lequel la morale ne s’appuie pas sur l’efficacité pour être valide ; et troisièmement, nous conclurons que la science ne peut légiférer sur les autres domaines d’investigation de l’homme.
I) La science est un pont dressé entre l’homme et la nature
Étant jeté dans le monde, l’homme ne peut exister qu’en promiscuité avec le monde, ce dernier incluant tout ce qui se présente comme existant au même titre que son corps. Même pour les choses dépourvues de corporéité, l’homme a le pouvoir de le désigner comme faisant partie du monde. La science se donne comme champ de vision, langage, mais également pouvoir sur son objet. Cependant, elle est entièrement modelée par l’homme, et son évolution dépend entièrement de la volonté du scientifique. Condillac disait précisément dans La langue des calculs : « Créer une science n’est autre chose que faire une langue ». Grâce à la science, l’homme ne saisit pas le monde avec ses mains nues, mais plutôt par l’intermédiaire des outils techniques, depuis les ustensiles de cuisine les plus minutieux aux scanners les plus perfectionnés utilisés par les médecins. Pour les outils intellectuels, sachons que notre époque actuelle est caractérisée par la célérité de la circulation des informations, ce qui a transformé littéralement notre rythme de travail et notre accès à la connaissance. Les conséquences n’en sont point négligeables, ne serait-ce que pour ce sentiment de pouvoir de contrôle sur ce qui se passe dans le monde et sur notre corps même. Descartes, dans son Discours de la méthode, souligne en ces termes l’éclairage apporté par la connaissance : « Mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ». Par ailleurs, les spécialisations dans chaque domaine ne cessent de se diversifier, et ce, pour résoudre des problèmes bien spécifiques. Cela se traduit par le succès des sciences sociales et des sciences humaines qui, en apparence, décrivent les rapports entre les différents groupes d’individus, mais également permettent d’anticiper les comportements humains et d’améliorer la qualité des liens qui les unissent. Cependant, les sciences sociales n’ont pu aboutir à leur renommée actuelle sans l’appui des outils statistiques, et de même l’histoire et l’archéologie ont grandement besoin de l’appui des sciences naturelles et de la chimie. Sans jamais réunir les sciences en une seule et unique discipline, nous dirons plutôt qu’un phénomène donné ne peut être compris qu’à travers le concours de différentes disciplines. C’est pourquoi Georges Canguilhem et François Dagognet disaient dans Le Vivant : « Les vivants vivent, il faut voir comment ils vivent et ce « comment », c’est un comportement qui intéresse aussi bien le psychologue que le biologiste, le zoologiste et, aussi, le philosophe ».
En guise de synthèse pour le précédent paragraphe, la science ne se limite pas aux écrits et calculs édités dans des ouvrages volumineux, mais se met en acte dans la résolution des moindres difficultés de la vie courante. La morale, pour sa part, reste omniprésente dans les rapports humains, même si ses principes ne visent pas l’efficacité des résultats.
II) La morale distingue l’humain de l’animal
Pour définir l’homme, le philosophe doit tenir en compte de différentes facettes qui ne se limitent pas au domaine de la science. Certes, la survie de l’homme est assurée par sa maîtrise de la technique, appuyée par ses connaissances sur son corps et sur le monde où il vit. Cependant, ses actions sont guidées par la morale qui est la distinction entre le bien et le mal, ce qui prend source dans la conscience et vise à accomplir des actes selon la notion du devoir. Kant stipule clairement dans son ouvrage Fondement de la métaphysique des mœurs : « Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale, non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d’après laquelle elle est décidée ». Cela dit, la morale ne demeure pas dans un cadre abstrait, mais doit se réaliser à travers des actions moralement bonnes. À proprement parler, le bien et le mal s’appliquent par rapport à autrui, bien que sa définition et sa compréhension ne requièrent que de la conscience individuelle de chacun. Rappelons cependant que le discernement du bien et du mal ne repose nullement sur les éventuelles conséquences des actes, que ces derniers soient bons et utiles à l’individu ou à la société, ou bien l’inverse. En érigeant leur propre moralité, les groupes culturels ou les religions disposent déjà de diverses institutions qui se conjuguent avec ces préceptes moraux. Cela signifie que le groupe que côtoie l’individu lui inculque de manière directe ou indirecte ce qui est bien et ce qui est mal. Pourtant, la véritable moralité est celle qui est jugée comme étant universelle et intemporelle, c’est-à-dire ne reposant pas sur l’évolution des mœurs et des contraintes de la survie. La vie de Socrate illustre brillamment le comportement exigé par la loi morale, celle qui émane de sa conviction personnelle, telle qu’il est cité par Diderot : « C’était un sage d’Athènes. Il y a longtemps que le rôle de sage est dangereux parmi les fous. Ses concitoyens le condamnèrent à boire de la cigüe ». Force est alors de constater qu’il est de nombreux cas où ce qui est érigé comme bien est refusé d’être appliqué par la masse populaire, pour être substitué par ce qui plaît immédiatement et communément. Mais ce maquillage est imputable uniquement à cette société particulière qui choisit d’évoluer au nom de sa survie. Et en ignorant l’appel du bien, l’homme se rappellera toujours que faire ce qui est contraire à la loi morale le culpabilisera, que ce soit par sa propre conscience ou par ses semblables. Cette culpabilité est donc ce qui fait qu’il est homme, peu importe les justifications qu’il apportera sur ses actes. Ainsi, même si le monde refusera toutes les origines des préceptes moraux, Dieu ou autres entités supérieures, l’homme dans sa propre conscience reviendra dans ces principes, au moins pour juger et signifier ses actes. « Un homme quelque peu humain se reconnaît à sa capacité d’attention à autrui _ et à l’autrui quelconque », remarque Marcel Conche dans ses Orientations philosophiques.
Ce qui définit l’homme est certes ce pouvoir de discerner le bien du mal, mais pour la volonté de l’accomplir, autrement dit de calquer ses actions selon ces principes, cela est intimement relié à sa volonté et à sa liberté. Comparée à la morale, la science peut s’ériger en un rival potentiel en termes d’efficacité, mais n’a pas le droit de l’effacer ni de la gouverner.
III) La science n’a pas le droit de conduire l’homme à l’immoralité
La science concerne le domaine purement intellectuel, et agit tout au plus dans la résolution des problèmes liés à la matérialité. Son efficience n’est plus à démontrer, cependant ses mobiles dépassent désormais le cadre de la simple survie pour servir le pouvoir, la gloire et autres causes les moins utiles. De fait, la science dispose d’un pouvoir grandissant et légitimé au fur et à mesure qu’elle se banalise. De fait, l’homme change ses visions sur les mœurs à cause des outils matériels et intellectuels que la science lui fournit, et ferme les yeux devant la moralité pour pouvoir jouir de ces avantages. Hume a compris les mobiles de l’homme en disant ceci dans son Traité de la nature humaine : « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure sur mon doigt ». En ce qui concerne la volonté et la liberté de l’homme, nous ne pouvons que constater en quelle ampleur il peut réaliser des choses dépassant l’entendement, tout en sachant pertinemment les conséquences qui s’en suivent. Mais en faisant preuve d’une conscience morale, l’homme peut très bien faire triompher le bien, quels que soient les avantages que la science lui fera miroiter devant les yeux. Pour faire avancer leurs recherches, les scientifiques ont certes transgressé différents préceptes moraux, par exemple sur les fœtus, les cadavres ou même sur les animaux. Et le droit d’effectuer ces pratiques en laboratoire continuent jusqu’à présent d’alimenter les discussions au niveau des Parlements ou dans les cercles de réflexions sur l’éthique. Pour une meilleure compréhension, illustrons avec ce passage de La guerre et la paix de Diderot : « On nie le droit de la force ; on le traite de contradiction d’absurdité. Qu’on ait donc la bonne foi d’en nier aussi les œuvres ». Et même en prenant un jugement raisonnable sur ce que la force de la science peut apporter, et de lui octroyer d’une entière liberté pour faire reculer les limites de l’inconnu, nous dirons toujours que, de droit, rien ne peut surpasser la morale. Mais en réclamant ces atouts bénéfiques, nous n’avons aucune excuse valable pour faire taire la voix de la conscience morale qui, une fois transgressée, nous ôtera la valeur et la dignité en tant qu’homme. C’est en ce sens que Bergson s’exprime dans Les deux sources de la morale et de la religion : « L’obéissance au devoir est une résistance à soi-même ».
Conclusion
Au-delà des brillants théorèmes et des formules mathématiques interminables, la science est reconnue par la plèbe à travers l’avancée de la technologie qui embrasse actuellement des branches les plus variées. Et puisque les difficultés auxquelles les hommes ont affaire ne se rapportent pas uniquement sur le côté matériel, mais surtout dans la résolution des conflits, les sciences sociales et les sciences comportementales connaissent actuellement un essor sans précédent. Dans un terrain très différent, la morale, étant tapissé dans les règles de la société et la religion, a toujours été le pilier central pour donner du sens à l’agir de l’homme, et ce, en corrélation à l’essence de celui-ci. Elle n’a de sens que dans le cadre des affaires humaines, non pas pour des visées utilitaristes, mais pour faire valoir la dignité humaine. Mais actuellement, la science a ouvert des portes pour réaliser diverses inventions, ce qui a proposé petit à petit à franchir, en toute discrétion au début, les limites de l’interdit moral. Au nom de la science, nous avons le droit d’assouvir le désir de connaître, mais également de préserver dignement notre vie et des générations à venir. Cependant, ces faveurs très souhaitées ne peuvent en aucun lieu faire taire la tension vers le bien, tant que la conscience morale est présente en nous. Suivre les préceptes moraux a-t-il toujours été bénéfique à la conservation de la vie ?