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L’interprétation est-elle un simple jugement ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Interpréter consiste à chercher une compréhension dans les choses qui ne se présentent pas clairement. L’étymologie du mot interprétation à travers le radical « inter » et qui signifie « entre » souligne l’idée de médiation. La médiation en question est entre le sujet et l’entendement. L’artiste interprète médiatise le script et la compréhension de l’auditoire. Le philologue qui interprète le texte, vulgarise le symbolisme du texte en traduisant ce dernier par une expression plus ou moins simplifiée, mais surtout assez claire pour être abordable par l’intelligence commune. Quant au psychanalyste, interpréter consiste à donner du sens aux propos qui à première vue semblent absurdes d’un subconscient qui émerge. On observe dès lors qu’il y a un sujet qui organise nécessairement le sens de l’obscure dans sa perception ; ce qui semble être le synonyme du fait de juger. Mais l’interprétation est-elle un simple jugement ? L’interprétation dans la réflexion consciente de l’ordre des choses semble faire l’épreuve d’une raison à l’œuvre. Il ne semble donc pas s’agir d’une simple perspective subjective, mais plutôt d’une structure produite par une réflexion qui veut faire preuve d’objectivité. Néanmoins, comment alors comprendre que les interprétations peuvent différer d’un sujet à un autre ? Si le rationnel veut faire l’unanimité de l’entendement, pourquoi laisse-t-elle organisé le sens des choses dans la subjectivité ?

Partie I : L’interprétation comme jugement

1. L’interprétation est l’œuvre d’un sujet qui donne sa perception des choses

D’abord, développons cette apparente évidence première que l’interprétation ne soit qu’une perception subjective. Entre l’objet à interpréter et l’entendement qui veut le comprendre, il y a certainement l’activité subjective. Le sujet donne une appréciation basée sur sa culture et son point de vue. Il ne faut pas oublier que le sujet face à la condition de sa disposition subjective. Le sujet a une vision du monde propre qui est prête à organiser sa perception des choses même si elles lui sont extrêmement étrangères. De plus, il faut aussi considérer l’état psychologique du sujet dans son affectivité. Un sujet peut avoir une appréciation fortement sentimentale à la vue de certains signes. Les poètes nous font grâce du symbolisme personnel des choses. L’appréciation de l’objet de l’interprétation est donc limitée dans un prisme particulier. Il s’ensuit que l’interprétation est plus une administration de sens qu’une analyse rationnelle de l’organisation des choses ; d’où la régularité de ces divergences.

2. Interpréter consiste à reconnaître seulement les signes

Le fait est qu’interpréter semble consister à reconnaître automatiquement les signes de sorte que la part rationnelle de l’entendement ne fait que soutenir la démonstration même si celle-ci part de prémisses douteuses. Il faut considérer que l’interprétation porte un sens général qui ne fait que s’appliquer à l’objet à interpréter.  Ce sens général est le conditionnement de l’habitude de la référence aux signes. Le signe a  une valeur communicative plus que qu’ontologique. En effet, le signe est moins destiné à être objectif qu’à communiquer un concept dans l’entendement de différents sujets. Comme le remarque Socrate à Critias dans le Charmide « Pour ma part ! Je t’accorde le droit de définir chaque mot comme tu l’entends, pourvu que tu m’indiques clairement à quoi tu rapportes le mot que tu prononces, quel qu’il soit ». Cette remarque souligne le besoin de prudence dans l’automatisme de nos interprétations. Dans la culture de notre communauté, nous partageons une certaine vision du monde qui s’est conditionnée par le langage. Le langage dans sa familiarité fait un raccourci si économique entre le concept et la chose concrète qu’on oublie de revoir la pertinence de nos concepts. Il s’ensuit que même si on peut quand même faire preuve d’une déduction rigoureuse dans la démonstration de la validité rationnelle de nôtre interprétation, les prémisses de cette démonstration peuvent n’être que la reconnaissance intuitive de ces concepts idéologiques. On ne peut ignorer la rigueur rationnelle de la rhétorique qui vise à persuader qu’on oublie vite de questionner ses fondations.

Ainsi, l’interprétation est jugement car il présume déjà du sens dans l’objet qu’elle observe. Toutefois, ne faut-il pas aussi reconnaître qu’en tant qu’éclaircissement elle est un retour réflexif sur le fondement des choses ?

Partie II : L’interprétation implique la raison en œuvre

1. Un jugement peut-être autant le produit d’une simple intuition qu’une mûre réflexion, mais interpréter pose nécessairement cette dernière

Interpréter rappelons-le consiste à donner une signification claire à ce qui paraît obscur. En fait, la seule perception est celle qui ne croit qu’à l’intuition d’un concept ou plus exactement s’exprime en conséquence de cette dernière. La perception s’impose passivement comme elle se présente à la conscience. Au contraire, l’interprétation est intentionnellement active. Elle est une volonté de dévoilement dans la mise en ordre rationnelle de l’apparence confuse ou diffuse. Ainsi, l’interprète élabore une traduction rationnelle dans la métaphore du texte sacré. Il ne prend pas pour acquis le sens littéral mais veut mettre en contexte les symboles. A quelle culture appartiennent ces derniers, à quel usage sémantique d’une époque et comment la syntaxe les présente pour faire un certain effet. De même que le psychanalyste tente de rendre sensée la narration d’apparence absurde du patient par l’analyse des récurrences thématiques où la résistance psychique fait face à certaines évocations. Qu’est-ce qui semble le plus étrange dans la narration, mais qui insiste à s’exprimer ?  Quel mot quand il est évoqué stimule une tournure évasive ? Sigmund Freud, le père de la psychanalyse insiste  que l’« l’arbitraire psychique n’existe pas ».

2. Juger reconnaît les signes, interpréter crée des signes

En ce qui concerne le fait que l’interprétation puisse n’être que la régurgitation automatique de concepts administrés par une vision du monde, il faut rendre à César ce qui est à César. En fait, c’est le jugement perceptif qui renvoie automatiquement à des signes. L’interprétation ne fait pas que mettre en jeu la perception, elle en crée même activement dans le sens où elle est une faculté de concept. L’interprétation fait la communication entre la chose et la raison de sorte que cette dernière élabore à partir de la première une compréhension précise. L’interprétation identifie les caractères constants de la chose et forme à partir de ceux-ci l’unité des propriétés de cette dernière. De ce fait, l’interprétation enrichit le langage de nouveau concept à signifier et en retour cet enrichissement permet au langage de mieux articuler la pensée réflexive. Cette dernière sera plus performante dans le confort des références conceptuelles qui définit clairement les choses plus qu’à la seule mémoire de l’impression inconsistante des choses.

Il semble donc que l’interprétation ne soit pas un simple jugement mais soit l’épreuve de l’activité de la réflexion. Cela ne répond pas encore à cette interrogation de savoir comment l’interprétation ne permet pas l’accord des esprits si elle fait œuvre de rationalité.  Ne faut-il pas comprendre par là qu’il y a moins dans son processus une suprématie du rationnel qu’une nécessaire dialectique de la raison et de l’intuition ?

Partie 3 : L’interprétation est la synthèse de la perception intuitive et de la lumière rationnelle

1. L’intuition est la fondation intellectuelle de l’interprétation

D’abord, la perception intuitive est ce qui donne la matière à la raison d’ausculter et d’élaborer. Dans la pensée discursive, elle soutient les prémisses indémontrables. Mais encore, si pour Pascal l’intuition est la « la faculté d’aller jusqu’au fond des choses », c’est parce que son impression est toujours ingénieuse. En fait, l’intuition est ce qui permet même la continuité des opérations de la raison. Le phénomène qui éclaircit la cohérence est certes la raison mais celui qui valide la totalité de l’enchaînement est l’intuition. Elle est le sentiment spontané de la pertinence d’une conclusion quand elle procède d’une vision globale de la structuration du raisonnement. En fait, elle est la réponse instinctive d’un esprit qui reste actif en arrière plan de la pensée consciente aux différentes problématiques dont on se fait le souci. L’intelligence fait le lien entre les choses d’une manière presque immédiate que l’esprit ne se saisit pas comme une pensée, soit être à l’œuvre d’une manière consciente.

2. La raison est la lumière de l’interprétation

Enfin, cette fonction qui met de l’ordre dans les choses nous a semblé être la raison. La raison est plus exactement un outil d’observation qui permet l’éclairage de nos propositions pour être validé logiquement qu’un organisateur de sens. La raison ne fait qu’éclaircir les relations qu’il implique dans nos perceptions. Elle rend compte des éléments les plus évidents de cette dernière, soit ceux qui se présentent comme indémontrables ou logiquement suffisants en eux-mêmes, puis elle fait état de leurs articulations dans le tout structurel qui prétend être solide. Ainsi, l’intuition seule  ne peut œuvrer l’interprétation, car si elle est ce qui n’a que la semblance d’une validité et non la clarté c’est parce qu’elle est l’obscure à dévoiler. En elle-même comme simple sentiment, elle revient à n’être rien d’exprimable. Elle a besoin pour cela de la « pensée discursive » par la faculté linguistique qui est initialement permise par sa structure rationnelle. La compréhension dépend de la reconnaissance contextuelle des signes et des règles d’énonciation dans la grammaire. Par ailleurs, le fait que nos  interprétations sont parfois divergentes est la cause d’une intuition mal éclairée qui peut cacher des perceptions subjectives. L’intuition doit devenir transparente dans la démonstration pour pouvoir être entendue et être certifiée par la seule autorité de la raison. C’est pourquoi Henri Poincaré nous dit que la «  logique qui peut seule donner la certitude est l’instrument de la démonstration, l’intuition, l’instrument de l’invention ».

Conclusion

Nous étions parti de la problématique que le rapport entre perception est organisation rationnelle dans la conception de l’idée d’interprétation crée. On est parti de l’évidence que puisque l’interprétation fait nécessairement inclusion de la disposition subjective du sujet, elle ne peut qu’être un jugement. Par ailleurs, elle ne semble être que la reconnaissance automatique des signes dont les concepts nous ont habitués. C’est là réduire l’opération interprétative à son élément qui est la perception. L’interprétation semble être le terrain d’une pensée active dans sa modalité réflexive. Interpréter, c’est activement organiser les choses dans un sens. Par ailleurs, si l’interprétation  reconnaît les concepts, c’est parce qu’elle en est la réalisatrice. Elle améliore la performance de la raison à articuler la pensée grâce à l’économie linguistique qu’elle apporte. En fait, on a finalement remarqué que ni la raison ni la perception ne jouent le premier rôle dans la perception mais toutes les  deux interagissent d’une manière dialectique dont ce dernier est la synthèse. La perception comme intuition donne matière à la raison. Elle est l’axiomatique du raisonnement et la perception d’une vue d’ensemble de sa cohérence. Quant à la raison, elle est l’éclairage de l’intuition. Elle est ce qui rend celle-ci transparente pour être opératoire à ce retour de l’esprit sur lui-même qu’est la réflexion.

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