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Un homme juste est-il nécessairement libre ?

Ecrit par Toute La Philo

Dissertation de Philosophie (corrigé)

Introduction

La justice renvoie à la perspective du « ce qui doit être ». Cette perspective peut renvoyer à ce qui est rendu par la loi ou à ce qui est moralement juste. En ce qui concerne la liberté, dans l’absolu elle peut se comprendre par le fait de pouvoir faire ce qui plaît à soi. La liberté se ressent surtout dans l’affranchissement d’une contrainte, d’une oppression ou d’un poids. En ce sens, un homme juste serait à la fois une personne qui n’est pas privée de ses droits en plus d’être délestée du poids de sa conscience. Toutefois, si la conscience pèse, on peut aussi considérer la perspective qu’il n’est pas vraiment libre du fait de son souci de justice. Comment alors concevoir la liberté à travers ses deux positions contradictoires vis-à-vis de la justice. Ou plus exactement, comment peut-on être à la fois libre et contraint devant la conscience de la justice ? Pour résoudre ce problème, il nous faut passer par les développements suivants. Premièrement, demandons-nous pourquoi la société nous offre une forme de liberté dans sa justice, mais aussi pourquoi l’affranchissement du poids de la conscience pourrait nous apporter un sens de liberté. Deuxièmement, il faut comprendre dans quel sens la liberté que nous offre la société peut ne pas être véritablement une et que par ailleurs, celle de la conscience morale non plus dans le sentiment d’obligation. Finalement, proposons un dépassement à ces deux perspectives contradictoires dans la considération d’une justice qui ne peut être qu’autonome.

Partie I : L’homme juste est libre dans ses droits et dans sa conscience

Un homme juste est libre par ses droits

Remarquons de prime abord ce qui semble le plus évident. L’homme libre est celui qui n’a aucune charge devant les institutions de justice. Il faut entendre ici la justice comme le sens du droit positif. L’homme libre est celui qui a l’avantage d’exercer ses droits à l’opposé du hors-la-loi proscrit et privé de ces derniers. Par ailleurs, en respectant le code civil et en dénonçant la criminalité, le citoyen contribue au système objectif du droit qui départage impartialement le droit de chacun.  En ce sens, la légitimité de cette justice est politique. Chacun s’oblige à des règles objectives qui les rendent égaux devant les privilèges de la société, comme la sécurité publique et le libre commerce. Ainsi, l’individu est juste et libre par ses droits et par la préservation de ceux des autres

Un homme juste est libéré de sa conscience

Il faut aussi observer le poids dont la conscience morale nous charge si on n’agit pas en conséquence. La conscience morale est cette capacité communément admise comme ce qui fait notre humanité. Elle consiste au fait d’être présent à soi dans ses pensées et dans ses actions et qui apparaît comme sachant discerner entre ce qui est bien et ce qui est mal. De ce fait, elle peut être ressentie comme un poids, car elle précède le jugement moral qui occupe considérablement notre pensée. Pour s’en délester, il nous faut aller jusqu’au bout de sa réflexion et agir en conséquence.  Au moindre doute, elle revient en charge sous la forme du remords ou du regret. Suivre sa conscience est un soulagement, car elle est souvent incapacitante dans nos pensées et nos actions.

Un homme juste serait alors libre dans le sens où il observe ses droits et lèse sa conscience en faisant ce qui lui paraît juste. Toutefois, si la justice se pose quand même comme condition de la liberté, peut-on vraiment parler de liberté ?

Partie II : L’homme juste se sent plus obligé que libéré

La liberté est limitée par la justice

On peut aussi considérer la perspective que la justice elle-même conditionne la liberté jusqu’à ne plus proprement parler de liberté, mais plutôt d’une permission devant des règles imposées. En effet, dans le sens où la justice est le sens du droit positif, être juste signifie faire constamment attention aux règles du droit. Or, il y a dans cette perspective l’implication du sentiment de contrainte plus que de celui d’une liberté. En fait, on peut considérer que les règles du droit ne sont en soi que des limitations imposées pour de simples raisons politiques. Les règles du droit sont nées de conditions relativement historiques et socio-culturelles d’une société. Elles n’ont pas dans leur fonction politique la priorité de la justice morale. Ce qui importe au droit est de maintenir le bon fonctionnement d’un état aux égards des perspectives subjectives des individus. En ce sens, le droit édicte ce que l’on doit faire, ce qui nous est permis et ce qui nous est interdit en toute objectivité politique. Le problème vis-à-vis de l’idée de liberté est le fait qu’elles doivent avoir un caractère oppressant pour être effectives. Elles doivent être accompagnées de conditions sévères dans les sanctions de leur omission, car on ne peut pas toujours compter sur la seule foi au bon sens de l’homme raisonnable. Ainsi, si on peut confortablement dire que ceci ou cela est juste, c’est surtout parce qu’on sait que la loi est derrière nous. Pourtant, on sait aussi qu’elle est comme l’épée de Damoclès dans la moindre suspicion de nos conduites.

Un homme juste n’a pas la conscience libre

D’autre part, on peut aussi prendre à revers l’idée d’une conscience libérée par la justice. L’homme qui se veut être juste est, remarquons-le aussi, tout le temps aux aguets de l’injustice. Ce qui lui apparaît comme du leste quand il honore la justice n’est en fait qu’un répit temporaire, car le souci de justice n’est jamais loin d’une âme avisée du bien et du mal. Il faut considérer que cette capacité de discernement entre le bien et le mal est justement la première condition de ce poids de la conscience, car on ne peut voir autrement les choses. Imaginons cette petite enfance où tout paraissait si simple avant que l’on puisse concevoir la misère humaine. Dès qu’on rencontre le regard de l’autre dans sa fragilité face à la souffrance, on ne peut qu’en être responsable, même si ce n’est que durant le passage de ce regard. La conscience morale est comme le boulet du prisonnier qui, à un moment, peut paraître supportable, mais qui à jamais s’impose dès qu’on a pu concevoir l’injustice.

Ni la justice positive ni le souci de justice ne semblent donc pas si libérateur dans leurs obligations. Toutefois, ne peut-on pas penser notre liberté comme la capacité d’adhérer ou non à cette obligation de justice plutôt qu’être absolument sans condition ?

Partie 3 : Il n’y a pas de justice sans l’autonomie de sa réflexion

Il ne suffit pas de se croire être juste pour être juste

D’abord, il nous faut problématiser l’idée même de ce qu’est un homme juste. L’homme juste ne peut pas être juste celui qui se croit être juste car si le sentiment de justice paraît évident, la conception de ce dernier ne l’est pas toujours pour autant. Le simple sentiment peut être faussé par des principes qui ne sont pas transparents à nous-mêmes mais que nous régurgitons simplement d’une manière automatique. D’abord, si les principes paraissent évidents, ce n’est pas toujours l’œuvre d’une réflexion suspicieuse. Ils relèvent d’un sentiment d’évidence avant toutes réflexions, car ils peuvent avoir été fortement ancrés et posés comme repères en nous par une solide éducation culturelle. Depuis nos préceptes familiaux à ceux des différentes communautés qui nous sont socialement chères, on définit la justice par ce qui est communément admise comme sacrée plus que ce qui survit à la profonde réflexion d’une remise en question. Ce qui semble juste n’est alors que ce qui préserve socialement aux dépens de ce qui convient d’une manière rationnelle. Ainsi, il nous arrive finalement de discriminer ceux qui ne nous sont pas familiers. Nous n’arrivons pas à reconnaître l’importance du particulier et nous devisons une justice inéquitable par les repères réducteurs de nos principes qui ont leur particularité culturelle. Par ailleurs, si on arrive quand même à dépasser le conditionnement culturel, le sentiment ne peut plus que peser, car il faudra alors choisir entre la véritable justice et ce qui nous est cher.

La justice est l’œuvre d’un agent autonome où elle n’est pas justice

Il faut donc par ailleurs que l’homme juste entretienne un rapport autonome avec la justice où cela ne sert à rien de parler d’une justice comme un acte humain. Il faut comprendre que la véritable justice est celle d’un agent autonome. D’abord, parce que ce qui est juste n’est pas un simple fait. Le loup qui épargne l’agneau par satiété n’est pas plus juste que le beau temps qui suit l’orage. Il n’y a pas lieu de parler de ce qui « doit être » dans les nécessités de la nature. Il y a dans la justice un agent qui juge en tant qu’ interprète dans ses observations. Ce juge peut alors faire preuve d’équité, car il y a une réflexion qui arrive à discerner et à considérer les proportions appropriées. Mais plus fondamentale encore, la pensée du juste n’est pas celle qui est automatisée par l’habitude ou par la crainte d’une oppression extérieure. La pensée du juste est celle qui sait se donner à elle-même ses propres directives selon la toute rationalité des choses.

L’homme juste comprend la responsabilité d’être juste

Puis finalement, un homme juste reconnaît le poids de la responsabilité de la justice. La pensée de la véritable justice, celle qui dépasse les seules conditions affectives, est souvent problématique.  Car, il arrive que nous cogitons entre le respect de notre communauté ou l’idéal de l’universelle dans le salut d’un individu. Il arrive qu’on pèse l’action politique par rapport à l’action morale. Enfin, il arrive que l’on discerne difficilement entre l’impartialité et l’équité. Le fait est que chaque situation ait sa justice mais que fondamentalement il ne faut pas fuir devant ce poids de cette conscience en choisissant le confort d’une autorité morale sans examen. En ce sens, la liberté en elle-même est un poids puisqu’elle nous enjoint à en être responsable. La liberté est avant tout la conscience du choix. Or, elle pèse car nous ne pouvons pas ne pas choisir et que tout choix implique la responsabilité des conséquences qui sont accessibles à notre conscience. Si l’homme juste semble donc trouver une aporie entre le poids de la conscience et la justice, c’est qu’il ne fait pas preuve d’une liberté inconditionnelle mais d’une liberté responsable.

Conclusion

En résumé, la question aura été finalement de situer où dans la conscience morale de la justice faisons-nous véritablement l’épreuve de la liberté.  D’abord d’une part, il nous a paru que l’homme juste dont le sens où il observe ses droits soit socialement libre. Or, on est venu à aussi considérer que les droits sont des formes de limitations politiques qui ont leurs contraintes. D’autre part, si l’idée de liberté comme affranchissement par rapport à la conscience de la justice renvoie à la satisfaction de celle-ci, on peut aussi réfuter que cette conscience est justement plus oppressante que libératrice. En  fait, il fallait considérer que la justice soit la considération d’un agent autonome où il n’aurait aucune substance morale. La justice doit être pensée par une observation qui dépasse les seules habitudes culturelles et les contraintes sociales où elle ne peut être véritablement impartiale ou équitable. Puis enfin, le souci de justice est certainement un poids, mais il faut entendre par poids non une contrainte, mais une obligation. L’homme juste doit considérer que sa liberté n’est pas sans la condition de sa responsabilité.

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