Dissertations

Etre heureux est-il la fin de l’existence ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

L’homme a surpassé tous les êtres vivants en matière de découverte et d’invention, en matière de conservation de la santé ou d’accès à un meilleur confort. Il a également imaginé le mode d’organisation social qui lui semble compatible à sa nature, en vue de faire valoir l’équité entre les différents groupes d’individus. Notre époque actuelle est également caractérisée par la création illimitée des besoins, tel qu’il est traduit par les métiers publicitaires, servant à véhiculer l’idéologie selon laquelle tous les désirs humains peuvent être assouvis en toute légitimité. Mais en vain, puisque jusqu’ici il n’a pas pu se déclarer définitivement heureux. « La volonté est la connaissance a priori du corps ; le corps est la connaissance a posteriori de la volonté », disait Schopenhauer. Pour savoir ce qu’il veut vraiment, l’homme a donc le devoir de se connaître lui-même, tout en considérant l’urgence de sa vie quotidienne. Sachons que les œuvres humaines sont le fruit de la volonté et de l’ambition, mais incluent en même temps les devoirs imposés par la société. Assurer la survie et chercher le bonheur deviennent donc pour l’homme deux alternatives indépendantes, qui tendent à se rivaliser en termes de priorité. Le but est donc de savoir si être heureux est réellement indispensable pour lui, et s’il lui est possible d’atteindre cette fin. Chercher le bonheur devrait-il passer avant les impératifs de la vie quotidienne ? Cette problématique sera traitée à travers trois parties distinctes : premièrement, nous ferons une analyse sur les principales aspirations de l’homme ; deuxièmement, nous insisterons sur le fait que le bonheur est difficile à réaliser ; et troisièmement, nous conclurons que dans les faits, l’homme positionne le bonheur dans un rang secondaire parmi ses priorités.

I) L’existence humaine se compose de plusieurs obligations réalisées

En se posant la question qu’est-ce que l’homme, chacun peut fournir une réponse pertinente en fonction de ses principales occupations. Cependant, même les sciences devraient emprunter des fruits de recherches des autres disciplines sœurs pour pouvoir rendre compte de son objet qu’est l’homme. Appliqué dans son quotidien, l’homme ne se suffit pas à assurer ses besoins vitaux, il lui importe également de s’intégrer dans son environnement selon diverses conditions. Par exemple, il se focalise uniquement sur la satisfaction de ses besoins corporels, mais s’appauvrit intellectuellement à cause de son désintéressement sur divers horizons offerts par son monde. Montaigne fait la remarque selon laquelle : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ». Sans scruter en détail les différentes définitions de l’homme, l’expérience nous enseigne largement que l’épanouissement de l’homme provient du concours de diverses attributions. Parfois, les attentes de la société ne correspondent pas forcément avec le point de vue de l’individu concernant ce qui est de son bien. Toutefois, l’individu accepte ces exigences par volonté et par devoir, sans escompter grand-chose en retour, mais pour le respect des autres et de soi-même. Prenons ce passage de l’Aurore de Nietzsche pour illustrer la sagesse telle qu’elle est vécue par les hommes du commun : « N’avoir aucun avantage, ni une meilleure nourriture, ni un air plus pur, ni un esprit plus joyeux, mais faire don, rendre, partager, s’appauvrir ! Savoir s’abaisser afin d’être accessible au grand nombre et n’humilier personne ! » Être sage est un critère primordial pour que les autres puissent fournir un jugement positif sur soi. Le choix d’appliquer la sagesse ne repose pas en effet sur l’attente d’une vie bienheureuse, mais sur un calcul posé sur les conséquences de chacun de nos actes. Choisir de faire le bien tel qu’il est édicté par la raison procure le bien de tous, et notamment la perpétuation des générations à venir. D’une manière générale, l’existence n’a pas de fin en soi, c’est l’homme qui lui fournit cette fin en rapport à ses conditions d’homme. L’existence, c’est-à-dire l’homme qui vit à travers son corps, se maintient tant que ses conditions d’existence sont remplies. Lui assigner une fin extérieure et penser à cette fin, qu’il s’agisse du bonheur ou autre chose, ne change rien à ce qui est exigé à l’homme, notamment se maintenir en vie. À travers cette analyse, cette citation de Kierkegaard trouve alors pleinement son sens : « Il pourrait donc sembler exact de dire qu’il y a une chose qui se refuse à la pensée : l’existence. Mais la difficulté reparaît : l’existence rétablit la connexion, du fait que le sujet pesant existe ».

L’homme est tellement préoccupé par sa vie quotidienne qu’il se sent déjà rempli une fois les obligations qui lui sont assignées ont été réalisées. S’attachant principalement à ce qui est utile, l’homme se sent également attiré par l’agréable et se trouve parfois déçu à cause de ses choix non optimisés et l’échec de ses entreprises.

II) Le bonheur délimite l’horizon de l’existence de l’homme

L’exercice de la pensée contribue particulièrement à l’équilibre de l’homme, même si celui-ci n’est pas désigné comme étant un philosophe. Il peut être inspiré par la comparaison avec ses semblables, ou tout simplement par une sensation de monotonie, pour penser en fin de compte en quoi la vie vaut-elle la peine d’être vécue. Ces questions existentialistes peuvent très bien coexister avec des entreprises pleines de succès, et n’empêchent en aucun cas l’individu d’exceller dans ses fonctions quotidiennes. Autrement dit, il se peut que ce soit après avoir rencontré le bonheur que l’homme comprend véritablement son sens. Ce passage de la Critique de la raison pratique de Kant peut alors être consulté dans son acception la plus générale : « Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable, à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive selon son souhait et sa volonté ; il repose donc sur l’accord de la nature avec le but tout entier qu’il poursuit, et aussi avec le principe essentiel de détermination de sa volonté ». Ici, il ne s’agit pas encore de chercher comment atteindre le bonheur, mais de souligner que le bonheur est un bien auquel tendent secrètement l’agir de l’homme. Quant au fait de le trouver, il devra sortir de ses méditations pour l’expérimenter, tout en réalisant qu’il existe divers paramètres qui conditionnent cette entreprise. Si la vie lui sourit, l’homme se sentira chanceux d’avoir ce qu’il désire, et se dit  intérieurement que ces avantages ne reposent pas entièrement sur le fruit de ses labeurs. En cas d’échec, il ne se décourage pas pour réessayer indéfiniment, le cœur plein d’espoir, pour se consoler en fin de compte sur ce que l’avenir lui réserve. Marc-Aurèle a totalement raison en affirmant dans ses Pensées : « L’art de vivre ressemble plutôt à la lutte qu’à la danse, en ce qu’il faut toujours tenir en garde et d’aplomb contre les coups qui fondent sur vous et à l’improviste ». Bien que le bonheur fasse miroiter dans l’imagination de l’homme victoire, prestige et félicité, sa conscience lui rappelle constamment sa misérable condition faute des moyens en sa disposition. Toutefois, il dispose de son libre arbitre pour tracer sa destinée, en l’occurrence en nourrissant ses rêves de grandeurs divines, sans douleur ni chagrin. La réflexion sur le bonheur laisse donc apparaître la différence manifeste entre ce qui est dans la pensée et ce qui existe véritablement. Elle révèle également à quel point la volonté et la liberté rendent l’homme courageux, pour faire passer en second rang divers impératifs, en vue de suivre une voie dont l’issue est improbable ou même impossible. Dans sa Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty déclare : « Si le mythe, le rêve, l’illusion doivent pouvoir être possibles, l’apparent et le réel doivent demeurer ambigus dans le sujet comme dans l’objet ».

En plaçant le bonheur comme étant la fin de son existence, l’homme écarte dans son for intérieur l’hypothèse selon laquelle ce mécanisme serait vain. Toutefois, s’il fait preuve de bon sens, il découvrira dans le concret qu’il n’est pas bon d’attacher trop d’importance à quelque chose d’illusoire.

III) Le bonheur ne se cherche pas, mais se découvre par lui-même

D’une part, les hommes savent par expérience ce qui leur convient, ici et maintenant, pour rendre leur vie aussi efficace que possible. Mais d’autre part, ils n’échappent à la philosophie qui, dans un court intervalle de répit, lui fait penser au sens de son existence et à la possibilité d’un éventuel bonheur. En effet, l’exercice de la pensée ne suggère pas nécessairement ce qu’il faut faire ou ce qui doit être, car la pensée est libre de sa nature et libère également l’agir de l’homme de toute contrainte. Cependant, il suffit de constater les conditions sociales où chaque individu est placé, ce qui rend difficiles l’accès aux ressources de plus en plus rares, pour se résigner que l’ajout d’autres exigences de bonheur est une pure folie. Pascal illustre cette thèse à travers cet extrait des Pensées : « Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous efforçons pour cela de paraître ». La résolution du problème du bonheur consiste en effet à pouvoir la réaliser dans le concret, c’est-à-dire le rendre possible dans la pratique. La possibilité théorique du bonheur est similaire à ces mondes imaginaires qui bercent les enfants de bas âge, mais qui n’a aucune consistance dans la réalité. C’est pourquoi nous répondrons que le bonheur qui est assimilé à ces illusions n’est pas la fin de l’existence, autrement nous bâtirions notre existence sur ce qui ne peut pas être. Chaque individu assure toujours et déjà les tâches de son quotidien que son bonheur advienne ou n’advienne pas. En un mot, l’accès au bonheur est tellement aléatoire qu’il serait prétentieux d’y placer toute notre confiance. Dans sa Lettre à la Princesse Elisabeth, Descartes déclare : « Enfin, on peut généralement dire qu’il n’y aucune chose qui nous puisse entièrement ôter le moyen de nous rendre heureux, pourvu qu’elle ne trouble point notre raison ; et que ce ne sont pas toujours celles qui paraissent les plus fâcheuses, qui nuisent le plus ». La thèse selon laquelle il n’est pas bon pour l’homme de poser le bonheur comme étant la fin de son existence, est le fruit d’une mûre réflexion de la raison. D’ailleurs, cette idée n’est pas seulement en pensée, mais a été formulée pour son efficacité dans la pratique, et est le seul qui puisse réellement refléter ce qui est dans la réalité. En tout cas, rien n’empêche l’homme de prendre plaisir à ce qui advient naturellement dans son quotidien, sans nécessairement le comparer à l’idéal de son imagination, ni l’appuyer avec la logique de la raison. « Du moins nous suffit-il, amis étendus sur un tendre gazon, au bord d’une eau courante, à l’ombre d’un grand arbre, de pouvoir à peu de frais réjouir notre corps surtout quand le temps sourit et que la saison émaille de fleurs l’herbe verte des prairies », conclut Lucrèce dans son ouvrage De la nature.

Conclusion

La vie de l’homme ne pourrait être complète s’il se concentrait uniquement sur un seul centre d’intérêt. Revêtu d’un comportement altruiste, l’homme recherche un sentiment d’appartenance et d’existence, ce qui se manifeste notamment par l’acceptation par ses semblables. Bien qu’il soit plongé dans ses différentes préoccupations, il est impossible d’empêcher l’homme de méditer sur le sens de sa vie. La véritable méditation qui élève l’homme est en effet un relai entre son quotidien et son bonheur. Pour résoudre le problème du bonheur, à savoir sur la question de poser celui-ci comme quelque chose d’indispensable, nous répondrons que cela n’est pas forcément compatible avec les aléas du quotidien. Être heureux n’est donc pas forcément la fin de l’existence, puisqu’il est des hommes respectueux qui ont su mener leur vie à terme sans poser comme principe derrière leurs actions de trouver le bonheur. À travers les préoccupations qui nous submergent au quotidien, nous tombons facilement dans l’ennui et la lassitude. Peut-on définir le bonheur comme étant l’ensemble de nos divertissements ?

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