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L’interprétation est-elle une affaire de raison ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Interpréter renvoie au fait de rendre clair ce qui semble obscur. Dans le registre psychanalytique, il s’agit de mettre de l’ordre dans les propos confus de l’émergence du subconscient. Dans la philologie, il consiste à comprendre l’herméneutique des textes, soit leur sens caché, dans leur parole parfois métaphorique. Il semble donc que l’interprétation soit l’affaire d’une raison qui veut mettre de la lumière sur les choses. Dans l’interprétation, il y a un jugement où une volonté subjective qui prend part à la signification des choses. Or, ce jugement semble toujours se donner à priori par une pure intuition indépendante de l’opération rationnelle.  Comment alors concevoir le fait que pour interpréter il faut  un ordre de la raison alors que cet ordre porte une condition au préalable irrationnelle dans l’intuition. Pour résoudre ce problème, il nous faut premièrement développer la considération que l’interprétation éclaircit les choses par la raison. Deuxièmement, il faut toutefois remarquer que le fondement intuitif de l’interprétation fait qu’elle précède à la lumière de la raison. En fait, nous allons voir que finalement dans l’interprétation, il y a une complémentarité entre  raison et intuition.

Partie I : L’interprétation ne peut qu’être rationnelle

1. L’interprétation met de l’ordre dans les choses pour y comprendre un sens

Interpréter signifie donner une signification claire à ce qui semble obscur. Elle use de la raison dans le sens où elle analyse les concepts pour éclaircir dans leur relation un sens caché. En psychanalyse, par exemple l’interprète fait œuvre d’une ingéniosité rationnelle pour déceler le rapport symbolique des mots du patient. Ainsi, si pour Freud « l’arbitraire psychique n’existe pas », c’est que le psychanalyste repère dans la narration à priori absurde du patient des récurrences thématiques qui renvoient à des signifiés refoulés dans le subconscient de ce dernier. L’ingéniosité rationnelle prend acte ici des connotations de la partie visible d’un mot qui persiste à s’exprimer pour aller vers une partie invisible qui désire de même.  De même dans la critique esthétique, l’interprète repère la complexité originale de la composition à un style particulier ou à un style complètement inédit en reconnaissant les règles de l’art.  Ici, la raison interprétative reconnaît une certaine cohérence ou en identifie une nouvelle qui donne l’effet esthétique. Dans tous les cas, il y a dans l’interprétation la faculté de l’ordre de la raison qui organise les choses en un ensemble conceptuel compréhensible.

2. L’interprétation facilite l’entendement par la faculté du concept

Interpréter consiste à encadrer rationnellement l’expérience dans le concept pour faciliter sa compréhension. Le concept est une représentation abstraite de l’identité d’une expérience. Il comprend la compréhension de cette expérience par l’ensemble des caractères qui la définit originalement et son extension par l’étendue de cette caractéristique à d’autres expériences. Par son concept, une expérience devient pour l’entendement, le signifié d’un signifiant qu’est le mot. Par exemple, l’interprétation peut reconnaître l’unité des expériences sensibles d’une pierre comme sa solidité, ses compositions minérales, etc. Il reconnaît cette unité par l’habitude qui finit par la distinguer d’une autre. L’interprète va alors former à partir de ces caractères récurrents une définition par propriétés qui va former le concept. Puis, on attribuera un nom sur ce concept pour le signifier formellement. Cette réalisation formelle va assouplir les opérations rationnelles, car elle est économique en saisie et en communication. Il sera plus facile pour l’entendement de traiter l’information à partir du concept pour donner sens à l’ensemble des choses. L’entendement n’aura plus toujours besoin de revenir à l’expérience ou à la mémoire de cette dernière pour l’invoquer dans une réflexion car il n’a qu’à reconnaître son concept par le signe du mot qu’on lui a attribué.

L’interprétation est donc fondamentalement rationnelle du fait qu’il met de l’ordre dans les choses et permet par l’abstraction du concept un entendement plus performant. Si interpréter implique nécessairement le jugement d’un sujet, la volonté subjective n’est-elle pas contraire à l’objectivité rationnelle ?

Partie 2 : Il y a une hétérogénéité entre interprétation et raison

1. L’interprétation voit déjà les choses comme des signes indépendamment de la validité rationnelle de ces dernières

D’abord, revenons à la faculté de concept de l’interprétation qui définit les choses comme signes. S’il faut reconnaître l’apport intellectuel de ce processus, il reste ceci que l’habitude de ce raccourci peut influencer l’entendement à négliger le retour réflexif sur le concept lui-même. Il ne faut pas oublier que le concept « suppose une double relation, d’une part avec la chose représentée, d’autre part avec le sujet actif » ( vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines ). Or, cette implication du sujet pose une contradiction à la nature objective de la raison. En fait, il semble que l’interprétation soit initialement une faculté symbolique plus que rationnelle. Elle est symbolique, car elle procède d’une manière inconsciente dans la reconnaissance des choses. Il y a dans l’interprétation le fait de traiter les choses comme porteur de paroles avant même que l’intention réflexive soit soulevée. Ceci est dû au fait que le sujet est habitué à certaines perceptions. Dans le registre anthropologique, chaque sujet porte en lui une vision du monde produite par l’éducation culturelle qui est renforcée par la performance de la sphère sociale. C’est-à-dire que la culture nous demande de reconnaître automatiquement ses concepts pour pouvoir communiquer en son sein. Cette reconnaissance automatique se structure par l’habitude de l’usage de son langage. Le nom d’un certain phénomène naturel par exemple peut revêtir un sens mystique qui est produit par le panthéisme particulier d’une culture. Le caractère symbolique des mots peut alors se confondre avec la chose elle-même de sorte qu’il n’y ait plus aucune médiation rationnelle entre la chose et l’entendement mais une simple reconnaissance.

2. L’interprétation implique donc la position subjective avant le dépassement objective de la raison.

L’interprétation a alors la nature d’être particulière dans son rapport au sujet mais qu’en est-il de la raison ? La raison, si elle éclaircit les choses, dépasse l’activité judicative de l’interprétation de deux manières. D’abord, la raison est transparente à elle-même. Il y a dans la raison une volonté qui fait preuve de l’articulation intentionnelle de sa pensée. La raison discerne et organise « manuellement » la relation de ses concepts. A contrario du jugement de l’interprétation qui impose automatiquement une idée, et produite d’une vision du monde propre, a une culture. Ensuite, la raison opère sur les propositions de l’interprétation et l’analyse de la cohérence de leur relation d’implication. Ce n’est pas l’interprétation qui est déductive mais la raison qui conclut une nouvelle proposition à partir de la mise en relation des prémisses intuitives de l’interprétation. De ce fait, la raison peut dépasser les confusions que les différentes interprétations subjectives peuvent créer. La raison identifie ce qui n’est que particulier et fait preuve d’abstraction pour définir ce qui est essentiel dans nos avis divergents.

Il y a donc un écart intellectuel entre le fonctionnement de la raison et celui de l’interprétation. Cependant, s’il y a hétérogénéité entre raison et interprétation, comment alors concevoir la nature parfois rationnelle d’une interprétation après son analyse ? N’y a-t-il pas dans l’interprétation une complémentarité synthétique de l’intuition et de la raison plutôt qu’une dissolution intellectuelle ?

Partie 3 : L’interprétation est la complémentarité entre raison et intuition

1. La raison comme l’outil d’ éclaircissement de l’interprétation

D’abord, précisons quel est exactement le rôle de la raison dans l’interprétation. Si l’interprétation présente de la cohérence, il s’agit de la marque de la raison qui la valide clairement. La raison joue le rôle de l’outil d’observation. Elle détaille les éléments de l’interprétation jusqu’à leurs principes les plus évidents, puis elle examine la cohérence de chacune de leurs articulations dans le tout structurel qu’ils prétendent former. Par exemple, en interprétant le phénomène concret de la pierre par le concept de pierre, la raison ausculte les différents caractères mis en jeu qui forment l’unité originale de la pierre. Il évalue par exemple si le caractère d’une certaine composition minérale alliée à la substantialité du solide est suffisant à la compréhension de l’objet pierre ou que l’extension d’un certain élément minéral dans d’autres objets risque de contredire la pertinence du concept. La raison identifie les implications et observe s’il y a des contradictions dans le processus de l’analogie, de l’induction ou de la déduction.

2. L’intuition comme la substance de la raison

A proprement parler, la raison n’a donc rien en elle-même de substantielle. Elle n’est qu’un outil, car la véritable substance est la perspective de l’intuition. L’intuition est cette saisie pertinente du sens des choses qui semble immédiate. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un entendement qui ne passe pas par l’articulation volontaire de la raison. En fait, elle est le produit d’un processus intellectuel involontaire en arrière-plan de la pensée consciente. Si son processus paraît inconscient, c’est qu’il se produit presque spontanément. L’intelligence fait le lien entre les choses d’une manière presque immédiate que la pensée ne se saisit pas être à l’œuvre. Pour comprendre le phénomène de l’intuition, la neuroscience explique que le cerveau, par l’acquisition d’expériences répétées, va  former des cartes mentales  tracées par un réseau de connexions neuronales. Le processus de la matière cérébrale qui sous-tend l’expérience de l’intuition est l’appel instinctif à ces cartes mentales, mais aussi à la modification adaptative de celle-ci par une souplesse intellectuelle que le cerveau s’est habitué dans des circonstances contraignantes et urgentes. Ce qui fait que moins l’analyse rationnelle intervient dans l’observation des choses, plus l’intuition est propice. La raison est la version élaborée et consciente de l’intelligence. Elle suspend l’automatisme de la pensée et l’oblige à retracer ses pas. Entre autres, dans l’interprétation la rationalité est la marche de manœuvre d’un pas assuré dans l’exploration des choses et l’intuition, le sillage des voies de cette dernière. Henri Poincaré semble ici avoir le dernier mot dans son ouvrage La valeur de la science en disant que « La logique qui peut seule donner la certitude est l’instrument de la démonstration, l’intuition l’instrument de l’invention ».

Conclusion

Nous nous étions demandé comment l’interprétation permet l’ordre rationnel alors qu’elle a pour fondement l’irrationalité de l’intuition. Dans la résolution de ce problème, nous avons cheminé avec les perspectives suivantes. Il nous a paru évident que l’interprétation use de la raison quand elle signifie clairement l’ordre des choses. Par ailleurs, elle rend l’entendement plus performant grâce à sa puissance conceptuelle. On a remarqué que ce raccourci conceptuel peut faire place à un automatisme subjectif, car le concept appartient à la vision du monde effectif de la culture. Ce qui fait qu’il y a une hétérogénéité entre interprétation et raison. En fait, à l’intérieur de l’interprétation, il y a nécessairement une complémentarité entre intuition et raison. La partie rationnelle est l’observation qui vérifie la pertinence des implications intuitives. Quant à la partie intuitive, elle est la substance, involontairement produite d’une intelligence en arrière-plan, qui donne à la raison sa raison d’être dans son émergence.  L’interprétation est alors en définitive une intuition mise à la lumière de la raison.

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