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Cours de Philosophie sur l’inconscient

Ecrit par Toute La Philo

Qu’est-ce qu’est l’inconscient ? Que se passe-t-il lorsque nous rêvons ? Pourquoi un dangereux chauffard est-il qualifié d’inconscient ?

Ces pensées qui nous échappent auxquelles l’individu n’a pas accès se manifestent dans nos vies sans que nous ne soyons en mesure de les expliquer. Une personne qui se retrouve dans le coma, un individu qui dort, l’usage de l’hypnose.
Les philosophes n’ont pas attendu Freud pour se rendre compte qu’il existe une partie de notre psychisme qui nous échappe. Dans sa théorie de la réminiscence, Platon exprime l’idée d’un souvenir inconscient qui pourrait être l’écho d’une autre vie. Sur son Essai sur l’entendement humain, Leibniz (1640-1716) traite de ses “petites perceptions” qui échappent à l’individu. Nietzsche (1844-1900) définit la conscience comme étant composé d’une pluralité de forces, “la volonté de puissance” luttant continuellement les unes avec et/ou contre les autres. Il remet alors en cause la conception classique de la conscience humaine.
Progressivement, la notion d’inconscience se met en place sans qu’elle ne soit clairement définie.

Quelle est la notion d’inconscient ? Comment se manifeste-t-il ? Partons ensemble à la découverte de ce qui échappe à nos perceptions.

Quelles sont les marques de l’inconscient ?

Si l’existence de la conscience a été théorisée par de nombreux philosophes, elle a permis progressivement de mettre en lumière l’inconscience.
Du fait de certaines perceptions qui nous échappent, l’inconscient, formé du préfixe privatif in- , existe. L’homme a des pensées conscientes et des pensées inconscientes et ces dernières ont une existence propre.

Quelles sont les perceptions qui échappent à l’homme ?

Les actions réflexes

Nous pensons que nous avons conscience de tout ce que nous désirons, de tout ce que nous percevons ainsi que de tout ce que nous ressentons.

Toutefois, il existe de nombreuses actions que l’être humain réalise sans utiliser sa capacité réflexive : déglutir lorsqu’il mange, respirer, cligner des yeux. Ces actions réflexes simples n’exigent pas de contrôle conscient. Le sujet les réalise donc sans y réfléchir.

Les “perceptions inconscientes”

Dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain, Leibniz stipule que l’expérience est constituée par :

  • l’observation des objets externes. Elle se fait donc par les sens ;
  • l’opération combinée de l’âme : la capacité réflexive du sujet.

En observant le phénomène inconscient, Leibniz le définit comme une faille de la conscience. En effet, cette dernière n’est pas en mesure de discerner avec précision l’ensemble des perceptions qu’elle reçoit. Si notre esprit imprime toutes les perceptions, celles-ci ne sont pas toutes distinguées par notre conscience. Leibniz nomme ces perceptions qui échappent aux sens, les « perceptions inconscientes”.

Ces citations de Leibniz “Toutes les perceptions ont leur effet, mais tous les effets ne sont pas toujours notables” et “En un mot, c’est une grande source d’erreur de croire qu’il n’y a aucune perception dans l’âme que celles dont on s’aperçoit” témoignent clairement ces petites “perceptions inconscientes” que l’esprit ne parvient pas à distinguer. Là où Descartes ne voyait qu’un mécanisme du cerveau, Leibniz discerne un phénomène psychique.

Le bruit de la mer et le bruit du moulin

Leibniz illustre ces “perceptions insensibles” en prenant l’exemple du bruit de la mer. Le son que l’on entend semble unique alors qu’il s’agit d’un assemblage de tous les sons produits par des milliers de vagues. De même que le bruit d’une vague n’est que l’assemblage de tous les bruits que font des milliers de gouttes d’eau.

Leibniz illustre également ces propos avec le bruit du moulin qui se trouve à proximité d’une habitation. Avec le temps, l’habitude d’entendre le son du moulin fait que l’individu n’y prête plus attention. L’esprit continue d’entendre le son du moulin, mais le sujet ne “l’entend plus”. Si le moulin cesse de fonctionner et que le bruit s’évanouit, l’individu se surprend alors à ne plus l’entendre. Le sujet fait donc une nouvelle fois attention à la présence du bruit du moulin qui n’existe plus. Selon Leibniz, ces “perceptions inconscientes” tiennent une place décisive dans notre psychisme. L’individu n’a pas l’aperception de ces petites perceptions qui touchent ses sens sans qu’il n’en soit conscient.

Quelle est la différence entre les pensées conscientes et les pensées inconscientes ?

Avant de poser une différence entre ces deux pensées antagonistes, il est important de définir deux types de différences :

  • la différence de degré est une différence quantitative, mesurable, de plus ou de moins ;
  • la différence de nature est une différence de qualité, les propriétés de deux objets ne sont pas les mêmes. La nature de ces objets est donc différente.

On peut donc noter une différence de degré entre les pensées inconscientes et les pensées conscientes qui suppose alors une continuité entre les deux. L’individu n’a pas pleinement conscience de lui-même, car il a des pensées inconscientes qu’il ne peut pas maîtriser.

Dans son ouvrage, Le Monde comme volonté et comme représentation, Arthur Schopenhauer oppose les pensées conscientes des pensées inconscientes avec la métaphore de l’eau. La surface représenterait les pensées conscientes et la masse les pensées inconscientes. L’individu n’a donc accès qu’à ses pensées conscientes qui ne représentent qu’une partie infime. Cette métaphore de Schopenhauer rappelle la métaphore de l’iceberg de l’inconscient freudien où la partie émergée ne représente qu’une infime partie de ce qu’est ce bloc de glace.

Comment les pensées inconscientes existent-elles ?

Si l’individu n’a accès qu’à ses pensées conscientes, c’est que les pensées inconscientes ne sont pas localisées dans la conscience. Toutefois, ces pensées inconscientes n’existent pas non plus hors et indépendamment de nous. Alors comment peuvent-elles exister ?

Henri Bergson a tenté de répondre à cette question avec les états psychologiques. Selon lui, ce n’est pas parce que le sujet n’a pas conscience de ses états psychologiques que ces derniers n’existent pas et/ou n’ont pas d’effets sur lui.

Bergson utilise l’analogie* pour illustrer son idée :

  • ce n’est pas parce qu’un individu n’a pas conscience, en un instant précis, de l’existence de la ville autour de lui que cette dernière n’existe pas.
  • ce n’est pas parce qu’un sujet n’a pas, à un instant précis, la représentation consciente de ses souvenirs qu’ils n’ont pas d’existence.

À travers son ouvrage L’énergie spirituelle, Bergson discerne deux types de mémoires :

  • celle qui est fondée sur la répétition, qui sert à l’individu pour apprendre ses leçons par cœur. C’est la “mémoire-habitude”.
  • celle où les souvenirs sont imprégnés dans l’esprit du sujet, mais qui ne sont pas présentes dans la partie consciente de l’individu. C’est la “mémoire-souvenir”, ou la mémoire pure.

Bergson définit ce deuxième type de mémoire comme “les souvenirs que ma mémoire conserve ainsi dans ses plus obscures profondeurs y sont à l’état de fantômes invisibles.” Bien que le sujet n’est pas la représentation consciente de ses souvenirs, ils continuent d’exister à “l’état de fantômes invisibles”, non-perceptibles.

Malgré le fait que ses représentations inconscientes ne soient pas accessibles à un individu, elles continuent d’exister. Elles peuvent se matérialiser chez le sujet à un instant précis lorsqu’elle présente un intérêt pour une action à réaliser.

* analogie : ressemblance établie par l’esprit (association d’idées) entre deux ou plusieurs objets de pensée essentiellement différents. (Dictionnaires Le Robert).

L’inconscient psychanalytique

L’invention de la psychanalyse

Qui était Freud ?

Formé à Paris, dans le service de Charcot, un médecin spécialiste des maladies nerveuses, Freud était un clinicien. En constatant que certaines personnes, dont les membres sont paralysés, adoptent un comportement irrationnel sans présenter de trouble d’origine biologique, il déduit que la source n’est pas organique mais psychique.

Ainsi, en conceptualisant des outils techniques visant à soigner les névroses*, Freud va se rendre compte qu’il existe un conflit inconscient entre les exigences morales et les pulsions inconscientes. Freud réalise l’hypothèse de l’existence de l’inconscient dans le psychisme humain. Selon Freud, cette hypothèse est une :

  • nécessité théorique, car elle permet de comprendre le fonctionnement du psychisme ;
  • nécessité pratique, car elle vise à soigner les malades dont les symptômes physiques n’expliquent pas leurs symptômes.

* névrose : Affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels sans cause anatomique, et intimement liée à la vie psychique du sujet. (Dictionnaires Le Robert).

La formulation du concept d’inconscient selon Freud

En formulant le concept selon lequel l’individu est contrôlé par l’inconscient, Freud estime qu’il s’agit là de la troisième blessure narcissique de l’être humain :

  • La première blessure narcissique a été la découverte que la Terre n’est pas au centre de l’univers par Copernic. Elle n’est qu’une parcelle insignifiante de l’immensité de l’Univers.
  • La deuxième blessure narcissique a été infligée par Darwin qui, avec sa théorie de l’Évolution, montre que l’être humain ne représente qu’une des formes dans la multiplicité animales.
  • Avec Freud, l’homme, subit la troisième blessure narcissique où “Le Moi n’est pas maître en sa propre maison” (Essais de psychanalyse appliquée). Le sujet possède des pulsions inconscientes auxquelles il n’a pas accès.

Freud s’oppose donc à la suprématie de la conscience en stipulant que chaque individu est gouverné par son inconscient psychique. Il réalise alors une véritable révolution en rejetant l’idée que l’homme soit entièrement conscient de lui-même.

L’inconscient Freudien

Les deux divisions de l’appareil psychique selon Freud

En disant “Qu’une chose se passe dans ton âme ou que tu en sois de plus averti, voilà qui n’est pas la même chose.”, Freud stipule que ce n’est pas parce qu’un individu n’arrive pas à percevoir ce qu’il se passe en lui que les choses n’existent pas.

Outre ces choses auxquelles l’individu ne pense pas, l’inconscient freudien englobe également les pensées refoulées par l’esprit. Selon Freud, l’inconscient est le produit du refoulement. On y retrouve les pulsions ainsi que les désirs refoulés qui ne sont pas compatibles avec les exigences sociales et morales intériorisées par l’individu.

Pour exprimer clairement sa conception du psychisme humain, Freud crée des représentations de l’appareil psychique dans ce qu’il nomme ses “topiques”. Il compare l’appareil psychique à une maison à trois étages :

Première topique Deuxième topique
Première étage => Le Conscient représente les contenus mentaux clairs, ceux auxquels le sujet a accès. C’est « ce qui est connu de soi-même »

Deuxième étage => Le Préconscient est le lieu intermédiaire entre le conscient et l’inconscient. Il regroupe ce que la conscience ne veut pas, mais peut, sous ordre de la conscience, être exprimé par le langage.

Le MOI représente la partie la plus petite de l’appareil psychique. Il a pour objectif de concilier le réseau inconscient des pulsions régi par le principe du plaisir (le ça) avec les interdits du SURMOI. Il permet de s’adapter aux exigences du monde extérieur.
Troisième étage => L’Inconscient représente la plus grande part de l’appareil psychique. Il recueille tous les désirs qui cherchent à rejoindre le préconscient, mais qui sont refoulés par l’individu, car ils ne sont pas compatibles avec ses exigences sociales et morales. Le Surmoi intériorise les interdits parentaux et sociaux.

Comment se manifeste l’inconscient ?

Selon Freud, les actes manqués, les rêves et certains symptômes comme les phobies sont des manifestations de l’inconscient. Si le concept de l’inconscient est d’abord utilisé pour soigner des troubles du comportement importants qui handicapent les personnes dans leurs vies quotidiennes, la structure de l’appareil psychique de Freud concerne tous les êtres humains.
Pour tromper la vigilance de la conscience, les pulsions inconscientes se manifestent au travers des actes manqués tels que les lapsus ou les oublis, les rêves et les phobies. Freud relate les manifestations de l’inconscient dans son ouvrage intitulé Psychopathologie de la vie quotidienne.

Pour Freud, les rêves constituent “la voie d’accès royale à l’inconscient”. Chaque rêve doit être analysé en fonction de :

  • son contenumanifeste” représente le contenu conscient du rêve ;
  • son contenulatent” représente la signification réelle du rêve selon l’inconscient.

Pour interpréter un rêve, il faut donc partir du contenu “manifeste” et remonter progressivement au contenu “latent”. L’histoire personnelle du sujet permet de donner un éclairage à l’interprétation. Cette dernière est donc propre au sujet.

L’enjeu de la cure psychanalytique

Si “Le Moi n’est pas maître en sa propre maison”, si l’individu n’est pas entièrement maître de ses actions et de ses pensées, la cure psychanalytique peut permettre à l’individu de revivre normalement, “Là où était le ça, le Moi doit advenir” (Nouvelles conférences sur la Psychanalyse, Freud).

Grâce à l’histoire personnelle d’un patient, la cure psychanalytique vise à travailler sur les différentes manifestations de l’inconscient pour l’aider à mieux vivre. Grâce à l’usage de la parole, l’objectif de la cure psychanalytique est de donner à l’individu le pouvoir sur cette partie psychique à laquelle il n’a pas accès.

Les critiques adressées à l’inconscient Freudien

La critique de l’inconscient d’Alain

Dans son ouvrage, Élément de philosophie, Alain qualifie l’inconscient de “personnage mythologique”. Ce second moi, posé à côté du moi qui, chez Alain, serait l’âme, fait naître une inquiétude chez ce philosophe.
Dans la pensée traditionnelle, l’existence de la conscience confère un esprit, une âme à l’homme. Avec l’hypothèse de l’existence de l’inconscient, on considère, comme le souligne Nietzsche, que le corps est plus digne que l’esprit. “L’inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps”, c’est donner au second moi, le corps, un pouvoir sur le premier moi qu’est l’esprit. Pour Alain, raisonner ainsi, c’est faire preuve d’une faute morale.

La critique de l’inconscient de Sartre

Sartre décèle une contradiction en s’interrogeant sur le caractère inconscient du phénomène de censure de la psychanalyse. Si la censure fait blocage, elle a forcément été identifiée, sinon elle ne pourrait pas être en mesure de déterminer ce qu’elle doit censurer. Étant donné qu’elle identifie et distingue, la censure est consciente. Elle ne peut donc pas, comme le prétend Freud, être inconsciente. L’homme est responsable de chacune de ses actions et de chacune de ses pensées.

Sartre remet en question l’inconscient freudien et réalise une critique virulente envers la psychanalyse. Selon lui, cette dernière vise à supprimer la mauvaise foi d’une conscience qui ne veut pas assumer la responsabilité de ses propres pensées. L’individu ne peut pas faire appel à l’inconscient pour s’affranchir de sa responsabilité morale. L’inconscient est donc une excuse pour ne pas assumer les conséquences de ses choix.

Conclusion

L’existence de l’inconscient est une découverte majeure dans la définition du psychisme humain. C’est une définition nouvelle de l’homme qui ébranle les notions de conscience, de liberté et de libre-arbitre, etc.
Avec l’apparition de la psychanalyse, nous sommes face à un nouvel éclairage où la place du corps prend une nouvelle dimension.
Mais ces nouveaux concepts déstabilisent également les certitudes philosophiques communément admises.

Comment les auteurs définissent-ils l’inconscient ?

  • Alain, Note sur l’inconscientL’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps
  • Freud, Le Moi et le çaNous réservons le nom d’inconscient aux faits psychiques refoulés, c’est-à-dire dynamiquement inconscient
  • Freud, L’interprétation des rêvesL’inconscient est le psychique lui-même et son essentielle réalité. Sa nature intime nous est aussi inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur lui d’une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde extérieur.”
  • Hegel, Phénoménologie de l’espritDans notre vie commune, nous avons conscience, mais nous n’avons pas conscience d’avoir conscience ; bien des choses, ne fût-ce que les corporelles, sont en nous inconscientes, par exemple les opérations vitales nécessaires à notre conservation, qui sont en nous sans que nous ayons conscience de leur fonctionnement précis, telle que la science est seule en mesure de nous faire connaître. Sur le plan de l’esprit, il est en nous également bien des réalités que nous ignorons.”
  • Lacan, Fonction et champ de la parole et du langageL’inconscient est cette partie du discours concret en tant que transindividuel, qui fait défaut à la disposition du sujet pour rétablir la continuité de son discours conscient.”
  • Lacan, ÉcritsL’inconscient est le discours de l’Autre
  • Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humainIl y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même, dont nous ne nous apercevons pas
  • Sartre, L’Être et le NéantL’inconscient n’est que la mauvaise foi personnifiée

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