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La raison peut-elle expliquer le langage ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

Le langage est un système de signe que les êtres vivants utilisent pour communiquer. Ainsi, l’animal émet des signes pour transmettre des informations. Le langage chez l’homme a un aspect rationnel dans le sens où il est conscient et articulé par la raison. Toutefois, quand on n’arrive pas à trouver les mots pour exprimer clairement tel ou tel sentiment, mais seulement par des intuitions symboliques comme les métaphores ou par des émotions instinctives, on se demande finalement si la raison peut expliquer le langage. Car en effet, si le langage vient d’une pensée qui n’est pas rationnellement transparente à elle-même, la raison n’en aurait aucune maîtrise ni même prise. D’où cette problématique que si le langage a pour fonction la communication alors que cette dernière demande une clarté rationnelle, comment se fait-il que le langage puisse être aussi indépendant de la raison dans son inventivité intuitive? Pour résoudre ce problème, nous allons d’abord voir quel est l’enjeu de la rationalité du langage. Ensuite, nous allons aussi exposer la nature du langage comme voulant seulement exprimer avec effet, indépendamment de la raison. Enfin, nous synthétiserons les deux propositions contradictoires par la perspective que la visée du langage n’est en soi que l’expression.

Partie I : L’interprétation rationnelle de l’obscurité du langage

1. La raison éclaircit l’obscurité symbolique du langage

En psychanalyse, le thérapeute-interprète qu’est le psychanalyste fait rationnellement face à la nature symbolique du langage du patient victime d’un trouble psychologique. La psychanalyse postule que les comportements névrotiques qu’on manifeste spontanément et qui affectent d’une manière invasive notre vie sociale sont des langages symboliques qui recèlent des « non-dits » refoulés qui affectent pathologiquement notre vie psychique. Ainsi, le psychanalyste nous invite à une thérapie. La thérapie psychanalytique est une séance confessionnelle qui consiste à faire une investigation interprétative de la psychologie du patient dans sa mémoire symbolique. Le patient  est invité à raconter les événements troublants de sa vie et le psychanalyste y repère les objets ordinaires banals qui sont pertinemment récurrents. Ces objets récurrents sont pertinents, car ils sont symboliques du fait que le patient y a inconsciemment transposé des sens refoulés. Ainsi, un patient qui dans sa narration répète souvent comme motif l’adjectif « rouge » d’une manière négative peut signifier implicitement un traumatisme sanglant dans un passé refoulé. L’examen psychanalytique a donc pour mission d’interpréter rationnellement la vie psychique du patient pour y identifier l’origine de sa pathologie psychologique et de l’aider à se stabiliser

2. La raison met de l’ordre dans ses pensées

Loin de simplement expliquer le langage, la raison est la condition du langage et réciproquement le langage est le tapis rouge de la raison. D’un, la raison est la condition du langage, car d’abord le langage est l’œuvre d’un sujet autonome qui s’est approprié  une sémantique et une syntaxe et qui les applique conformément à leur usage. Ensuite, si le langage a pour fin la communication, la manière dont il connecte deux interlocuteurs doués de raison doit donc être elle-même rationnelle.  De deux, le langage est la voie royale de la raison, car le langage organise la pensée par l’articulation de formes conceptuelles opérables et opérantes que sont les mots. Le linguiste Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale dira même qu’ « il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition de la langue ». Les mots encadrent les idées par les notions qui ont leurs dénotations et leurs connotations d’usage de sorte que la raison peut alors confortablement manipuler notre pensée. Dans ce sens, le langage rationnel dissipe la brume de nos pensées. L’effort de netteté et de cohérence dans le discours éduque la pensée à développer tout son potentiel.  Si Platon dit que la pensée est « un dialogue de la pensée avec elle-même », c’est pour signifier que la pensée n’est vivante que par son autonomie dialogique qui fait l’effort de précision conceptuelle afin de se comprendre et de se faire comprendre.

Ainsi, non seulement la raison peut interpréter l’obscurité du langage symbolique de notre subconscient, mais elle est aussi la condition d’un langage de la pensée qui ne peut se développer pleinement que par elle. Par ailleurs, toute expression du langage se comprend-elle nécessairement d’une manière rationnelle ?

Partie II : L’expression irrationnel du langage

1. Le langage rhétorique n’a pas la rationalité pour fin

Partons de l’art de la rhétorique qui a pour fin l’effectivité de l’expression du langage plutôt que sa qualité discursive rationnelle. La rhétorique est cet art du discours qui a pour fin la persuasion parfois aux dépens de la validité rationnelle du discours. La rhétorique préfère l’utilisation de subterfuges effectifs, soit de stratégies sentimentalement pragmatiques au lieu d’une démonstration rigoureusement sensée. Ainsi, le rhéteur, d’une part, use abondamment de l’éloquence vocale, gestuelle et vestimentaire pour dramatiser ses propos. D’autre part, il préfère les figures de styles qui traduisent émotionnellement les idées à l’exemple de l’euphémisme et de la parabole. Et si le rhéteur veut performer le semblant d’une démonstration dans le souci d’authentifier une certaine habileté intellectuelle, il utilise de longs raisonnements qui finalement peuvent n’être que des tautologies creuses ou fondamentalement invalides. La conclusion ne pouvant être en fait que le produit de la redondance subtile des prémisses ou que les implications soient fondamentalement contradictoires. L’exigence rationnelle d’un discours au contraire veut s’adresser à la raison et seulement à elle. Elle veut expliciter la cohérence de ses implications et se reconnaître dans son objectivité qu’importe les affectivités de l’auditoire. La rhétorique, elle, vise la sensibilité en animant les passions de la foule, des adeptes, des pratiquants ou des croyants, bref d’un public déterminé par des valeurs qui parlent à leur âme. Le langage rhétorique ne peut donc s’apprécier plutôt que s’expliquer par les engouements subjectifs des récepteurs. A quel point l’auditeur est touché ? Qu’il soit motivé ou ébranlé, la rhétorique appelle au cœur plutôt qu’à la raison.

2. Le langage esthétique ne rend pas toujours compte de la rigueur rationnelle

Ensuite, remarquons que le langage n’a pas toujours une visée rationnelle. Dans la littérature artistique, elle a plutôt une visée esthétique. Ici encore, l’effet symbolique du langage et l’éloquence de son expression priment. Ainsi malgré la diversité des courants de pensées et de styles littéraires, les poètes visent essentiellement à inspirer la sensibilité.  Le poète Mallarmé veut un langage poétique dans la pure expression de la résonance des mots ; un langage qui ne s’explique pas mais qui pourtant se comprend universellement par l’élévation spirituelle. Quant à Baudelaire, s’il magnifie les sentiments érotiques, il les dépouille de toute vulgarité bestiale dans une ascèse qu’il nomme le spleen, une dimension que seule la sensibilité extrême peut exploiter.  Enfin, ceux qui se réclament du surréalisme visent à ébranler la vision rationnelle même du monde en se balançant sur une corde raide entre la maladie mentale et le génie artistique. Le surréaliste cherche notamment  l’expression d’un monde psychique intérieur inconscient dans l’écriture automatique. Ainsi, par exemple, le jeu du cadavre exquis consiste à se laisser emporter par l’intuition d’un enchaînement de mots qui n’a aucune visée préalable, mais qui au final invite dans un monde esthétique appréciable. Le langage esthétique n’a de fin en soi que l’aspect esthétique. Même si les critiques d’art et les académiciens tentent de codifier rationnellement les « règles de l’art », ils ne peuvent que circonscrire l’aspect extérieur de l’œuvre qui est la syntaxique poétique et ne peuvent traduire entièrement les sentiments subjectifs que chaque lecteur peut apprécier.

Le langage ne s’interprète pas rationnellement tant il peut n’avoir de fin que l’effet de son expressivité. Comment dès lors finalement comprendre la possibilité du langage dont le mécanisme est rationnel alors que l’expression peut être intuitive ?

Partie III : Le langage est pure expression

1. Si le langage a pour but la communication objective des informations, il trahit ces informations dans sa traduction rationnelle

En effet, l’aspect rationnel du langage trahit nécessairement l’expérience d’un vécu en vue de la communiquer objectivement. Le philosophe Henri Bergson nous fait la démarcation entre le langage et l’expérience du vécu. Pour le philosophe, le langage dans sa traduction rationnelle du réel trahit en quelque sorte l’expérience de ce dernier. En effet, le langage rationnel décrit infidèlement nos vécus par la généralité de la dénomination. La dénomination est le fait de faire abstraction des aspects particuliers de nos vécus en les nommant dans une classification généraliste. Ainsi, si on parle par exemple des sentiments comme l’amour ou la haine, ceux-ci ne peuvent jamais rendre grâce de la particularité de leur vécu subjectif. L’amour que j’ai pour une personne diffère de celui que j’ai pour un autre sans que je puisse  décrire rationnellement entre eux un écart gradué. En fait, Bergson souligne ici plus exactement l’inadéquation du rationnel au réel. Le rationnel fait abstraction, circonscrit, discontinue, définit des constantes alors que le réel dans son vécu est subjectivement particulier, infiniment créateur, fluctuant et inconsistant. De ce fait, Bergson fera l’éloge de l’intuition comme « la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable ». Ce qui veut dire que l’intuition est notre seul contact authentique avec la réalité des choses en elle-même. Si la rationalité tire du réel des lois mécaniques, l’intuition nous connecte avec la pureté de son vécu. Ainsi, nous pouvons distinguer le langage qui veut exprimer l’expérience des choses par une expérience esthétique et le langage qui veut rendre objectiv cette expérience afin de la communiquer explicitement.

2. Le langage à pour visée la seule expression

Ce qui nous amène finalement à conclure que le langage n’a de fin en soi que l’expression. Le langage rationnel vise une expression claire, transmissible et reproductible. Tandis que le langage esthétique vise à transmettre une expérience sensible, subjective et unique d’un vécu. En fait, les deux ordres interagissent nécessairement sans toutefois se confondre. D’une part, le langage indépendamment de ce qu’il veut exprimer et comment il l’exprime a toujours besoin d’une syntaxe. La syntaxe est l’ensemble de règles grammaticales dont le respect de la cohérence permet l’accord des esprits. Si le Chinois et l’Anglais ne se comprennent pas sémantiquement, l’un peut apprendre la langue de l’autre grâce à l’armature rationnelle de leur langue. Si la raison se prête au jeu des règles grammaticales, c’est qu’elle se reconnaît dans leurs entrailles. D’autre part, la sémantique indépendamment de la complexité de son support syntaxique ne peut s’enrichir que par l’intuition symbolique, soit par l’ingéniosité de l’usage inédit et pourtant accrocheur d’un mot dans la description d’un vécu. Ainsi, l’usage d’une connotation inédite fait parfois office d’une nouvelle dénotation.

Conclusion

On s’était demandé comment le langage ayant pour fonction la communication, soit donc la traduction claire et distincte de notre pensée pour se faire comprendre, pouvait-être autrement que rationnel. D’emblée nous avons remarqué que le langage a une nature rationnelle quand il a non seulement pour fonction d’éclaircir notre pensée, mais qu’il en est ni plus ou moins une condition fondamentale. Il nous a donc semblé évident que le langage ne peut être expliqué que rationnellement. Toutefois, nous étions face à d’autres perspectives. Le langage pouvait avoir une visée rhétorique qui se moque de la raison mais aussi une visée esthétique qui dépasse la seule compréhension rationnelle. En fait, on a finalement remarqué que si la raison ne pouvait à elle seule définir tout le potentiel du langage, c’est que le langage n’a de visée authentique que l’expression. Dès lors, si la rigueur rationnelle est exigée, c’est pour définir une syntaxe cohérente d’une logique accessible à la raison. Quant à la partie symbolique qui n’est accessible que par l’intuition, elle vise essentiellement la richesse conceptuelle.

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