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La science est-elle une interprétation du réel ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Interpréter signifie mettre au clair le sens de quelque chose qui semble obscur. La science désigne l’ensemble des recherches objectives se basant sur la méthode dite scientifique sur la nature des faits.  Pour y arriver, la science tente de découvrir le sens des réalités en faisant nécessairement usage de la théorisation. Dans l’idée d’interprétation, il y a nécessairement un objet à quoi on a donné un sens. Or, si le sens semble être le propre d’un sujet alors qu’en science il semble que la fin soit l’objectivité, il n’y a pas alors à proprement parler de découvrir un signifié. Comment donc concevoir le rôle de l’interprétation en science si ce dernier a plus pour fin la transparence totale de l’objet alors que ce dernier doit passer par une construction conceptuelle ?  Pour résoudre ce problème, il nous faut développer les points suivants. Premièrement, il faut observer la nécessité de la théorisation en science. Deuxièmement, il faut comprendre en quoi cette théorisation trahit le vœu d’objectivité de la science. Troisièmement, il nous faut considérer la perspective que la théorie scientifique est moins une perspective ontologique que métaphysique.

Partie I : La nécessité scientifique de la théorisation du réel

1. L’obscurité phénoménologique du réel

Pour comprendre la nécessité de l’interprétation scientifique, il faut remarquer l’expérience originale et ordinaire du réel et pourquoi celle-ci ne peut offrir une connaissance fiable. Le réel est présent à notre sensibilité sous la forme du phénomène. Le phénomène signifie littéralement l’apparence sensible. C’est donc l’ensemble des données qui sont accessibles à nos facultés de sens. De là on peut dire qu’il n’y aurait alors aucun besoin de recourir à l’interprétation puisque le réel se donne d’elle-même. On peut vite faire l’expérience de l’illusion de l’expérience ordinaire. Prenons l’exemple du morceau de cire du rationaliste Descartes. Descartes n’observe que le phénomène de la cire change d’état selon ce qui l’affecte, la chaleur peut le rendre liquide et le froid, le rendre solide. Descartes conclut alors que l’expérience sensible n’a rien de consistant,  si ce n’est que de l’étendue et du mouvant. En fait, par cette expérience, on peut au moins définir les relations de causalité entre les différents phénomènes. Ici, par exemple, celle de la chaleur qui liquéfie une substance solide. L’observation des réactions causales va alors définir une interprétation qui va être vérifiée par l’expérimentation et finalement dans le cas concluant formuler une loi naturelle. Il y a ainsi dans l’interprétation scientifique un dépassement théorique qui semble percer la nature immuable des réalités qui sont derrière les phénomènes.

2. La théorie scientifique comme dévoilement du réel

En fait, la science voit le réel comme un objet à découvrir mais pour y arriver, il faut nécessairement proposer des hypothèses à partir de ce qui est donné comme phénomènes. Les scientifiques Einstein et Enfeld nous traduisent cette perspective par la métaphore de la montre fermée.  Le réel nous disent-ils est comme une montre fermée dont le mécanisme nous est caché. Pour découvrir le fonctionnement de ce mécanisme, il nous faut formuler des théories ingénieuses à partir des phénomènes de la montre. On peut par exemple observer la rotation des aiguilles et proposer qu’il y ait une sorte de rouage interne qui met en jeu différentes forces. Cette perspective interprétative permet d’engager l’exploration progressive du réel à partir de la dialectique théorie-expérience. Le scientifique formule des théories à partir du phénomène et vérifie la pertinence de celle-ci avec l’observation expérimentale.  Le résultat ne peut être qu’enrichissant d’une manière ou d’une autre, car on gagne toujours un certain terrain sur l’ignorance. Si l’expérience réfute l’hypothèse, on affine l’observation et si l’expérience est concluante, on gagne en pertinence.

On ne peut alors imaginer la recherche scientifique sans la position interprétative. Dans l’idée que la science a pour fin l’objectivité, l’idée que l’interprétation nécessite un sujet qui donne sens ne semble-t-elle pas la contredire quand elle veut tout au plus expliquer plus que traduire?

Partie II : La contradiction entre science et interprétation

1. Le problème de l’interprétation

Il faut d’abord remarquer que l’idée d’interprétation porte en elle-même une certaine contradiction vis-à-vis de son idéal à vouloir dire ce qui en est véritablement de la réalité de son objet. Interpréter signifie dévoiler un sens caché. Il y a donc ici une nature linguistique plus qu’ontologique. Il y a une nature linguistique, car on pose l’objet comme signe, étant un signifiant ayant un signifié. Ceci pose deux problèmes ontologiques. D’abord, dévoiler un sens nécessite la spéculation. Cette spéculation présume un concept. Or, le concept est d’ordre métaphysique, il est une représentation formelle et abstraite. Il y a donc une nette différence de nature entre l’interprétation et l’objet. Ensuite, l’interprétation implique l’existence d’un sens préexistant à un sujet qui signifie dans l’objet à interpréter. Ce qui pose problème, car soit il faudrait alors postuler que l’objet en lui-même ait une conscience qui sache le signifier par lui-même, soit il faudrait postuler métaphysiquement que dans le grand schème de l’univers, il y ait une conscience qui arrange les choses telles qu’elles sont. Le registre ne serait alors plus scientifique mais idéologique.

2. L’objectivité scientifique

En ce qui concerne précisément la science, si elle tente de déceler des rapports déterminés, elle ne peut considérer la structure finaliste. La science n’observe que les rapports causals. Elle considère que si tel phénomène est dans un tel rapport avec un tel autre dans telle condition bien définie alors tel phénomène en résultera nécessairement.  Il faut remarquer ici la nature descriptive du déterminisme scientifique. Il n’y a pas ici une cause finale qui fait que l’enchaînement des phénomènes converge nécessairement vers un tel point qui auparavant l’aurait attiré. Le finalisme pose le problème ontologique d’un néant qui attire l’être. En effet, il semble absurde que ce qui n’est pas encore une certaine force sur les choses pour advenir. La science préfère dire par exemple que l’œil n’est pas fait pour voir car il a été fabriqué ainsi, mais plutôt que la circonstance répétée de certains faits a fini par conditionner l’organisme à se prolonger par ce nouvel organe sensoriel. En soi, le phénomène de la vue ne peut pas être, soit être simplement contingent. Le problème du recours au finalisme se trouve en fait dans l’irréfutabilité de n’importe quelle fin. L’entendement a la capacité de signifier la fin dans n’importe quelles circonstances, aussi hasardeuses soient-elles. Or, aucune expérience ne peut, par toutes les conditions possibles qui sont nécessairement à vérifier, déjouer la souplesse d’un sens finaliste.

Il semble donc que si la science se veut être objective, elle ne peut recourir à la position métaphysique de l’interprétation. Si la théorisation scientifique reste quand même nécessaire à la mise en ordre de la réalité, prétend-elle une véritable adéquation plus qu’une tentative conceptuelle ?

Partie III : La position métaphysique de la science

1. Le réel comme nécessairement interprété

Tout d’abord, il nous faut remarquer en quoi le réel lui-même doit toujours d’abord s’entendre dans l’interprétation. Le réel en lui-même est comme la science le postule un objet à découvrir. Il faut éclaircir la différence de nature entre objet ontologique et objet métaphysique. L’objet ontologique du réel est ce qui se rapporte à son être propre indépendamment d’un sujet qui le conçoit. Quant à l’objet métaphysique, il est l’ordre que l’entendement conçoit dans les phénomènes.  Pour le sujet qui observe, il ne peut que médiatiser son intelligence et le réel par cet objet métaphysique qu’est le concept. Le concept identifie du consistant dans la substance réelle et permet de définir des propriétés. Plus précisément, il encadre l’expérience changeante du réel dans des ordres qui mettent en jeu le rapport cohérent des événements. Cet encadrement conceptuel permet à notre intelligence l’économie formelle de notre rapport au monde. Sans le concept, il y aurait une diversité infinie d’intuitions chaotiques et une diversité instinctive changeante au gré de l’expérience du particulier. De ce fait, au lieu de risquer l’illusion de l’intuition changeante et la limite cognitive de l’instinct, il nous faut l’opérabilité rationnelle des concepts pour assurer une exploration du réel transparente à notre raison.

2. L’humilité de la théorie scientifique

En ce qui concerne l’exploration scientifique, aucune science ne devrait donc prétendre pouvoir saisir l’objectivité des choses en elle-même en croyant formuler des correspondances exactes avec la réalité. En fait, on dit théorie scientifique au lieu de vérité scientifique, car il y une certaine humilité dans la prétention de la méthode scientifique. Cette humilité se comprend dans les conditions épistémologiques de la science. Notamment avec le caractère de réfutabilité de la théorie scientifique. Selon l’épistémologue Karl Popper, l’expérience scientifique ne pourra jamais vérifier une théorie. Pour ce faire, il faudrait produire toutes les expériences possibles avec leur condition infinie. Par exemple, la théorie de la gravité doit chercher la possibilité de sa réfutation dans tous les lieux de l’univers pour finalement être valide. De cette impossibilité, une théorie en science est plutôt dite corroborée du fait de sa pertinence plutôt que vérifiée. Karl Popper n’est pas pessimiste. Il nous dit par ailleurs que le critère de réfutation nous permet exactement de distinguer l’explication scientifique de la pure interprétation. La pure interprétation n’offre pas la possibilité de l’observation d’une réfutation. Par exemple, l’interprétation marxiste des rapports de forces sociales de la lutte de classe pourra toujours présumer n’importe quelles situations et n’aura jamais une réfutation concluante. Le problème de l’irréfutabilité est l’infinie métaphysique qu’elle procure de sorte qu’on peut dire tout et finalement rien. L’interprétation scientifique reconnaît que son observation expérimentale peut la réfuter. Ce qui est un terrain gagné sur la transparence de notre entendement du réel, car nous pouvons alors déjouer l’obstacle de la subjectivité.

Conclusion

En résumé, nous étions partis du problème de la fonction de l’interprétation comme à la fois nécessaire pour entreprendre conceptuellement le réel et la problématique dans le fait qu’il trahirait l’objectivité par la nature métaphysique du concept même. Il nous a paru en effet que puisque le réel nous est donné dans l’instabilité de l’expérience sensible, il nous fallait l’ordre du concept. Par ailleurs, si la science pose le réel comme un objet à découvrir, la théorisation lui est nécessaire pour mesurer sa compréhension par rapport à l’expérience des faits. Il nous a aussi semblé que la science ne pouvait être une pure interprétation. Une pure interprétation ne pouvait être que contradictoire, car elle pose déjà la marque métaphysique de l’homme dans l’objet interprété. Si la science pose des théories sur le rapport causal des événements, elle ne peut prétendre aucune finalité sous peine d’avoir une position métaphysique. En fait, il faut bien reconnaître un réel nécessairement mis en ordre par l’intelligence conceptuelle. Sans elle, le réel resterait chaotique et non navigable. La science reste alors humble vis-à-vis du réel par le fait qu’elle ne pourra jamais comparer parfaitement ses théories avec ce dernier. Néanmoins, la science reste positive dans sa manière d’engager le monde et elle nous offre la distinction entre une pure interprétation qui se prête à tous les faits et une explication qui peut évoluer par l’épreuve des faits.

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