Cours

Cours de Philosophie sur la justice

Ecrit par Toute La Philo

Qu’est-ce que la justice ? Avons-nous en tant qu’homme les ressources nécessaires pour avoir pleinement connaissance de ce qui est bien et de ce qui est juste ? Sommes-nous réellement capables de savoir ce qui est injuste ? Si celle-ci nous ait causé, à nous personnellement, nous en sommes capables, mais est-ce que celle-ci n’est pas subjective ? Si un homme est infidèle avec sa compagne, il sera injuste pour elle, toutefois, il sera juste pour lui, n’ayant plus d’amour pour elle, il sera parti voir ailleurs. Partons ensemble à la découverte de ce qu’est la Justice.

A quoi sert la justice ?

Le Larousse définit la justice comme un “principe moral qui exige le respect du droit et de l’équité.”, c’est une “qualité morale qui invite à respecter les droits d’autrui.”. Elle est également définie comme une “action par laquelle le pouvoir judiciaire, une autorité, reconnaît le droit ou le bon droit de quelqu’un.”. Nous pouvons alors nous demander ce que serait la société sans la protection de la justice ? L’homme est-il juste par nature ou a-t-il besoin de loi pour le contrôler et le sanctionner afin que la société ne sombre pas dans le chaos ?

La justice sert à apporter l’ordre

À partir du postulat, “l’homme est un loup pour l’homme”, Hobbes affirme qu’à l’état de nature, l’homme est fondamentalement mauvais. Ce n’est que la justice qui permet à l’être humain de devenir bon et que cette dernière n’existe que par les lois. Il construit alors sa théorie du Léviathan : “Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. Dans un tel état, il n’y a aucune place pour une activité laborieuse, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu’elles requièrent beaucoup de force ; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps ; pas d’arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève
Selon Hobbes, ne pouvant pas s’entendre entre eux, les hommes ont besoin d’un tiers pour se respecter. Ce tiers, c’est Le Léviathan, le souverain, l’Etat, pour lequel les hommes se doivent de renoncer à leur liberté naturelle au profit d’une sécurité garantie par ce souverain.
Ce philosophe anglais pense la justice et l’injustice en termes de “contrat social”. Respecter ce contrat social, c’est maintenir une paix sociale où les hommes délèguent la totalité de leur pouvoir dans les mains d’un seul souverain, le Léviathan. L’état de nature est injuste et la justice, c’est faire respecter la loi. Avec son histoire du berger Gygès, Glaucon* illustre ce que le philosophe anglais essaye de nous faire comprendre. Gygès est un citoyen modèle qui tombe sur un anneau qui a le pouvoir de le rendre invisible. Cette invisibilité lui donne alors le pouvoir de faire tout ce qu’il veut sans risquer de se faire prendre : il vole, il viole, il tue. Ce citoyen modèle devient alors un malfaiteur. Ainsi, pour Glaucon, si les hommes respectent la loi, c’est qu’ils ont peur d’être sanctionnés, la justice n’est donc qu’une contrainte sociale qui permet d’apporter de l’ordre.

Hobbes précise également que “De cette guerre de tout homme contre tout homme résulte aussi que rien ne peut être injuste. Les notions de bien et de mal, justice et injustice, n’ont pas leur place ici. Là où n’existe aucun pouvoir commun, il n’y a pas de loi. Là où il n’existe pas de loi, il n’y a aucune injustice. La force et la ruse sont en temps de guerre les deux vertus cardinales. La justice et l’injustice ne sont aucunement des facultés du corps et de l’esprit. Si elles l’étaient, elles pourraient se trouver en un homme qui serait seul dans le monde, aussi bien que ses sensations et ses passions. Ce sont des qualités relatives aux hommes en société, non dans la solitude. Il résulte aussi de ce même état qu’il ne s’y trouve pas de propriété, de domination, de distinction du mien et du tien, mais qu’il n’y a que ce que chaque homme peut obtenir, et aussi longtemps qu’il peut le conserver.”. Ainsi, pour ce philosophe anglais, les qualités morales n’existent qu’à travers la construction d’une société constituée de lois communes. L’individu seul ne dispose pas de ces qualités morales. La sécurité du peuple ne peut être possible que si les lois instituées par le Léviathan sont respectées. Le contenu de la loi importe peu, seule la forme prédomine : la justice, c’est le respect inconditionnel des lois imposées.

* Glaucon était un sophiste. Il a été le disciple de Socrate.

La justice serait-elle un ordre idéal ?

Dans La République, Platon tente de répondre à deux questions : ”qu’est-ce qu’une cité juste ? ” et “qu’est-ce qu’une âme juste ? ” En cherchant à répondre à ces questions, Platon recense les 4 vertus cardinales.

  • La première vertu cardinale est celle de la prudence. Proche du terme de “sagesse” (sophia), cette première vertu permet à l’individu de discerner par lui-même si son action est bonne ou mauvaise. C’est un examen de la conscience qui permet à l’être humain de voir au plus profond de lui-même afin de prendre la meilleure décision. Cette première vertu cardinale a été illustrée par Kant avec les impératifs catégoriques*.
  • La deuxième vertu cardinale est celle du courage ou la force. Par force, on désigne la force d’âme. Cette deuxième vertu permet à l’homme de surmonter la peur qui est la plus grande faiblesse de l’homme. Pour Platon, ce sont les soldats, les braves, qui disposent pleinement cette vertu cardinale. Ce sont eux qui assurent la protection de la cité contre toute agression, intérieure comme extérieure.
  • La troisième vertu cardinale est celle de la tempérance ou de la modération permettant à l’homme de se maîtriser. Elle permet à l’individu de se modérer afin que ses passions ne l’emportent pas sur sa raison. Pour Platon, ce sont les individus ordinaires.
  • La quatrième vertu cardinale est celle de la Justice permettant à l’être humain d’apporter à chacun ce qui lui est dû. Pour Platon, c’est la vertu la plus importante, car elle permet aux trois autres d’exister et de prospérer. En connaissant le bien, Platon précise que seuls les sages sont en capacité de délibérer avec sagesse et ainsi de rendre justice.

* Les impératifs catégoriques ont été théorisés par Kant. Avant de se décider à choisir toute action, il convient de réfléchir à l’universalité de cette action pour discerner si celle-ci est immorale. Ainsi, si je souhaite tuer mon voisin en cas de désaccord, je dois me demander si j’accepte de vivre dans un monde où le fait de tuer son voisin pour un simple désaccord serait toléré. La réponse est non, personne ne souhaiterait vivre dans un monde comme cela, donc mon action est immorale.

Étant capable de faire un bon usage de sa raison, Platon affirme que seuls les philosophes sont en capacité de gouverner une cité. Platon prône le gouvernement des experts dans lequel ceux qui disposent d’un certain savoir sont légitimes pour gouverner auprès de ceux qui ne possèdent pas ce savoir. Ce dernier est d’ordre éthique : c’est en ayant connaissance du bien que le philosophe est sage et donc par conséquent est en capacité de gouverner avec sagesse et de maintenir un ordre juste au sein d’une cité.

Toutefois, cette idée d’ordre juste tel que défini par Platon a été sujet à controverse. En effet, pour les sceptiques antiques, il est difficile de définir quelqu’un de sage, car tous les hommes sont amenés à croire qu’ils disposent pleinement de cette qualité. Connaître le bien se révèle donc être une tâche beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. D’autant plus qu’on peut amener à penser que l’on instaure un ordre juste alors que celui-ci est injuste. Le fait de penser que l’on a connaissance du bien ne signifie pas qu’on le connaît véritablement. Ainsi, on peut être amené à croire que l’on fait le bien alors qu’en réalité, on fait le mal. On croit avoir connaissance du bien, mais on l’ignore : “ceux qui croient savoir, mais qui ignorent qu’ils ignorent” (Alcibiade de Socrate).

Quels sont les liens entre la Justice et le Droit ?

Quand la Justice est contre le droit

La révolution marxiste pour s’extirper d’un ordre injuste

Pour Marx, l’ordre du monde est injuste puisqu’il repose sur l’exploitation des prolétaires*, dite la classe ouvrière, par la classe bourgeoise, ceux qui détiennent les capitaux. Dans son ouvrage, Le Capital, le philosophe affirme que la bourgeoisie est la classe dominante qui dispose des moyens destinés à la production économique. À l’inverse, la classe ouvrière ne possède que leur force de travail.

Karl Marx distingue deux temporalités dans le travail des prolétaires :

  • le temps de travail dit “nécessaire” correspond au temps passé par un travailleur pour assurer sa propre subsistance ;
  • le temps de “surtravail” correspond au travail en plus fourni par le travailleur pour servir l’accroissement du capitalisme et générer plus de profit pour l’entreprise.

C’est cette deuxième temporalité, le temps de “surtravail” que Marx dénonce. Selon lui, il dessert le prolétaire et n’existe que pour enrichir l’entreprise et les patrons qui la dirigent. Pour établir un ordre juste, il est impératif que l’on passe par une révolution du prolétariat. Cette dernière fait partie d’une lutte de classe, qui selon Marx, constitue l’histoire. En effet, pour lui, toutes les révolutions n’ont été que des luttes de classe. La Révolution Française n’est pour Marx qu’une lutte de classe, maquillée sous les traits d’une révolte populaire, pour que la bourgeoisie puisse prendre le pouvoir. Effectivement, à cette époque, le monde était une configuration triangulaire : la noblesse, l’Église et le Tiers-Etat. Le Roi était au centre de cette structure, le souverain, celui qui permet aux 3 autres classes d’exister. Par le commerce et autres activités lucratives, certaines personnes issues du Tiers-Etat se sont mis à s’enrichir. Une quatrième classe est née : celle de la bourgeoisie. Cependant, dans cette structure triangulaire, elle n’avait aucune place. La Révolution Française a donc permis à la classe bourgeoise de renverser le roi pour venir à sa place au centre de cette configuration triangulaire.

Pour Marx, les événements vont se reproduire, car la bourgeoisie permet l’avènement d’une nouvelle classe de prolétaire révolutionnaire. Toutefois, là où la classe bourgeoise n’a défendu que ses propres intérêts à l’issue de sa victoire face à la monarchie, le prolétariat, qui représente le peuple, agira au nom du peuple. Cette révolution prolétaire aboutira à un régime communiste où les moyens de production appartiendront à toutes les classes et non à une seule.

* prolétaire : « Ouvrier, paysan, employé qui ne vit que de son salaire (opposé à capitaliste, bourgeois) » (Le Petit Robert)

La désobéissance civile

Là où Marx prône la révolution comme étant la seule solution pour s’élever contre un ordre injuste, d’autres sont plus mesurés. Certains invitent à la désobéissance lorsque les lois ne sont pas en accord avec l’idéal de justice. En 1849, le philosophe Henry David Thoreau précisait déjà dans son ouvrage Désobéissance Civile que “Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne.”
Ainsi, si une loi est injuste, voire absurde, en tant qu’individu, nous ne devons pas cautionner ce système injuste. Nous devons résister en désobéissant.

Par exemple, jusqu’en 2012, la loi française interdisait à toute femme de s’habiller comme un homme. Si elle voulait s’habiller ainsi, elle devait demander une autorisation délivrée par un officier de santé. Une loi qui ne concernait pas les hommes qui pouvaient s’habiller en femme s’ils le désiraient et toute impunité.

Autre exemple, une loi datée de 1810 interdisait formellement la destruction d’un billet, considérant que cet argent n’appartient pas à son porteur, mais à la Banque Centrale. Cette loi a été abrogée en 1994.

Selon Thoreau, la désobéissance est un devoir moral qui permet d’institutionnaliser une injustice. La désobéissance est donc une praxis nécessaire pour obtenir un ordre plus juste.

En 1846, suite à son refus de payer les impôts qu’il considérait comme étant la source d’un financement d’un système injuste, Thoreau a passé une nuit en prison. Par cette désobéissance, il avait à cœur de témoigner son refus de l’esclavage. Plus d’un siècle plus tard, c’est Serge Gainsbourg qui, le 11 mars 1984, brûle un billet de 500 francs sur le plateau de TF1 pour protester contre le “racket des impôts”.

Une autre désobéissance s’est déroulée en 1955 suite au refus de Rosa Parks de céder sa place assise à une personne blanche. On a alors assisté au boycott des bus de Montgomery dans l’Alabama. C’est d’ailleurs cette désobéissance civile qui a permis de contribuer à l’arrêt de la ségrégation dans les espaces publics.

Cependant, cette désobéissance qui permet, par l’action, de refuser de suivre certaines lois dite “injuste” pour amener un ordre idéal par rapport à l’ordre établi est assez difficile à appréhender. En effet, qu’est-ce qui justifie que cette loi soit injuste ? Par exemple, la réglementation obligeant toutes les personnes qui entrent dans un centre commercial à ne pas dissimuler son visage a été mise en place pour reconnaître les voleurs. Toutefois, cette réglementation est qualifiée d’injuste pour une personne qui porte le voile, du fait de son appartenance religieuse. Cette notion de justice idéale reposerait donc plus sur une appréciation subjective. Nietzsche, dans son deuxième volume des Considérations inactuelles, explique que l’ordre établi actuel s’est construit sur la critique du passé. Il appelle à la méfiance quant aux prétentions d’un ordre idéal, car celui-ci pourrait être en réalité l’ordre établi d’une époque précédente.

L’idéal de justice : un idéal relatif à certaines époques et certains contextes

Le positivisme juridique selon Hans Kelsen

Dans la Théorie pure du droit, Hans Kelsen s’oppose au droit naturel qu’il considère comme une doctrine irrationnelle selon laquelle la nature est l’expression d’un ordre raisonnable ou de la volonté divine. Pour lui, le droit naturel laisse sous-entendre un intérêt collectif alors que les intérêts individuels prédominent. En précisant que “la théorie pure du droit est une théorie du droit positif”, Kelsen prend parti pour positivisme juridique.
Selon lui, le droit n’est pas naturel ou idéal mais à la fois effectif et positif.

Il explique alors que “l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques”. Pour Kelsen, la définition de la justice est relative et il n’existe pas de forme universelle de droit, ce n’est qu’une structure normative hiérarchique.

S’en tenir au droit en vigueur

De la même façon que Socrate définissait dans Alcibiade, “ceux qui croient savoir, mais qui ignorent qu’ils ignorent”, Blaise Pascal estime que ceux qui prétendent avoir la connaissance de ce qui est juste sont des ignorants. Selon lui, il faut s’en tenir au droit en vigueur et se méfier des idées révolutionnaires qui, au lieu d’apporter un ordre plus juste, pourraient mener au chaos.
Il s’oppose formellement à la justice naturelle qui, selon lui, n’existe pas. Seule la “coutume” existe, soit une justice conventionnelle.

Dans ses Pensées, Blaise Pascal développe clairement les idées susmentionnées : “Sur quoi la fondera‑t‑il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ?[…] Sera‑ce sur la justice, il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat, […] Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au‑deçà des Pyrénées, erreur au‑delà.[…]
La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité, qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi, elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage.[…] L’art de fronder, bouleverser les États est d’ébranler les coutumes établies en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. Il faut, dit‑on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a abolies. C’est un jeu sûr pour tout perdre, rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu’ils le reconnaissent. Et les Grands en profitent à sa ruine et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes, il faut souvent les piper.”

Pour Pascal, si nous sommes incapables d’avoir une réelle connaissance de ce qui est juste, le pouvoir mis en place doit être conservé pour garantir un certain ordre. Contester le pouvoir mis en place est “jeu sûr pour tout perdre”. En effet, cette prise de position peut amener vers une guerre civile et mener le pays dans le chaos.

La justice en tant que forme de domination

La justice vue par Nietzsche

Là où l’on pourrait penser que la justice est censée être impartiale et égalitaire, Nietzsche explique qu’il n’en est rien est qu’elle est fondée sur l’inégalité. Il discerne deux acceptions de la justice, celle en tant que rapport de forces entre :

  • des individus d’une puissance égale (la justice des forts) ;
  • des individus d’une puissance inégale ;

La justice (l’équité) prend sa source parmi des hommes à peu près également puissants. Comme Thucydide l’a bien compris (…). Là où il n’y a pas de puissance clairement reconnue pour prédominante et où une lutte n’amènerait que des dommages réciproques sans résultat, naît l’idée de s’entendre et de traiter au sujet des prétentions de part et d’autre : le caractère de troc est le caractère initial de la justice. Chacun donne satisfaction à l’autre, en ce que chacun reçoit ce qu’il met à plus haut prix que l’autre. On donne à chacun ce qu’il veut avoir, comme étant désormais sien, et en échange, on reçoit l’objet de son désir. La justice est ainsi une compensation et un troc dans l’hypothèse d’une puissance à peu près égale : c’est ainsi qu’originairement la vengeance appartient au règne de la justice, elle est un échange. Voilà pour l’origine de la justice. Parce que les hommes, conformément à leur habitude intellectuelle, ont oublié le but originel des actes dits justes, équitables, et surtout parce que durant des siècles, les enfants ont été instruits à admirer et à imiter ces actes, peu à peu est née l’apparence qu’un acte juste serait un acte non égoïste” Dans cette citation issue de Humain, trop humain, Nietzsche que ce sont les rapports de force entre les individus qui donnent naissance à la justice. Si la justice des forts est perçue comme une justice égalitaire, c’est qu’il n’est pas possible d’annihiler ou de soumettre un ou plusieurs individus disposant d’une force égale. Dans ce type de justice, la vengeance est juste, car elle permet de réparer les dommages à un individu qui a rompu le contrat réciproque : œil pour œil, dent pour dent !
Toutefois, cette justice n’est égale qu’entre deux individus disposant d’une même force. Les faibles sont alors dominés par les plus forts.

Dans la Généalogie de la morale, Nietzsche parle de la morale des faibles, que l’on peut qualifier de justice des faibles, qui tentent d’inventer une morale selon laquelle tous les hommes seraient égaux.

Ainsi, la justice pour Nietzsche est une qualité que les individus s’attribuent. Les forts pensent être justes en utilisant une justice qui leur est favorable dans laquelle ils peuvent asservir le faible et ce dernier croit également être juste contre l’injustice réalisée par les plus forts.

Michel Foucault et sa critique du système pénal

Le Petit Robert définit la prison comme un “établissement clos aménagé pour recevoir des délinquants condamnés à une peine privative de liberté, ou des prévenus en instance de jugement.”
Ainsi, lorsqu’un individu commet certaines sanctions, il peut, selon la décision de la justice, être amené à être privé de sa liberté.

Dans son ouvrage Surveiller et punir, Foucault démontre que le système judiciaire ainsi que le monde carcéral sont des formes instituées de domination. Les personnes ayant commis des sanctions sont emprisonnées afin qu’elles puissent être “transformées”. L’idée est alors de “guérir” ces déviants qui ne respectent pas la norme. La justice est donc un instrument de contrôle social et de régulation. Ceux qui sont dangereux pour la société sont enfermés pendant de longues années afin de maintenir l’ordre établi et les autres purgent une peine afin qu’ils puissent être « guéris » de leur non-conformité. L’idée est alors de les rendre conformes à la norme en vigueur.

Conclusion

Là où certains penseurs, comme Rousseau, estiment que l’homme est bon, de par sa nature, est peut donc être capable de distinguer le bien du mal, ce qui est immorale de ce qui est morale, d’autres pensent que bien que nous soyons en capacité de faire la distinction, la connaissance du bien et de ce qui est juste est difficile à appréhender. Si à l’échelle individuelle, nous ne sommes pas en capacité d’avoir connaissance de ce qui est juste et bien, c’est parce que les intérêts de chacun sont confrontés.
Bien que la justice ne soit pas infaillible, elle est ce qui permet de maintenir l’ordre. Si l’homme n’est pas soumis à des lois qu’il doit respecter, il n’a pas peur de la sanction et réagit comme il le souhaite en fonction de ses propres intérêts. La justice permet donc une certaine sécurité pour le peuple. Choisir de se rebeller, que ce soit en tant que révolutionnaire ou en tant qu’individu choisissant de désobéir à certaines règles que l’on trouverait “injuste” indique que nous sommes en capacité d’avoir pleinement connaissance de ce qui est juste. Mais cette loi est-elle injuste parce que nous la pensons comme telle ou l’est-elle réellement ? Peut-être que ce que nous croyons injuste est juste pour les autres et vice-versa !
Toutefois, en France, il existe plusieurs justices, c’est pour cela que nous parlons de “justice à deux vitesses”. Si un individu percute une autre voiture en étant en état d’ébriété, sous l’effet de la drogue tout en se prenant en selfie et qu’il tue des gens, la justice sera beaucoup plus clémente avec lui s’il dispose de moyens financiers conséquents. Pourquoi ? Parce qu’il sera en mesure de payer un avocat, à un prix très élevé, pour être défendu. Le rapport de force que précisait Nietzsche n’est pas qu’en rapport avec la force physique, mais peut être en référence avec la force de la fortune d’un individu.
Pour autant, avoir le désir de renverser l’ordre établi pour ces raisons peut nous amener vers le chaos et un système beaucoup moins sécure. La justice est ce qu’elle est, elle n’est ni mauvaise, ni bonne, elle n’est qu’un moyen de maintenir l’ordre afin que les hommes ne soient pas tentés d’agir selon leur propre intérêt, et ce, au détriment des autres, ce qui pourrait amener l’humanité à sa propre destruction.

Que pensent les auteurs de la justice ?

Alain, « La justice, c’est l’égalité. Je n’entends point par là une chimère, qui sera peut-être quelque jour : j’entends ce rapport que n’importe quel échange juste établit aussitôt entre le fort et le faible, entre le savant et l’ignorant, et qui consiste en ceci, que, par un échange plus profond et entièrement généreux, le fort et le savant veut supposer dans l’autre une force et une science égale à la sienne, se faisant ainsi conseiller, juge et redresseur »

Aristote, Ethique à Eudème « Ce qui est juste est quelque chose d’égal »

Kant, Métaphysique des mœurs « Ce qui est conforme aux lois extérieures s’appelle juste, et ce qui ne l’est pas, injuste », « Le juste ou l’injuste est en général un fait conforme ou non-conforme au devoir »

Platon, La République « L’homme juste établit un ordre intérieur, il harmonise les trois parties (raison, colère, désir) de son âme absolument comme les trois termes de l’échelle musicale »

Proudhon, De la justice dans la révolution et dans l’église « Justice est le produit de cette faculté de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne : c’est le respect, spontanément éprouvé et réciproquement garanti, de la dignité humaine, en quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve compromise, et à quelque risque que nous expose sa défense »

Spinoza, Traité théologico-politique « La justice est une disposition constante de l’âme à attribuer à chacun ce qui d’après le droit civil lui revient« 

A propos de l'auteur

Toute La Philo

Laisser un commentaire