Dissertations

Le sens du réel est-il immuable ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Dire qu’une chose a un sens c’est dire qu’elle est organisée dans un ordre que la raison peut reconnaître. Le réel renvoie à la qualité de l’être. Le réel a un concept à la compréhension pauvre, mais qui a une riche extension en ce sens qu’il s’étend à toute chose. Il est ce qui se présente à nos sens comme phénomène et ce qui se réalise en notre entendement en tant que concept. Ainsi, parler d’un sens immuable du réel, c’est dire que les choses ont chacun leur propre organisation fixe et que par ailleurs la raison peut saisir cette dernière. Chaque chose a certainement une structure identifiable dans son concept. Le concept est une représentation abstraite qui trahit la particularité du phénomène qui, lui, est concret. Or, si le phénomène est toujours particulier, c’est qu’il est changeant et donc mobile. Que comprendre alors du réel dans la contradiction de sa représentation conceptuelle et son expérience concrète ? Pour tenter de dépasser cette problématique, nous allons proposer le plan suivant. Dans une première partie, nous allons développer la perspective de la raison à vouloir concevoir le réel dans la représentation immuable. Dans une seconde partie, nous allons contredire cette perspective par l’aspect concret du réel qui est trahi par la conceptualisation. Enfin, dans une troisième partie, nous considérerons la dialectique de la raison et de l’expérience à former l’entendement du réel.

Partie I : Le réel ne peut qu’être immuable pour la saisie rationnelle

1. La seule expérience sensible est inconsistante à saisir le réel

D’abord, considérons l’expérience première du réel dans le phénomène. Le phénomène est ce qui apparaît comme distinct par les données de nos facultés de sens. Nous pouvons éprouver dans la diversité des circonstances que l’expérience sensible n’est pas consistante. Il suffit par exemple de changer de point d’observation pour remarquer que l’expérience est relative dans l’espace et le temps. En fait, si on dit que l’expérience nous présente le phénomène, c’est qu’elle ne donne à paraître que ce qui est superficiel. Platon nous parle de l’expérience comme la mode de connaissance du monde du sans forme. Un monde qui n’est pas complet en ce sens qu’il est diffus et volatil dans la multiplicité. Par ailleurs, c’est un monde qui se prête facilement à la perception trompeuse et confuse. Si l’entendement ne se fie qu’à la perception première de l’expérience sensible, il risque de ne prendre pour acquis que l’habitude familière du superficiel.

2. La nécessité du concept pour organiser le réel

On ne peut donc se fier à la seule expérience sensible. Il faut lui appliquer le dépassement rationnel qui identifie dans le divers sensible l’unité du concept. Le concept est la traduction abstraite du phénomène comme une structure. Le concept repère ce qu’il y a de constant dans l’expérience et en définit des propriétés, soit des caractéristiques qui font le propre de la chose. Il organise l’unité de ces propriétés comme sa compréhension et définit sa généralité par l’étendue de ces propriétés sur autre chose. Le concept de Mr Dupont a par exemple une compréhension riche dans l’identification de la personne concrète de Mr Dupont qui a plusieurs appréciations. De sorte que son extension soit très limitée, car la  représentation du concept renvoie à la composition originale de la personne de Mr Dupont. La traduction conceptuelle du réel est nécessaire, d’abord elle permet d’aller à l’essentiel des choses à travers leurs diverses perceptions qui sont nourries par la multiplicité de l’expérience. Ensuite, le concept permet la facilitation du signe, soit le mot nominal, à renvoyer à quelque chose d’opérationnel par la raison dans le langage. Quand on parle de Mr Dupont, on sait à quoi s’attendre par son concept. On peut alors plus facilement employer le sujet Mr Dupont dans une suite propositionnelle qui veut communiquer, démontrer, expliquer ou informer quelque chose.

Ainsi, il y a une nécessité rationnelle dans l’immuabilité du sens du réel. Si la rationalité est l’organisation de l’abstrait, ne risque-t-elle pas de réduire la richesse de l’expérience du concret ?

Partie II : Le réel en soi dépasse l’immuabilité rationnelle

1. Le concept comme la réduction du concret

Premièrement, si le concept nous permet une souplesse opératoire sur le réel, il est néanmoins une forme réductrice. En tant qu’une représentation formelle, soit mentale du phénomène, le concept est un encadrement abstrait et de ce fait général de ce qui a une réalité particulière. Le philosophe de l’intuition Henri Bergson dans son ouvrage esprit et mouvant développe l’idée que la pensée discursive par la formalité de la raison déforme en quelque sorte le réel. Si le réel est pour Bergson un flux mouvant, l’intelligence rationnelle divise ce dernier en des entités discontinues de sorte qu’elle manquera toujours l’originalité des choses. Le phénomène du concret n’est pas seulement changeant dans son expérience, il l’est dans sa nature même. Le morceau du sucre se dissout dans l’eau progressivement par des degrés si infimes que la traduction formelle ne saura saisir. Ce que la raison peut faire, c’est limiter les événements dans le prisme immobile du concept. Ainsi, on ne saura véritablement apprécier Mr Dupont que par le nom qui renvoie à son concept. Mr Dupont n’est pas l’ensemble fermé de son identité culturelle, civile ou sociale ; ce qui présente déjà la marque de la multiplicité de l’expérience de l’identification. Mr Dupont, dans toute sa concrétude originale, ne peut qu’être « vécu » par sa seule expérience.

2. Le réel comme devenir

Ce qui veut dire dès lors que le réel a moins la qualité d’être que celle du devenir. Le philosophe obscure de l’Antiquité Héraclite nous invite poétiquement à penser comme Bergson que le réel est en perpétuel mouvement en inventant cette fameuse expression « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». En effet, d’un moment à un autre, dans l’infime insaisissable, tout semble se restructurer. Ce n’est qu’à un niveau conscient qu’on saisit une certaine unité de perception. On ne remarque pas le mouvement de la graine devenir un arbre ni la montagne devenir poussière. Ce que l’on peut, c’est identifier les différents états des choses. Bergson explique ce changement perpétuel par un souffle fondamental de la vie qui ne cesse de créer qu’il appelle « élan vital ». Par ce souffle, les choses s’échangent entre elles et font le flux d’un mouvement créateur d’originalité. Mais comment alors expliquer l’impression de l’immuable ? John Locke nous donne une réponse dans le rôle de la mémoire. Comment se fait-il par exemple qu’on reconnaît le même navire alors qu’on a changé toutes ses pièces au fil du temps ?  Certainement pour John Locke, les choses changent constamment mais la mémoire de l’impression de ces différents états nous permet la continuité de leur identité. Ainsi, chacun sait identifier et par ailleurs s’identifier à lui-même grâce à la mémoire qui met constamment  à jour sa conscience.

Il semble donc avoir une hétérogénéité de nature en raison et réel de sorte que ce dernier ne peut finalement avoir le sens de l’être. Peut-on véritablement donner sens au réel sans qu’il ne soit construit dans l’entendement ? L’expérience n’est-il pas toujours déjà entendue dans la perception ? Ne faut-il pas comprendre dans le changeant une invitation à revoir cette dernière par la réflexion plutôt qu’à penser un rapport direct à priori impensable avec le réel ?

Partie III : L’entendement du réel comme la synthèse de la raison et de l’expérience

1. L’objectivité du réel comme inaccessible

D’abord, revenons à cette idée que si le réel se donne comme phénomène mouvant c’est parce qu’en soi il serait lui-même de nature mouvante. Cette idée est naïve dans le sens où elle pense la possibilité d’une saisie immédiate du réel en dehors de toute construction rationnelle. Déjà il faut remarquer que le fait même de pouvoir formuler une telle théorie est tributaire du langage qui articule aisément la pensée par l’économie conceptuelle. Le fait est que le réel ne peut qu’être toujours déjà saisi dans une perception adéquate à l’intelligence humaine. Kant nous parle d’une saisie originelle de l’homme par des a priori synthétiques au fondement de notre entendement. Toutes les données extérieures passent nécessairement par ces a priori que sont la condition spatiale et temporelle de l’esprit. On ne peut penser avoir l’unité consciente d’une chose que par ces dispositions. Il semble en effet impossible de penser une réalité qui n’a pas de point de départ ou qui n’est située nulle part. Certes, on peut en formuler des idées mais toutes les idées ont des limites indémontrables. C’est ce que la  philosophie de la logique éprouve quand elle fait face aux fondements indépassables de l’entendement. La logique découvre en cela deux principes. D’un, le principe de l’identité stipule que si A est A c’est que la plus petite unité est distincte par lui-même. De deux, par le principe de la contradiction, A ne peut pas être en même temps A est non A. On pourrait récuser ce second principe par l’idée qu’il y a des espèces qui ont à la fois la fonction du mâle et de la femelle. Il s’agit d’un manque de précision conceptuelle plutôt qu’un paradoxe logique. Un organisme qui est à la fois male et femelle a le concept du transsexuel. Le principe de la non-contradiction se maintient par le fait que l’espèce en question ne peut pas être à la fois transsexuel et ne pas être transsexuel. Cette position indépassable face au réel impose que le réel ne peut pas ne pas être organisé dans un sens vis-à-vis du sujet humain.

2. La dialectique de la raison et de l’expérience comme le sens de l’entendement du réel

Finalement, on se posera alors la question de savoir comment penser l’articulation du rationnel fixatif à l’expérience mouvante. En fait, l’enrichissement progressif du langage nous laisse entrevoir une synthèse entre ces deux modalités de connaissances. Le langage ne cesse de s’enrichir en sémantique et de reconnaître différentes syntaxes dans les différentes langues du monde. Ce qui laisse à penser que le souffle créateur de Bergson peut y être quand même à l’œuvre. Le langage se découvre de nouvelles structures dans le rapport de ces concepts à l’épreuve de l’expérience sensible. Observons la créativité linguistique quand elle met les concepts en rapport analogique pour décrire une expérience inédite. Dans l’attente d’un nouveau concept qui comprend les propriétés uniques d’une chose, on utilise une association de signes pour identifier les choses. Par exemple, le vocabulaire populaire utilise un nouveau sens du mot anglais «woke » qui signifie originalement éveillé par l’idéologie du « wokisme » qui propose l’idée d’une tendance moderne à être politiquement correcte dans les médias avec les minorités auparavant oppressées. L’ingéniosité conceptuelle est nouvelle, car le signe balbutie encore dans l’usage à se trouver une définition suffisante. On remarque par cette ingéniosité que l’entendement use de la raison et de l’intuition de l’expérience pour être perpétuellement mis à jour dans et par les nouvelles épreuves du réel.

Conclusion

En résumé, penser le réel à la fois par le souci rationnel de l’immuabilité est de la nature changeante de l’expérience est possible en éclaircissant les apports de ces deux modalités du rapport au monde. Il nous semble en effet que la raison veut saisir un sens identifiable dans la nature changeante du phénomène qui peut facilement se prêter à la perception confuse et diffuse. La raison y arrive par le concept dans la compréhension et l’extension des caractères de la chose. Il aura aussi semblé que l’abstraction formelle du concept ne peut rendre grâce de la richesse du réel. Si le phénomène est de nature diverse, tel serait aussi le réel qui est dans un mouvement  perpétuel de création. En fait, tout phénomène est déjà un conditionnement intellectuel par les principes logiques fondamentaux de l’intelligence humaine. Nous percevons déjà et toujours les choses par le prisme de cadres à priori.  Le sens du réel ne peut alors qu’être une synthèse entre concept et expérience. Le concept réagit et se restructure avec créativité à travers les expériences nouvelles.

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire